Corruption en col blanc

Mathilde Debord | 22 octobre 2025

La HAS accusée d’avoir falsifié un rapport défavorable à Sanofi

La directrice de la commission de la HAS chargée de l’évaluation des vaccins serait intervenue pour modifier l’évaluation du vaccin antigrippal Efluelda, produit par le laboratoire Sanofi, afin qu’il bénéficie d’un remboursement intégral. Le Canard enchaîné dénonce un renvoi d’ascenseur de la part du chef de l’État, particulièrement indécent dans le contexte budgétaire actuel.

Pr Anne-Claude Crémieux

Dans son édition du 15 octobre dernier, Le Canard enchaîné révèle que la Haute Autorité de santé (HAS) aurait fait modifier le rapport d’évaluation du vaccin antigrippal de Sanofi (Efluelda) afin qu’il bénéficie d’un remboursement de 100 %. Le journal accuse la nouvelle directrice de la Commission technique des vaccinations (CTV), le Pr Anne-Claude Crémieux, d’avoir supprimé un paragraphe entier défavorable au vaccin et modifié certains passages afin de justifier ce taux de remboursement :

Pour faire plaisir à l’Élysée, la Haute Autorité de santé a truqué un rapport sur l’efficacité du nouveau vaccin antigrippe de Sanofi. Objectif : obtenir le remboursement à 100 % par la Sécu de l’Efluelda.

https://x.com/MontesYal/status/1978495126491033720

Le taux de 100 % dont bénéficie aujourd’hui le vaccin Efluelda[1],[2] est théoriquement réservé aux médicaments « irremplaçables et coûteux », dont la HAS estime non seulement qu’ils apportent un service médical rendu (SMR) important, mais qu’ils représentent une innovation ou une « amélioration du service médical rendu » (ASMR) majeure, importante ou modérée (ASMR compris entre I et III). Or cette décision n’est pas cohérente avec les évaluations réalisées par l’Agence depuis que le vaccin a bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché.

Historique de la recommandation de la HAS

En juin 2020, la HAS avait estimé qu’Efluelda présentait un intérêt clinique suffisant pour bénéficier d’un remboursement à 65 % (SMR important), mais qu’il n’apportait aucun progrès thérapeutique (ASMR V) et qu’il ne pouvait donc être recommandé en première intention. Le vaccin a alors été retiré du marché en 2024 à l’initiative de Sanofi suite à l’annonce d’un nouveau prix de vente par les autorités françaises, jugé économiquement insoutenable par le laboratoire. La HAS résume en ces termes la polémique :

le très faible impact sur les résultats de santé [consultations, hospitalisations] et l’organisation du système de soins ne permet[tait] pas de justifier une telle augmentation des coûts d’acquisition du vaccin, ce qui impliquait la nécessité d’une forte baisse du prix revendiqué pour Efluelda.

https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2025-05/vaccination_contre_la_grippe_saisonniere_des_personnes_de_65_ans_et_plus._place_des_vaccins_efluelda_et_fluad_recommandation.pdf#page=35

En avril 2025, la HAS a finalement recommandé que le vaccin Efluelda soit utilisé préférentiellement chez les personnes de 65 ans et plus par rapport aux vaccins classiques à dose standard, ouvrant ainsi la voie à son remboursement. Bien qu’elle souligne les nombreuses limites de l’évaluation (conflits d’intérêts, données contradictoires, performances limitées), elle note en conclusion de son avis (p. 60) :

Au total, les données disponibles montrent un effet modeste mais significatif sur les hospitalisations liées à la grippe.

Ce revirement, qualifié de « total » par Le Quotidien du pharmacien, s’explique officiellement par de nouvelles données de la littérature et par des retours d’expérience concluants de la part des pays ayant adopté cette stratégie, ainsi que par la « saison grippale particulièrement sévère » de l’hiver dernier.

Ce contre-pied spectaculaire s’est pourtant accompagné d’une réévaluation à la marge du progrès thérapeutique apporté par le vaccin Efluelda, estimé « mineur » par l’Agence (ASMR IV) dans son avis de remboursement publié le 21 mai dernier. Dans son analyse économique, la HAS s’interroge notamment sur la justification du prix de vente d’Efluelda, fixé à 23,97 € par Sanofi vs 6 à 10 € pour le vaccin grand public :

Le coût lié à l’acquisition des vaccins est augmenté de + 79 % et n’est que très partiellement compensé par les économies engendrées par les événements évités (hospitalisations et consultations médicales). […]
La revendication de ce prix interroge d’autant plus que l’évaluation économique présentée par l’industriel ne permet pas d’apporter davantage d’éclairages au décideur public sur les impacts organisationnels, notamment à l’hôpital, et sur l’allocation des ressources collectives entre l’ensemble des vaccins antigrippaux disponibles.

https://www.has-sante.fr/jcms/p_3606853/fr/efluelda-vaccin-antigrippal-trivalent-inactive-a-virion-fragmente-60-g-ha/souche-vaccin-antigrippal

L’intervention du Pr Crémieux

En off, les experts de la HAS dénoncent l’intervention politique de la directrice de la Commission vaccins qui aurait modifié certains passages et fait supprimer un paragraphe entier défavorable au vaccin Efluelda. Selon Le Canard enchaîné, le Pr Crémieux aurait notamment corrigé la conclusion qui mentionnait dans sa version initiale :

Au total, les données disponibles sont très hétérogènes.

L’intervention a provoqué un véritable séisme au sein de l’Agence, les auteurs exigeant le retrait de leurs noms qui ont dû toutefois être conservés pour des raisons légales, mais avec cette mention inédite qui vise à souligner leur distance par rapport à la conclusion de l’avis : « ont contribué à l’instruction ».

Toujours selon Le Canard enchaîné, le Pr Crémieux aurait également censuré les réserves émises par les épidémiologistes du service de vaccination de la HAS qui avaient consigné dans leur rapport le fait que « Plusieurs agences européennes ont estimé ne disposer d’aucun élément fiable pour recommander ce vaccin plutôt qu’un autre ».

Sanofi a-t-il tordu le bras au Gouvernement pour s’assurer de la rentabilité de son vaccin ? La population cible de la vaccination contre la grippe représente 14,7 millions de personnes. Le prix du vaccin Efluelda était estimé en 2020 à 30,25 € TTC par le laboratoire. Le prix revendiqué par Sanofi demeure confidentiel, mais l’avis économique de la HAS mentionnait en avril dernier un prix limite de vente à 30,90 € TTC (31,92 € selon Le Canard enchaîné), qui semble s’être finalement négocié à 23,97 € pour la prochaine saison.

La manipulation du rapport de la HAS est-elle la contrepartie de cette concession tarifaire ?

Au-delà de ses implications légales, cette fraude est d’autant plus choquante que sa divulgation coïncide avec une double actualité législative : le retour de l’obligation vaccinale contre la grippe et le vote du budget de la Sécurité sociale.

Obligation vaccinale contre la grippe

Le 11 juillet dernier, une proposition de loi visant à rétablir l’obligation de vaccination contre la grippe pour les professionnels de santé, suspendue par décret le 14 octobre 2006, et à permettre son remboursement pour l’ensemble de la population a été déposée par l’ancienne ministre de la Santé, Agnès Firmin Le Bodo, condamnée en 2024 pour ses liens d’intérêts avec le laboratoire Urgo.

Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026 déposé le 14 octobre va plus loin puisqu’il confirme cette mesure est bien à l’étude par le Gouvernement, qui souhaite étendre l’obligation vaccinale des professionnels de santé à la rougeole. Il prévoit également de rendre obligatoire la vaccination contre la grippe pour l’ensemble des résidents d’Ehpad, sous réserve d’un avis favorable de la HAS.

L’Agence s’était prononcée défavorablement en juillet 2023, mais c’était avant la nomination du Dr Hélène Rist à la tête du ministère de la Santé. La nouvelle ministre ne revendique officiellement des liens d’intérêts qu’avec trois sociétés pharmaceutiques, dont Sanofi, mais une enquête a révélé en 2017 qu’elle aurait bénéficié de 212 « avantages » en provenance de cinq ou six laboratoires entre 2012 et 2016. En octobre 2018, elle a confirmé un total de 309 liens d’intérêts pour un montant officiel de 40 196 €, mais les sommes sont probablement beaucoup plus élevées selon l’enquête Phama Pappers qui a révélé ce scandale.

Le principal argument invoqué en faveur du remboursement d’Efluelda étant le fardeau que représente la grippe, l’Agence devrait en toute logique effectuer le même revirement concernant la vaccination des soignants et des résidents d’Ehpad.

Économies projetées par le Premier ministre

Dans son avis économique d’avril 2025, la HAS évalue à 231 millions d’euros sur trois ans l’impact budgétaire associé au prix de vente du vaccin Efluelda (23,97 € vs 6 à 10 € pour le vaccin grand public). Ces sommes sont certes négligeables en comparaison des 7 milliards d’économies sur la santé que le nouveau Premier ministre estime indispensables, mais elles ne sont moralement pas compatibles avec l’ampleur d’une telle saignée :

  • taxation des indemnités journalières versées aux personnes atteintes d’une maladie chronique (cancer, diabète, asthme, etc.), soit près de 14 millions de Français ;
  • doublement des franchises médicales et du plafond annuel (également introduit pour les transports sanitaires réalisés en taxi), supposé limiter la facture pour les patients ;
  • élargissement du dispositif aux visites chez le dentiste et aux dispositifs médicaux (pansements, orthèses, etc.) ;
  • limitation de la durée des arrêts-maladie (une durée maximale de 15 jours est à l’étude) ;
  • taxe additionnelle de 2,05 % envisagée sur les mutuelles santé.

Ces arbitrages budgétaires sont d’autant plus inaudibles lorsqu’on les rapporte au coût qu’a représenté la vaccination contre le COVID pour la Sécurité sociale (7,6 milliards d’euros pour la seule période 2020-2022 selon la Cour des comptes), dont on sait aujourd’hui qu’elle n’était d’aucune utilité pour l’immense majorité de la population, et dont la Commission européenne a reconnu qu’elle n’était pas indiquée pour les personnes en bonne santé. Elle a donc été imposée inutilement et illégalement à des millions de Français, sans aucune donnée de sécurité valide. Or les études démontrant que les injections anti-COVID ont considérablement et durablement dégradé la santé de la population se comptent aujourd’hui par milliers. Peut-on faire plus cynique ?

Bis repetita

Le Canard enchaîné rappelle le rôle déterminant que joua le laboratoire Sanofi dans l’ascension d’Emmanuel Macron, qui doit son entrée à la banque Rothschild (et le surnom frauduleux de Mozart de la finance qu’il a acquis en 2012 grâce à une transaction historique impliquant Pfizer et Netslé) à l’ancien président du laboratoire, Serge Weinberg. Il a été remplacé en mai 2023 par Frédéric Oudéa, également mari de l’ancienne et éphémère ministre de l’Éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra. La question d’un éventuel conflit d’intérêts se posait donc déjà sur ce principe en octobre 2023, lorsque le chef de l’État a décidé d’organiser dans les collèges une campagne de vaccination contre le HPV, et donc d’offrir un marché inédit au vaccin Gardasil, l’un des produits phares du géant pharmaceutique, malgré des données de sécurité et d’efficacité accablantes.


Références

[1] Arrêté du 23 juillet 2025 modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l’usage des collectivités et divers services publics. JORF no 0170 du 24 juillet 2025. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051949388.

[2] Arrêté du 23 juillet 2025 modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques remboursables aux assurés sociaux. JORF no 0170 du 24 juillet 2025. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000051949377.

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