Provocation
Emmanuel Macron invite le président islamiste de la Syrie à rejoindre la lutte contre Daesh
En marge du sommet sur le climat, Emmanuel Macron a enjoint son homologue syrien, leader du groupe djihadiste HTS anciennement affilié à Al-Qaïda, à rejoindre la « coalition internationale de lutte contre Daech », quelques heures après la levée des sanctions internationales contre le président par intérim de la Syrie.
Emmanuel Macron s’est rendu jeudi dernier au Brésil en amont de la prochaine conférence des Nations unies sur le climat qui débutera officiellement lundi. En marge du sommet des chefs d’État organisé à cette occasion à Belém, Emmanuel Macron a appelé le président syrien Ahmed al-Charaa à « rejoindre la coalition internationale de lutte contre Daech », quelques heures après son absolution par l’ONU, présentée par le chef de l’État comme une « reconnaissance de la stratégie française ».
Le chef de l’État a chaleureusement salué son homologue, plus connu sous le nom d’Abu Mohammad al-Julani, qu’il avait accueilli en héros le 7 mai dernier à l’Élysée, moins de six mois après la destitution de Bachar al-Assad et la longue séquence de violences qui s’en est suivie.
L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) évalue à 10 000 le nombre de personnes tuées en Syrie depuis la chute du régime d’al-Assad, essentiellement des civils (7 449), dont plus de 2 000 pour le seul mois de mars. Bien que des atrocités aient été commises dans les deux camps, une grande partie de ces massacres est attribuée à des combattants sunnites proches du nouveau pouvoir de Damas, avec pour cible principale des membres issus de la communauté alaouite, attachée à l’ancien président, ou de certaines minorités religieuses, dont les chrétiens. Plus de 2 500 exécutions sommaires auraient ainsi été recensées par l’OSDH, qui dénonçait début août une « escalade dramatique des exécutions extrajudiciaires pour des raisons sectaires et politiques ».
Le chef de l’État français a enjoint son homologue syrien à mener des poursuites judiciaires à l’encontre des auteurs de ces crimes que le régime en place est accusé de protéger, le nouveau président ayant notamment retardé la publication du rapport de la commission d’enquête sur les massacres commis en mars dernier :
Malgré ce bilan choquant, les autorités syriennes n’ont pris aucune mesure pour demander des comptes aux responsables. Au contraire, elles se sont efforcées à plusieurs reprises de dissimuler les auteurs et d’effacer les faits.
Un exemple parmi tant d’autres est l’enquête troublante menée par la commission d’enquête, créée pour enquêter sur les atrocités et les violations commises sur la côte syrienne, dont les conclusions contredisent les faits, les développements sur le terrain et les témoignages oculaires, sans parler des massacres récemment commis à al-Suwaidaa.
Ironiquement, les auteurs des massacres commis sur la côte syrienne et à al-Suwaidaa sont toujours en liberté et jouissent de leur entière « liberté ».
https://www.syriahr.com/en/367457/
Le président par intérim a-t-il encouragé ces massacres dans le but de fédérer la communauté sunnite contre un ennemi commun ? Le chercheur Thomas Pierret (IREMAM-CNRS), maître de conférences en islam contemporain à l’université d’Édimbourg, déclarait en mars dernier ne pas partager pas cette analyse. La responsabilité personnelle d’al-Charaa se situerait principalement dans son impuissance à contenir l’aile la plus radicale du nouveau régime, mis en place grâce à l’offensive victorieuse du groupe islamiste HTS (Hayat Tahrir al-Sham, ou Hayat Tahrir al-Cham – HTC), dont al-Charaa est le leader.
Le portrait du nouveau président dressé au lendemain de la prise de Damas le présente effectivement comme un repenti au « long parcours de djihadiste », tout en émettant des réserves sur la sincérité de son revirement idéologique. Public Sénat rappelle les grandes lignes de son ascension au sein de la mouvance djihadiste, depuis sa radicalisation, au début des années 2000 et son engagement au sein d’Al-Qaïda, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Avec le soutien de l’État islamiste (Daesh), il fondera en 2011 le groupe salafiste al-Nostra, affilié à Al-Qaïda de 2013 à 2016 après la rupture d’al-Charaa avec Daesh. Il rompra avec Al-Qaïda en 2016 et fondera HTS un an plus tard, par la fusion d’al-Nostra et de plusieurs autres groupes rebelles syriens[1]. Il assure aujourd’hui avoir changé et vouloir assurer une transition pacifique vers un nouveau régime garantissant une stabilité aux minorités religieuses.
La France est le premier pays occidental dans lequel il avait choisi de se rendre, en mai dernier, depuis sa nomination comme président par intérim de la Syrie, en réponse à l’invitation du chef de l’État, lancée en février. Ont-ils évoqué à cette occasion les attentats commis à Paris en 2015 par l’État islamique ? Bien qu’al-Charaa ait déjà pris à l’époque ses distances avec Daesh, il avait salué les attaques perpétrées notamment au Bataclan, en évoquant « une opération réussie » :
Nous sommes heureux de voir qu’une secte déviante a été en mesure de mener une opération réussie contre les kufars (infidèles).
https://europeanconservative.com/articles/news/macron-al-sharaa-handshake-outrage/
À quelques jours des commémorations de ces attentats, la proposition d’Emmanuel Macron et la chaleur de l’accolade donnée au président syrien résonnent donc comme un nouveau pied de nez adressé aux victimes et à leurs familles. Cette provocation semble toutefois presque anecdotique au regard de celle adressée le jour même par l’Organisation des Nations unies, qui a officiellement radié l’ancien djihadiste de la liste des sanctions contre Al-Qaida, et qui a levé l’ensemble des sanctions votées à son encontre en 20https://press.un.org/en/2013/sc11077.doc.htm13, trois jours après lui avoir accordé une dérogation de voyage internationale :
« C’est maintenant la chance de la Syrie de la grandeur », a déclaré le représentant des États-Unis, dont la délégation a parrainé la résolution. Avec l’adoption d’aujourd’hui, le Conseil envoie un « signal politique clair » en reconnaissance de la « nouvelle ère » de la Syrie, a-t-il déclaré, notant que le nouveau gouvernement s’efforce de remplir ses engagements en matière de lutte contre le terrorisme. La radiation décidée aujourd’hui aidera à donner au peuple syrien la meilleure chance possible pour un avenir stable et prospère, a-t-il déclaré.
ONU. Le Conseil de sécurité adopte la résolution 2799 (2025), retirant le président de transition et le ministre de l’Intérieur syriens de la liste des sanctions contre l’EIIL (Daech) et Al-Qaida. 2025 Nov 6.
Le retour en odeur de sainteté du président syrien semble en réalité définitivement consommé grâce la magie de la real politik. Le statut d’« organisation terroriste étrangère » de HTS a été révoqué le 8 juillet dernier par le département d’État américain. Son leader sera reçu demain à la Maison-Blanche, où on a pu l’apercevoir jouant au basket avec des militaires américains.
Une visite historique – la première depuis 1946 – selon Le Monde, qui « consacre l’alliance de l’ancien djihadiste avec les États-Unis ». L’objectif de cette rencontre serait de discuter de l’instauration d’une présence de l’armée américaine sur la base aérienne de Damas, dans le cadre d’un pacte de sécurité entre Israël et la Syrie. « C’est un peu comme si Oussama Ben Laden revenait d’entre les morts pour diriger une “transition inclusive” sous le regard attendri des chancelleries », écrit le compte X Brainless Partisan.
Note
[1] Voir le rapport national sur le terrorisme de 2022 du département d’État américain : https://www.state.gov/wp-content/uploads/2023/11/Country_Reports_on_Terrorism_2022-v3.pdf#page=265