Trépignements diplomatiques

Équipe Le Point Critique | 23 novembre 2025

Paix en Ukraine : l’UE répond à Donald Trump, mais ne propose rien

Les dirigeants européens ont répondu hier à la proposition américaine concernant le règlement du conflit en Ukraine. Ils ont rappelé qu’aucune solution de paix juste et durable ne pourrait être obtenue sans leur accord, et ont réaffirmé leurs deux exigences : un cessez-le-feu immédiat et une présence de troupes occidentales sur le sol ukrainien. Une réunion tripartite est organisée aujourd’hui à Genève, en amont de la rencontre entre Trump et Zelensky prévue en fin de semaine.

Emmanuel Macron, Sommet du G20, 21 novembre 2025

L’Élysée a publié samedi soir un communiqué signé de la main du président français et cosigné par les membres du groupe des Leaders sur l’Ukraine, où sont représentés le Canada, la Finlande, l’Allemagne, l’Italie, le Japon, les Pays-Bas, la Norvège, l’Espagne, le Royaume-Uni et la Pologne.

Ils exigent d’être associés aux négociations de paix afin de s’assurer que celle-ci soit durable, et réaffirment leur opposition à deux éléments cruciaux de l’accord : le redécoupage territorial de l’Ukraine, dont ils contestent la légitimité historique, et l’engagement de l’OTAN à se retirer de l’Ukraine et à ne pas y installer de troupes, comme le prévoient la France et la Royaume-Uni dans le cadre de la Coallition des volontaires. Ils rappellent également que l’Europe et l’OTAN ne peuvent être tenues à l’écart de discussions stratégiques impliquant leur avenir et leur sécurité :

Nous saluons les efforts continus des États-Unis pour ramener la paix en Ukraine.

Le projet initial du plan en 28 points comprend des éléments importants qui seront essentiels pour une paix juste et durable.

Nous estimons donc que ce projet constitue une base qui nécessitera des travaux supplémentaires. Nous sommes prêts à nous engager afin de nous assurer que la paix sera durable. Nous sommes clairs sur le principe selon lequel les frontières ne doivent pas être modifiées par la force. Nous sommes également préoccupés par les limitations proposées sur les forces armées ukrainiennes, qui rendraient l’Ukraine vulnérable à de futures attaques.

Nous réaffirmons que la mise en œuvre des éléments relatifs à l’Union européenne et à l’OTAN nécessiterait l’assentiment des membres de l’UE et de l’OTAN respectivement.

Nous saisissons cette occasion pour souligner la force de notre soutien continu à l’Ukraine. Nous continuerons à coordonner étroitement nos efforts avec l’Ukraine et les États-Unis au cours des prochains jours.

Déclaration des Leaders de l’Europe. Élysée, 22 novembre 2025. https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2025/11/22/declaration-des-leaders-sur-lukraine.

Comme l’on pouvait s’y attendre, les Européens estiment que l’accord n’offre pas, en l’état, de garanties suffisantes à l’Ukraine qui incluent selon eux impérativement une présence militaire. Le texte prévoit pourtant une riposte « coordonnée et décisive », sur le modèle de l’article 5 du traité de l’OTAN, dans l’éventualité où la Russie violerait à nouveau ses frontières. Cette garantie de sécurité devrait donc en théorie être jugée suffisante par les dirigeants européens qui ont toujours présenté l’entrée de l’Ukraine dans l’Alliance comme la condition sine qua non pour qu’elle bénéficie de ce bouclier défensif.

Elle vient en effet combler l’une des principales lacunes du protocole d’Istanbul de mars 2022, dont l’Ukraine avait accepté les grandes lignes, mais que l’ex-Premier ministre britannique, Boris Johnson, lui a interdit de signer et dont on sait aujourd’hui qu’il a été rémunéré par un marchand d’armes implanté en Ukraine pour exécuter cette mission :

Le projet de traité oblige les États garants à engager des consultations si l’Ukraine est attaquée. Bien que l’assistance militaire soit un résultat possible, elle n’est ni automatique ni garantie. Contrairement à l’article 5 de l’OTAN, qui oblige les États membres à la défense collective, le Communique d’Istanbul n’a fourni aucun mécanisme contraignant pour assurer une réponse rapide et unifiée. Cette dépendance à l’égard des consultations a laissé la sécurité de l’Ukraine dépendante de l’alignement des intérêts entre les États garants.

https://www.publicinternationallawandpolicygroup.org/lawyering-justice-blog/2024/12/17/the-istanbul-communique-a-blueprint-for-ukraines-capitulation-1

Emmanuel Macron, qui a commenté le texte en marge du G20, l’a présenté comme une simple base de négociations. Il a exigé un cessez-le-feu immédiat, ce qui est la ligne constante de l’UE depuis novembre 2022, en rappelant la situation humanitaire (et donc militaire) catastrophique de l’Ukraine afin de laisser le temps aux Occidentaux de parvenir à un accord satisfaisant pour l’ensemble des parties.

https://twitter.com/camille_moscow/status/1992297569985212791?s=20

Aucune contre-proposition n’a donc été faite par l’UE qui s’arcboute toujours sur ces deux exigences – un cessez-le-feu immédiat et une présence militaire permanente sur le sol ukrainien –, en rappelant que la deuxième n’est de toute façon pas négociable. Sur ce principe, la demande de cessez-le-feu découle uniquement d’une volonté de temporiser, qui ne résout strictement rien. Faire de la chronologie proposée par l’accord de paix, qui assortit sa signature à la fin des combats, un point d’achoppement revient donc à compliquer inutilement les choses. Pour mémoire, le protocole d’Istanbul soumis en mars 2022 par Moscou, comme l’ont confirmé en février dernier l’Institut pur l’étude de la guerre (ISW) et en décembre 2024 le cabinet d’avocats PILP, prévoyait un cessez-le-feu et un retrait des forces armées russes.

Des négociations tripartites associant les États-Unis, l’Ukraine et des conseillers à la sécurité nationale de la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne sont prévues ce dimanche à Genève. Elles seront menées côté France par le conseiller diplomatique d’Emmanel Macron, Emmanuel Bonne, et la ministre déléguée aux Armées, Alice Rufo, qui a expliqué ce matin sur Franceinfo : « Il n’y a pas de scénario dans lequel la dignité et la liberté de l’Ukraine sont négociables. »

https://twitter.com/franceinfo/status/1992499229969854899?s=20

Quelle est aujourd’hui la capacité de la France à faire avancer les négociations ? Le en même temps qui constitue la marque de fabrique du président a montré qu’il était une simple posture rhétorique. En matière diplomatique, il reflète malheureusement une simplicité et un manichéisme qui n’ont permis jusqu’à présent de n’obtenir rien de concret en quatre ans. Comment penser sérieusement résoudre un conflit dont les racines et les enjeux sont aussi profonds et complexes à l’aide de quelques couples dialectiques (paix/guerre, agresseur/agressé, durable/éphémère, dignité/humiliation, Churchill/Hitler) qui ne permettent au mieux que d’élaborer un récit caricatural, destiné à des citoyens infantilisés ?

Cette réduction de la complexité géopolitique du conflit et la psychologisation de ses enjeux conduisent les Européens à fixer, par naïveté ou opportunisme, des objectifs diplomatiques inaccessibles. L’accord de paix proposé par Washington propose peut-être des concessions territoriales inadmissibles pour l’Ukraine, mais il va au plus loin de ce que permet le droit en termes de garanties de sécurité. Vouloir obtenir la certitude que les rapports entre Kiev et Moscou ne se détérioreront pas à nouveau une fois qu’un accord de paix sera signé, ou que la Russie n’a pas d’ores et déjà prévu de ne pas tenir sa parole est par définition illusoire. Imaginer que la présence de troupes occidentales puisse être plus dissuasive qu’une garantie de riposte identique à celle que prévoit l’OTAN en cas d’agression d’un de ses membres l’est probablement tout autant.

L’Ukraine ne peut en revanche avoir aucune illusion quant à sa disparition comme nation souveraine si l’Europe refuse de se saisir de l’occasion de mettre un terme au conflit, en signant un accord qui reprend les principales lignes rouges établies dans le protocole de Minsk, mais en offrant cette fois à l’Ukraine des garanties légales que l’accord sera respecté. Est-ce lui rendre service, ou plus exactement, à qui ce pourrissement du conflit est-il destiné à rendre service ?

Nous proposons ici la lecture de l’analyse proposée par l’essayiste Laurent Ozon, qui explique pourquoi la France s’honorerait à promouvoir cet accord plutôt qu’à retarder la paix, même si nous n’avons malheureusement aucun doute sur le fait qu’elle s’y emploiera avec détermination. Je pense ici à ce lapsus troublant, commis par le chef de l’État au lendemain du sommet de l’Alaska, à propos de la présence de troupes françaises en Ukraine. Interrogé sur la possibilité d’une riposte militaire de la France, selon ce scénario, en cas de nouvelle agression russe, il avait répondu : « C’est l’objectif. »

https://twitter.com/LaurentOzon/status/1992518002131050513?s=20

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