Point de bascule
Effondrement du front ukrainien, Zelensky s’enfonce dans le déni
Le président ukrainien a rejeté jeudi la trêve proposée par son homologue russe. L’objectif de ce cessez-le-feu était de permettre à la presse d’accéder à trois zones du front est de l’Ukraine, où les forces russes affirment avoir encerclé des unités ukrainiennes. L’une d’elles, Pokrovsk, pourrait être le point de bascule du conflit.
Moins de soixante-douze heures après la déclaration du ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrod, sur l’imminence de l’effondrement de l’armée russe, l’annonce de la prise stratégique de la ville de Pokrovsk, à l’est du Donbass, est en passe d’être confirmée. Deux autres villes clés sont également sur le point de tomber aux mains des Russes : Koupyansk (Kharkiv), dont le politologue Hervé Carresse affirmait il y a quelques jours qu’elle était quasiment conquise, et Dymytrov (Donetsk), entièrement encerclée depuis le 29 octobre.
Mercredi dernier, en conférence de presse, Vladimir Poutine a invité les médias internationaux à rendre visite aux milliers de soldats ukrainiens qui seraient actuellement encerclés près de Koupyansk, Krasnoarmeysk (Pokrovsk) et Dymytrov (Myrnohrad), afin que les dirigeants ukrainiens puissent décider de leur sort sur la base d’informations objectives. Le ministère de la Défense a reçu le lendemain l’ordre de Vladimir Poutine d’organiser un accueil de la presse dans les trois enclaves concernées où seraient piégés plus de 10 000 soldats. Une trêve de 5 à 6 heures a été proposée par le chef du Kremlin afin de garantir des couloirs sécurisés aux journalistes étrangers :
Dans deux endroits, comme vous le savez – dans les villes de Koupyansk et Krasnoarmeysk – l’ennemi s’est retrouvé bloqué et encerclé. D’ailleurs, j’ai discuté de cette question avec les commandants du groupement de troupes concerné. Ils ne sont pas opposés à ce que des représentants des médias – journalistes étrangers et ukrainiens – soient autorisés à entrer dans la zone d’encerclement pour voir de leurs propres yeux ce qui s’y passe et constater l’état dans lequel se trouvent les unités ukrainiennes encerclées.
https://twitter.com/i/status/1983565866630259126
Et afin que la direction politique de l’Ukraine prenne la décision appropriée concernant le sort de ses citoyens et de ses militaires – comme cela avait été fait autrefois à Azovstal.
Ils auront cette possibilité.
La seule chose qui nous préoccupe est qu’il n’y ait aucune provocation du côté ukrainien. Nous sommes prêts à suspendre les opérations militaires pendant un certain temps, quelques heures – deux, trois, six heures – pour que des groupes de journalistes puissent entrer dans ces localités, voir ce qui s’y passe, parler avec les militaires ukrainiens et repartir.
Cette proposition fait suite aux déclarations de l’ancien commandant par intérim de la brigade Azov, Bohdan Krotevich, qui s’est publiquement interrogé, il y a quelques jours, sur la déconnexion du régime de Kiev de la réalité de la situation militaire : « Zelensky ne réalise peut-être pas pleinement la gravité de la situation dans les forces armées ukrainiennes. »
L’ouverture d’un accès à la presse est en réalité plus une occasion d’alerter l’opinion publique sur le déni du président Zelensky, dont les députés de son propre parti estiment que leur armée est au bord de l’effondrement, ce que dément le Commandant en chef des forces ukrainiennes, le général Oleksandr Syrskyi. Il aurait déclaré le 30 octobre, après un déplacement sur la ligne de front, que « les affirmations russes selon lesquelles les forces ukrainiennes seraient encerclées à Pokrovsk ou à Myrnohrad étaient fausses ».
Comme on pouvait s’y attendre, Kiev a rejeté le jour même la proposition d’un cessez-le-feu, en menaçant publiquement les médias qui seraient tentés d’accepter l’invitation de « conséquences juridiques et réputationnelles à long terme » :
Franchement, je ne recommande à aucun journaliste de se fier aux propositions de Poutine concernant les « couloirs » en zone de guerre. J’ai constaté de visu comment de telles propositions se concrétisent, le 29 août 2014 à Ilovaysk.
https://x.com/SpoxUkraineMFA/status/1983900560836173981
Le seul objectif de Poutine est de prolonger la guerre. Et il n’a jamais respecté aucun de ses engagements de cessez-le-feu. Ne l’aidez pas à justifier ses crimes par des provocations russes contre les journalistes.
Je rappelle également à tous les médias que toute visite en territoire occupé par la Russie sans l’autorisation de l’Ukraine constitue une violation de notre législation et du droit international. Elle aura des conséquences juridiques et réputationnelles à long terme. Nous surveillons la situation de près.
LCI évoque aujourd’hui une contre-offensive de l’armée ukrainienne dans la région de Pokrovsk. La chaîne fait allusion à l’opération aéroportée « Blakhawk », menée par une unité des forces spéciales du renseignement ukrainien (GUR) dont le ministère de la Défense russe a confirmé hier qu’elle avait été entièrement éliminée avant d’atteindre son objectif : planter un drapeau ukrainien à côté du panneau de la ville de Prokovst, filmer la scène à l’aide d’un drone Marvic et diffuser les images sur les réseaux sociaux (voir le fil complet des événements ici).
Comme nous l’avons déjà expliqué dans Le Point critique, le conflit russo-ukrainien est une guerre d’attribution, méthodique et donc nécessairement longue, dont la stratégie est centrée sur l’épuisement humain et matériel. Selon John Mearsheimer, professeur de relations internationales à l’université de Chicago, cette guerre a été définitivement perdue par l’Ukraine il y a plusieurs mois :
Le fait est que les Russes sont en train de gagner sur le champ de bataille. Et les Ukrainiens ne peuvent rien faire pour inverser la tendance et reconquérir les territoires perdus. Cela n’arrivera pas. Si l’Ukraine poursuit la guerre, elle perdra davantage de vies humaines et de territoire, et finira par devenir un État résiduel dysfonctionnel. C’est une catastrophe. Zelensky aurait dû mettre fin à cette guerre depuis longtemps.
https://twitter.com/i/status/1984424859091321121
À Prokovsk, les premiers soldats ukrainiens ont commencé à se rendre. Ils décrivent une situation militaire désespérée, comme en attestent les images diffusées sur les réseaux sociaux, et une trahison de la part de leur commandement. L’état-major ukrainien concède une situation difficile, mais Volodymyr Zelensky n’a toujours pas donné à ses hommes l’ordre de se constituer prisonniers. Il a répondu à la proposition de cessez-le-feu par l’annonce de frappes à distance contre la Russie et par le lancement de la production d’un missile longue portée ukrainien.
Cette stratégie semble toutefois relever d’une forme de désespoir. Sur le terrain, les généraux ukrainiens tentent de rassembler des réserves pour préparer une contre-offensive, fragilisant ainsi d’autres fronts stratégiques (Soumy, Kharkiv, Kherson) d’où ils sont amenés à retirer des brigades entières.
Le diagnostic que porte le Pr Mearsheimer est aujourd’hui partagé par l’ensemble des observateurs indépendants. Celui d’une extrême corruption du régime de Kiev l’est désormais également par le journal Politico, qui accuse le président ukrainien « d’utiliser la guerre pour monopoliser le pouvoir à un point tel que cela menace la démocratie du pays ». Il se pourrait que Pokrovsk ne soit pas uniquement un tournant sur la ligne de front, mais un point de bascule dans le soutien médiatique du narratif otano-kiévien, de plus en plus fragilisé.