Le diable se loge dans les détails
« C’est l’objectif », le pseudo lapsus d’Emmanuel Macron concernant une guerre contre la Russie
Dans un entretien accordé le 19 août à LCI, Emmanuel Macron a précisé la teneur du plan que les Européens sont venus soutenir à Washington dans le cadre des négociations d’une solution de paix en Ukraine. Lors de cette interview, il a confirmé que l’objectif de cette proposition était de provoquer une guerre avec la Russie, sans pour autant corriger ce lapsus.

Une délégation de chefs d’État européens, escortés par la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, s’est invitée en début de semaine à Washington au lendemain du sommet de l’Alaska, où les modalités d’une sortie du conflit russo-ukrainien ont été discutées en leur absence par Donald Trump et Vladimir Poutine. Les alliés étaient venus négocier les conditions d’une « paix juste et durable », incluant un mécanisme de protection de l’Ukraine similaire à celui que lui offrirait une adhésion à l’OTAN, dont Trump avait rappelé en amont de la rencontre qu’elle était inenvisageable. Celles-ci devraient inclure, outre le renforcement de l’armée ukrainienne et un possible dispositif de maintien de la paix voulu par les Occidentaux, l’achat par les Européens de nouvelles armes américaines à hauteur de 100 milliards de dollars, dont 18,5 milliards pour la France.
Le déni des Occidentaux
Le politologue Glenn Diesen, professeur à l’université du sud-est de la Norvège (USN) et rédacteur en chef adjoint de la revue Russia in Global Affairs, a commenté les prémisses de cet accord divulgué par le Financial Times à l’issue des échanges. En 260 mots, il a résumé sur son compte X les causes du conflit et les conséquences de l’incapacité des Européens à acter la défaite de leur allié dans une guerre dont ils sont aujourd’hui les seuls à contester qu’ils en sont les instigateurs :
L’Europe dépensera 100 milliards de dollars qu’elle ne possède pas pour acheter des armes américaines qu’elle ne possède pas, pour équiper les soldats qui manquent actuellement à l’Ukraine. Il s’agit de faire face à la Russie, qui a prévenu depuis 30 ans qu’elle riposterait à la militarisation de ses frontières par l’OTAN.
L’Ukraine n’était pas menacée avant 2014, car seule une infime minorité d’Ukrainiens souhaitait adhérer à l’OTAN, et la Russie ne revendiquait aucun territoire ukrainien. Les gouvernements occidentaux ont alors soutenu un coup d’État visant à attirer l’Ukraine dans l’orbite de l’OTAN – un coup qui, selon les directeurs de la CIA, les ambassadeurs et les dirigeants occidentaux, déclencherait une compétition sécuritaire et, probablement, une guerre.
Comme prévu, la Russie a réagi avec véhémence. Depuis lors, le seul récit acceptable est celui selon lequel la Russie souhaite restaurer l’Union soviétique et que Poutine est Hitler. Toute dissidence est qualifiée de « désinformation », de « propagande », de « guerre hybride », voire de trahison.
La guerre est désormais perdue, et les Américains s’en retirent, demandant aux Européens d’en assumer les conséquences. Comment les Européens réagissent-ils ? En redoublant d’efforts, ce qui détruira l’Ukraine, nos économies et notre influence mondiales, et pourrait déclencher une guerre nucléaire.
Quelle est la stratégie ? Toujours la même chose ? Le mieux pour l’Ukraine est de l’écarter du front de la lutte géopolitique pour le tracé des nouvelles lignes de démarcation en Europe : mettre fin à la guerre, reconstruire l’Ukraine et remplacer les blocs militaires expansionnistes par le principe de sécurité indivisible.
https://x.com/Glenn_Diesen/status/1957759862235889934
La même analyse a été formulée récemment par l’ancien ambassadeur russe en France, Alexandre Orlov, et par le vice-maréchal britannique de l’armée de l’air Sean Bell, qui confirme que la question n’est plus de savoir si l’Ukraine a perdu la guerre, mais de se résoudre à accepter cette défaite et mettre un terme à un conflit.
Chacun d’eux estime que les Occidentaux n’ont ni les moyens économiques ni les ressources militaires de prolonger, Alexandre Orlov ayant mis en garde les dirigeants européens, dès le mois de mars dernier, contre la folle stratégie de réarmement portée sur l’ensemble du continent par Emmanuel Macon :
Le réarmement suggéré par Macron et les autres dirigeants européens va mener l’Europe à sa ruine. L’Europe ne sera pas en mesure de faire face à la Russie.
https://x.com/Dn641608671/status/1902448472554406365
Empêcher la paix à tout prix, le lapsus d’Emmanuel Macron
À contre-courant de cette lecture, le président de la République a tenté de défendre mardi, lors d’une interview accordée à LCI, l’idée que l’Ukraine n’a jamais été aussi proche de gagner la guerre, en invoquant la stagnation de l’armée russe depuis que les Européens ont commencé à armer massivement Kiev :
Emmanuel Macron : « Depuis novembre 2022 jusqu’à aujourd’hui, c’est-à-dire depuis plus de 1 000 jours, depuis que l’armée ukrainienne s’est organisée et que nous la soutenons, les Russes ont pris moins de 1% du territoire. […]
Parce que tout le monde dit : “Ils sont en train de perdre”. Non ! Moins de 1 % du territoire en 1 000 jours ! ».
Alors que chacun s’accorde sur le fait que les avancées récentes de l’armée russe sur le front justifient son refus d’un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, réclamé par les Occidentaux afin de permettre à Kiev de reconstituer ses forces, le chef de l’État estime qu’une « capitulation » de l’Ukraine serait contraire au sens de l’évolution du conflit, et qu’elle est donc sur ce principe inenvisageable aujourd’hui.
Interrogé sur le réalisme de la proposition européenne – la constitution d’une armée de « plusieurs centaines de milliers » d’hommes que Kiev ne parvient pas à recruter pour tenter d’endiguer l’hémorragie sur le front, et le déploiement de troupes européennes au sol, visant à dissuader la Russie d’engager de nouvelles hostilités –, Emmanuel Macron a rejeté catéoriquement l’idée que la stratégie occidentale mise en œuvre depuis le début du conflit puisse être décrite comme un échec :
Emmanuel Macron : « La première garantie de sécurité sur laquelle nous travaillons et qui est la plus importante, c’est une armée ukrainienne robuste. […] »
Darius Rochebin : « Pour l’instant ça n’a pas marché. »
Emmanuel Macron : « Non, je ne dirais pas du tout ça. »
Bien qu’il persiste à présenter le plan de soutien militaire à l’Ukraine, notamment la présence de soldats européens dont le but serait de « montrer un signalement stratégique » à la Russie – une expression qui ne correspond à aucune réalité militaire connue – comme une manière de construire la paix, le chef de l’État a toutefois commis un lapsus que ni lui ni son interlocuteur n’ont jugé utile de corriger, en présentant la guerre comme l’objectif premier de la contre-proposition européenne :
Darius Rochebin : « Traduisez s’il vous plaît. “Signalement stratégique”, c’est la langue, disons “rassurante”, mais pour être très concret. Est-ce que ça veut dire que si les Russes attaquent à nouveau ensuite, c’est la guerre, c’est-à-dire que les soldats français, anglais, etc. seront forcés de se battre. »
Emmanuel Macron [bégayant] : « C’est l’objectif de ces… de ces… de… ces ces ces garanties de sécurité [sic]. L’objectif de ces garanties de sécurité, c’est de les dissuader par une armée ukrainienne forte, c’est de dire “cette armée pourra résister, et si vous allez trop loin sur des points qui auront été définis, et là, tout le travail a été planifié par un chef d’état-major […] alors il y aurait une réaction.” » (4′ 10 »)
Deux erreurs de jugement et un mensonge par omission
S’agit-il d’une confusion sémantique ou d’une volonté de préparer les Français de manière subliminale à la guerre ? Peu importe, ce qui compte est bel et bien que la proposition européenne constitue fondamentalement un projet de guerre dans la mesure où elle érige en condition absolue l’une des principales lignes rouges que les accords de Minsk visaient à protéger et dont le franchissement est présenté par la Russie comme la clé de l’actuel conflit. En l’occurrence, il s’agit toutefois d’une guerre perdue d’avance puisque le raisonnement qui soutient ce plan repose sur une double erreur de jugement :
- le conflit russo-ukrainien n’est pas une guerre de territoire mais une guerre d’attrition, chacun – dans le camp français comme dans le camp ukrainien – en convient aujourd’hui. L’accord de paix soumis par Moscou dans le cadre des négociations d’Istanbul au printemps 2022 démontre par ailleurs que les motivations n’ont jamais relevé d’une volonté d’expansion de ses frontières mais de la nécessité de renforcer leur sécurité ;
- le temps joue contre l’Europe et l’Ukraine, pas contre la Russie. Il est d’ailleurs surprenant qu’Emmanuel Macron ne l’intègre pas cette évidence à son raisonnement puisqu’il admet lui-même qu’il serait naïf de penser que la Russie mette un terme brutalement à ses dépenses militaires. Comment l’Europe, et en particulier la France, pense-t-elle combler l’écart de puissance béant qui la sépare de Moscou compte tenu de celui qui sépare leur niveau d’endettement et de croissance et de ressources humaines respectifs ?
Le niveau d’investissement qu’elle a consenti ces dernières années ne passe pas de 100 à zéro du jour au lendemain. Et donc un pays qui investit 40 % de son budget dans de tels équipements, qui a mobilisé une armée de plus de 1 million 300 0000 hommes, il ne reviendra pas à un état de paix et un système démocratique ouvert du jour au lendemain, ne soyons pas naïfs.
Le « réveil stratégique des Européens », qui ne pourront pas compter sur les États-Unis pour maintenir une présence au sol en Ukraine, suffira-t-il à les sauver de la fameuse « menace existentielle russe » contre laquelle ils luttent en pure perte depuis trois ans ? Au-delà de cette question, on ne comprend pas en quoi la proposition occidentale constituerait une « garantie suprême » de paix, la seule qu’elle offre aujourd’hui étant celle d’un confit qui serait déclenché sans sommation, par une armée hybride dont aucun des pays qui aspirent à la composer n’est capable de tenir une minuscule portion de l’actuel front plus de quelques jours.
C’est le message qu’aurait adressé, quelques jours avant son départ anticipé en retraite, l’ancien chef d’état-major des armées, Thierry Burkhard, selon une indiscrétion de Georges Malbrunot, grand reporter au Figaro :
« La discussion avec Emmanuel Macron a été directe. Le Céma lui a dit que nos stocks de munitions et de canons étaient quasiment vides, après qu’on ait beaucoup donné à l’Ukraine », confie une source militaire, généralement bien informée. Le général Burkhard l’a mis en garde : « Au niveau opérationnel, si demain on a un problème en France, on ne saura pas faire. »
https://x.com/Malbrunot/status/1955203078207992268
Il a confirmé l’authenticité de cette déclaration le lendemain de la publication de ce message, en réfutant tout lien entre les propos attribués à Thierry Burkhard et les raisons de son départ.