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Mathilde Debord | 06 septembre 2025

L’Élysée se prépare officiellement à la guerre

À moins d’une semaine d’un conseil de défense où la loi martiale pourrait être déclarée en France, Emmanuel Macron a transformé Paris en capitale mondiale de la guerre. Lundi dernier, le nouveau chef d’état-major des Armées a confirmé que la nation est en ordre de marche vers un conflit de haute intensité, annoncé pour le printemps prochain.

Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky, Paris, 4/09/2025

Le Journal du Dimanche a publié lundi un extrait de la lettre adressée par le nouveau chef d’état-major des Armées (CEMA) à l’ensemble des militaires français lors de sa prise de fonction. Le texte complet a été diffusé sur le site du ministère des Armées. Le JDD retient une phrase en particulier : « Nous devons être prêts à gagner la guerre si la France avait besoin d’user de la force. » Ni la Russie ni l’Ukraine ne se sont citées, mais elles sont évoquées à trois endroits :

L’incertitude de notre environnement en Europe

La perspective de combats avec des adversaires plus massifs

La guerre gronde sur notre continent

Le nouveau chef des armées confirme donc qu’il anticipe un conflit de haute intensité entre la deuxième puissance militaire au monde et la septième, dont il est convaincu qu’elle a les moyens de remporter ce remake de David contre Golliath. Il y a quelques jours, Le Canard enchaîné avait divulgué une note du ministère de la Santé demandant aux directeurs d’hôpitaux de s’organiser dans la perspective d’une guerre sur le continent européen, attendue pour mars 2026. L’ordre du jour publié par le ministère des Armées n’est donc pas véritablement un scoop, mais il confirme que le Gouvernement souhaite préparer les esprits à une hypothèse, anticipée dès juillet 2023 par la loi de programmation militaire 2024-2030. L’Élysée planifie-t-il ce conflit ?

La France à la manœuvre pour entraîner l’Europe dans une guerre contre la Russie

La déclaration du CEMA a précédé de quelques heures l’annonce d’une nouvelle réunion de la « Coalition des volontaires », organisée ce jeudi à Paris pour formaliser les garanties de sécurité, auxquelles les Occidentaux veulent assujettir un futur accord de paix en Ukraine. Selon le chef de l’État, sur les 35 nations qui composent cette coalition, 26 se seraient formellement engagées à contribuer à ce dispositif qui repose essentiellement sur la création d’une « force de maintien de la paix » visant à dissuader la Russie de rompre le futur cessez-le-feu.

Le « document de planification militaire » issu de ces négociations formalise la manière dont s’organisera ce déploiement de troupes alliées, dont Vladimir Poutine a rappelé aujourd’hui qu’elles constitueraient des « cibles légitimes » si l’OTAN s’obstinait à vouloir s’impliquer dans le conflit. Les Occidentaux ne peuvent ignorer la position de la Russie sur ce point, qui constituait précisément l’épicentre des accords de Minsk. Or dans la mesure où ce déploiement présuppose la signature d’un accord de paix, la séquence parisienne relève au mieux d’une volonté de saboter ou de retarder cet accord. Les Américains l’ont compris, la délégation a quitté ulcérée la réunion au bout de vingt minutes.

Le principe d’un déploiement de troupes de l’OTAN sur le sol ukrainien avait été acté dimanche par la présidente de la Commission européenne dans le Financial Times : « Il existe une feuille de route claire du déploiement de troupes européennes en Ukraine. » Le président Zelensky l’a confirmé jeudi à l’issue de la rencontre : « Nous avons convenu d’une présence. » Le nombre d’hommes aurait même déjà été débattu. Le président ukrainien a évoqué le chiffre de 10 000, dont il souhaite le déploiement immédiat, sans attendre qu’un accord de paix soit conclu. Or aucun texte ne peut être signé pour l’instant, dans la mesure où Zelensky ne dispose d’aucun mandat constitutionnellement valide pour cela.

La France est donc à l’avant-poste pour « forcer » la Russie (c’est du moins la justification officielle de l’agitation des Européens) à négocier une paix dont le chef de l’État affirme qu’elle ne veut pas, et qui répond en tout point à une déclaration de guerre. Le CEMA ne fait en ce sens que reprendre la dialectique orwellienne de l’Éysée :

Je veux vous dire ma confiance et ma détermination […] pour assurer, quoi qu’il advienne, la protection des Français. […]

Nous sommes aujourd’hui l’armée la plus efficace d’Europe. […] La perspective de combats contre des adversaires plus massifs est également là. Notre Nation le sait, elle compte sur nous pour la défendre, elle consent des efforts pour que nous nous y préparions et soyons le rempart qui la protège. Cela nous oblige.

Vous pouvez compter sur mon plein engagement à vos côtés dans ce moment de notre histoire où nous devons être craints pour être respectés.

https://www.defense.gouv.fr/sites/default/files/ema/20250901_CEMA_OdJ_01.pdf

Une hubris déconnectée de la réalité militaire

La France réussira-t-elle à figer le temps pour combler les cinq places qui la séparent de la Russie dans le classement mondial des nations, puis à creuser suffisamment son avance pour « être prête à gagner la guerre » que son plan de paix promet – ou a pour « objectif », selon les termes d’Emmanuel Macron – de déclencher ? Le CEMA en est convaincu, dopé par la maxime qui constitue la nouvelle boussole du chef de l’État : « Nous devons être craints pour être respectés. »

Comment ? C’est bien toute la question. Le magazine Challenge alertait il y a moins de trois mois : « Il n’y a plus un kopeck en caisse ». La France a transféré la quasi-intégralité de ses réserves en Ukraine où elles sont parties en fumée sur le front, elle se trouve désormais dans l’incapacité d’honorer les commandes supposées lui permettre de reconstituer ses stocks d’armes et de munitions. L’ancien CEMA aurait dressé le même diagnostic avant son départ : « Nous ne pourrons pas faire » si la France doit affronter demain un danger.

Dans la défense comme ailleurs, il y a les grands discours et il y a la réalité. Quelques semaines à peine après les promesses de hausse massive du budget militaire, Emmanuel Macron évoquant 3,5 % de PIB contre 2 % actuellement, et Sébastien Lecornu un budget de 90-100 milliards au lieu des 50 milliards actuels, les industriels français de la défense se réveillent avec une sacrée gueule de bois. Depuis le début de l’année, aucune ou presque des commandes majeures prévues en 2025 n’a été officiellement signée par la Direction générale de l’armement (DGA).

https://www.challenges.fr/entreprise/defense/il-ny-a-plus-un-kopeck-en-caisse-pourquoi-les-commandes-du-ministere-des-armees-sont-a-larret_605628

Cette offensive verbale est-elle une simple diversion, destinée à masquer l’impuissance des Européens et le désespoir de l’Ukraine, ou faut-il y voir une exacerbation de la paranoïa de l’Élysée, ou de sa détermination à précipiter la destruction de la France ?

Le chef de l’État s’est plaint il y a quelques jours, depuis la Moldavie, des doutes exprimés par de nombreux commentateurs sur la sincérité de ses déclarations. C’est le cas notamment du président Trump, qui a formellement accusé l’Europe, ce vendredi, d’être un obstacle à la paix en Ukraine :

La propagande du Kremlin nous explique que les Européens souhaitent prolonger la guerre et que l’Union européenne opprime les peuples. Ce sont des mensonges.

Emmanuel Macron, Chisinau, 27/08/2025

Une défaite militaire de la Russie suivie de son démantèlement territorial a pourtant été présentée par la cheffe de la diplomatie européenne, lors de la conférence Lennart Meri en mai 2024, comme le véritable enjeu du conflit pour l’OTAN. Peut-on sérieusement penser que la paix soit aujourd’hui le moteur de ces gesticulations ?

La philosophie du quoi qu’il en coûte, jusqu’au dernier Ukrainien

Si les intentions réelles de l’Europe sont par définition sujettes à interprétation, les arguments avancés par le chef de l’État pour expliquer l’agenda de la France relèvent au contraire de l’analyse critique et non de la spéculation.

Sur la forme, comment peut-on rationnellement expliquer que la stratégie de l’Élysée soit guidée par la paix et intègre en même temps une entrée en guerre contre la Russie comme une hypothèse suffisamment vraisemblable pour mettre en alerte les hôpitaux et l’Armée et engager des moyens financiers dont l’État ne dispose pas ? Entre cet excès de prudence et la planification d’un conflit, il n’y a guère que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette.

Sur le fond, comment peut-on raisonnablement croire que la France remportera cette guerre sous prétexte qu’elle serait « l’armée la plus efficace d’Europe » ? L’Ukraine a perdu 1,7 million d’hommes sans reprendre la moindre parcelle de territoire. Emmanuel Macron estime pourtant que parler de « défaite » relève du mensonge, la Russie étant parvenue à conquérir moins de 1 % de l’Ukraine depuis que l’Europe a commencé à la soutenir militairement.

La question d’une possible victoire de l’Ukraine est d’autant plus fondamentale que Volodymyr Zelensky a confirmé que son pays ne ferait aucune concession – ce qui ne permet pas d’envisager une rencontre entre les deux chefs d’État –, son objectif étant une défaite totale de la Russie. Mi-août, il avait rejeté les bases d’un accord portant sur la cession d’une partie du territoire ukrainien, il a décliné la semaine dernière les propositions visant à créer une zone tampon entre les forces ukrainiennes et russes dans le cadre d’un accord de paix. Il refuse aujourd’hui de rencontrer son homologue russe qui l’a solennement invité à Moscou.

Emmanuel Macron commet en réalité une double approximation dans son évaluation des rapports de force, en se référant à une situation militaire obsolète et en se méprenant sur la véritable nature du conflit, qui est une guerre d’attrition et non de territoire. Où fixe-t-il le curseur au-delà duquel il est indécent qu’un chef d’État n’ayant plus d’hommes à aligner sur le front continue d’exiger des armes (et demain des soldats ?) en refusant catégoriquement d’admettre qu’il n’a plus les moyens de se battre ?

La question des pertes humaines n’est jamais évoquée par les Occidentaux. Ils n’ont toujours pas réagi, et ne le feront pas, à l’annonce du piratage des serveurs de l’état-major ukrainien, confirmé par le ministère de l’Intérieur américain, qui recensent la disparition de plus de 1,7 million d’hommes.

Hier, en revanche, le président de la République a commenté le bilan présumé des pertes de l’armée russe, qu’il évalue à plus d’un million de soldas, en le mettant en vis-à-vis avec ses gains territoriaux pour démontrer la folie sanguinaire de Vladimir Poutine. Ce chiffre se base sur le recensement de l’état-major général des forces armées ukrainiennes au 1er  juillet 2025 (1 020 980) qui rejoint plus ou moins celui de l’OTAN (900 000).

Le site Mediazona revendique une estimation considérablement plus faible de 219 000 morts ou blessés, basée sur les annonces publiques de décès de soldats et sur une évaluation de l’excès de mortalité masculine à partir des données du Registre russe des testaments. Ce chiffre semble plus réaliste que celui avancé par le chef de l’État, les effectifs de l’armée russe étant évalués à 2,2 millions de soldats, soit le double de ses pertes théoriques. Or elle n’a procédé qu’à une seule vague de mobilisations partielles, en septembre 2022, qui s’est concrétisée par des milliers de désertions.

Si ce bilan est confirmé, le ratio des pertes humaines serait d’environ 1 contre 8 en faveur de l’armée russe. Que deviendra-t-il face à des soldats qui n’ont jamais affrontée une armée d’un tel niveau, ou face à des civils totalement inexpérimentés qui pourront être réquisitionnés demain sur simple décret, si la France s’enferre dans sa stratégie folle de soutien inconditionnel à l’Ukraine dont les seuls bénéficiaires connus à ce jour sont Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky ?

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