Hara-kiri programmé

Équipe Le Point Critique | 19 octobre 2025

Budget 2026, la farce démocratique mise en scène par l’opposition

Le budget 2026 sera-t-il mis en œuvre par ordonnances pour faire échouer le projet de suspension de la réforme des retraites, arraché par les socialistes ? Ce scénario se profile en raison du calendrier législatif et du véhicule retenu par le Premier ministre. Une alternative inédite se dessine toutefois aujourd’hui, mais le rappel à l’ordre de la Commission européenne pourrait doucher les ultimes espoirs de l’opposition.

Olivier Faure au lendemain de la démission de Sébastien Lecornu, le 6 octobre 2025

Les deux motions de censure déposées par l’opposition à l’encontre du nouveau gouvernement de Sébastien Lecornu ont été rejetées jeudi par l’Assemblée nationale. Celle portée par La France insoumise (LFI) a échoué à seulement 18 voix près grâce au soutien apporté par le Parti socialiste (PS) et les Républicains (LR), qui se sont chacun affranchis du cadre éthique qu’ils avaient préalablement fixé. Le premier a refusé de censurer un budget qu’il avait jugé inacceptable un mois plus tôt, le second a estimé que les trois lignes rouges désignées le 7 septembre dernier n’étaient plus d’actualité : pas d’impôts supplémentaires, pas de baisse des retraites et une baisse des dépenses.

Les Républicains avaient donc appelé à ne pas censurer la nouvelle équipe gouvernementale à l’issue de la déclaration de politique générale de Sébastien Lecornu, prononcée le 14 octobre, malgré la hausse massive des prélèvements (+ 14 milliards) et des dépenses publiques (+ 10,5 milliards), et malgré le gel des pensions prévus dans la copie présentée par le Premier ministre[1],[2]. Cette ligne a été maintenue en dépit de l’annonce d’une suspension de la réforme des retraites jusqu’en 2027, dont le Premier ministre avait malicieusement rappelé qu’elle ne signifiait pas son abrogation.

Le chantage autour de la réforme des retraites

La trahison la plus spectaculaire vient toutefois probablement du PS, qui a tenté de donner l’illusion qu’il avait négocié une avancée sociale. Seuls sept députés, versus un dans le camp républicain, ont refusé de suivre la consigne donnée par le chef de file du groupe à l’Asemblée nationale, Olivier Faure, qui avait fait de la suspension de la réforme des retraites le juge arbitre de la position du parti. Le budget 2026, pourtant présenté comme une copie quasi conforme de celui de François Bayrou, désavoué à l’unanimité par la gauche le 8 septembre dernier, sera donc débattu à partir de lundi en commission des Finances, où les députés auront plus de 1 800 amendements à examiner en l’espace de trois jours, puis vendredi dans l’hémicycle, en séance publique.

Le Parlement dispose respectivement de 50 et 70 jours pour parvenir à un accord sur le budget général et sur celui de la Sécurité sociale. S’il ne parvient pas à se prononcer sur un texte d’ici le 23 décembre, la Constitution autorise le Gouvernement à mettre en vigueur par ordonnances les dispositions prévues dans l’actuel budget (article 47). Il aura alors les mains libres pour imposer l’ensemble des mesures proposées par le Premier ministre. Si le budget est finalement voté par les parlementaires, le texte devra ensuite franchir deux étapes décisives avant sa promulgation définitive, dont l’échéance est fixée au 31 décembre : celle du Sénat et du Conseil constitutionnel, qui devrait en toute logique retoquer le texte, comme il l’avait fait pour le précédent budget, au motif qu’il constitue un cavalier législatif.

En supposant que l’amendement fasse exception à cette règle, peut-on imaginer que la suspension de la réforme des retraites survive à un parcours et un calendrier aussi contraints ?

Le choix du véhicule législatif, un hara-kiri programmé

Sébastien Lecornu s’est engagé mardi dernier à déposer un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), ce dernier ayant été transmis au Parlement et ne pouvant donc être modifié avant son examen en séance, comme le demandaient Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Le projet de loi sera débattu dans l’hémicycle à partir du 4 novembre, après son examen en commission des Affaires sociales, qui commencera jeudi 23 octobre. L’alternative aurait été de déposer un projet de loi spécifique, mais ce n’est pas la solution qui a été retenue par le Premier ministre. L’objectif annoncé est d’aller vite, du moins officiellement.

En pratique, cette stratégie garantit que la suspension de la réforme ne verra jamais le jour. À supposer que l’amendement soit déposé par le Gouvernement (ce que l’opposition n’est pas habilitée à faire selon les termes de la Constitution) et qu’il soit adopté en séance, il ne pourra toutefois être maintenu que si l’ensemble du projet de loi est voté. Or celui-ci prévoit actuellement 7 milliards d’économies sur la santé, hors coût de la suspension de la réforme estimé à 400 millions d’euros par Sébastien Lecornu.

Au-delà de cette difficulté, la date du vote solennel étant prévue le 12 novembre, les députés de disposeront en pratique que de huit jours pour débattre du texte dans l’hémicycle. Celui-ci sera ensuite examiné par le Sénat, où l’on sait d’ores et déjà que l’amendement de suspension sera rejeté, avant d’être débattu en commission mixte paritaire pour tenter d’élaborer une version de compromis. Si celle-ci s’avère conclusive, le texte devra alors être voté par les deux chambres. Dans le cas contraire, la navette parlementaire se remettra en marche, pour aboutir en seconde lecture à l’Assemblée nationale.

Or là encore, si rien n’est officiellement joué avant l’heure, on ne voit pas par quel miracle la suspension de la réforme des retraites serait votée en CMP compte tenu de la couleur politique de la commission, composée à 60 % de parlementaires issus du « socle commun ». A contrario, si elle réussit à franchir cette étape, il est peu probable que le Parlement réussisse à voter le texte avant la date butoir du 31 décembre. Quelle que soit l’issue de ce marathon législatif, le Sénat y jouera donc un rôle déterminant comme le sénateur Malhuret l’a rappelé à l’issue de la déclaration de politique générale de Sébastien Lecornu devant le Sénat :

Votre problème n’était pas d’acheter les socialistes, il était de ne pas les payer au prix qu’ils estiment. Et malheureusement, permettez-moi de vous le dire, vous avez payé très cher. […]
C’est pourquoi le Sénat va vous aider, pas à faire plaisir aux socialistes, mais à leur résister. Certes, nous n’avons pas le dernier mot, mais nous pouvons faire beaucoup comme nous l’avons fait pour le budget 2025.
Nous allons d’abord purger le PLF et le PLFS de tout ce qui va dans le mauvais sens. Nous allons leur ajouter, tout ce qui va dans le bon sens. Puis nous continuerons le travail en commission paritaire, commission mixe paritaire ou comme l’an dernier les parlementaires raisonnables, les parlementaires raisonnables sont plus nombreux que ceux qui sont toujours prêts, même lorsqu’ils sont à jeun à dépenser plus que des marins ivres. Puis nous recommencerons en deuxième lecture et nous serons alors en fin d’année et parmi tous les scénarios possibles que vous connaissez, celui où à la fin des fins la raison l’emporterait n’est pas du tout le moins probable. Voilà notre feuille de route des prochains mois. Comme vous le dites, le gouvernement proposera, nous débattrons, nous voterons. Nous vous donnons rendez-vous, monsieur le premier ministre.

Le pseudo pari d’Olivier Faure

Compte tenu de la complexité du calendrier législatif, le choix du véhicule retenu par le Premier ministre pour suspendre la réforme des retraites ouvre donc potentiellement la voie à une mise en œuvre inédite des dispositions actuelles du PLFSS par ordonnance, c’est-à-dire à l’application du budget le plus austère jamais conçu et dont la suspension de la réforme serait alors exclue.

Si celle-ci n’est pas le seul obstacle que l’on puisse redouter à la tenue des délais fixés par la Constitution, elle pourrait jouer un rôle déterminant dans cette future catastrophe démocratique si les députés socialistes s’arcboutent sur ce texte. La sénatrice communiste Cécile Cukierman avait sur ce principe mis en garde ses collègues, la veille du vote, en les enjoignant à voter la censure plutôt qu’à se satisfaire d’un utopique trophée :

Ce que dit Claude Malhuret est le meilleur argument en faveur de la censure et les députés de gauche doivent l’écouter. Le budget se fera ici au Sénat, il y aura une CMP. Celles et ceux qui croient que des mesures progressistes résisteront à ce passage se trompent, et ils seront responsables devant le peuple de ne pas les avoir respectés dès le début.

https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/reforme-des-retraites-le-budget-se-fera-au-senat-la-suspension-est-un-leurre-avertit-cecile-cukierman-pcf

Or c’est précisément le Parti socialiste qui est à l’origine du choix de ce véhicule législatif (et qui ne l’a donc pas récusé, malgré le risque d’échec évident d’une telle « stratégie »), ce qui lui vaut d’être aujourd’hui accusé d’avoir négocié son maintien au Parlement en empêchant la dissolution de l’Assemblée et la convocation de nouvelles élections.

Pour tenter de contourner ce scénario catastrophe, Marine Le Pen et Éric Coquerel ont repris successivement ce week-end la suggestion d’un universitaire constitutionnaliste, Benjamin Morel, qui explique qu’il existe une « troisième voie entre l’amendement au PLFSS et un nouveau projet de loi » qui permettrait de sauver la suspension de la réforme et de s’assurer qu’elle ne soit pas censurée par le Conseil constitutionnel en tant que cavalier législatif. Ils demandent à ce titre à Sébastien Lecornu de déposer en urgence une « lettre rectificative » au PLFSS afin de garantir qu’en cas de dépassement du délai de 50 jours les ordonnances ne puissent exclure la « suspension » de la réforme des retraites bien que celle-ci ne figure pas dans le texte intial.

Le rappel à l’ordre de Bruxelles

La balle est donc dans le camp du Premier ministre, mais il est peu probable qu’il accède à la demande de l’opposition.

Vendredi dernier, la France a subi pour la deuxième fois en un mois (la troisième en un an) une dégradation de la note de sa dette souveraine. Standard & Pool’s devait se prononcer le 28 novembre, mais l’agence a estimé au lendemain de l’annonce d’une possible remise en cause de la réforme des retraites que l’incertitude sur les finances publiques était suffisamment élevée pour qu’elle anticipe la publication de son évaluation. L’agence Moody’s doit rendre sa copie le 24 octobre, mais la plupart des observateurs s’attendent à ce qu’elle confirme cette tendance.

Le mythe du Mozart de la finance qui allait transformer la France en eldorado pour les investisseurs a fait, semble-t-il, long feu. Celle de l’asssassin économique sous contrat, placé par les créanciers de la nation pour l’asphyxier sous le poids de la dette, fait peu à peu son chemin dans les consciences. Peut-on encore trouver une autre explication à ce massacre des finances publiques et à cette tiers-mondisation du pays, qui ne provoquent aucune réaction chez celui qui en porte en dernière instance la responsabilité ?

Le journal Politico a confirmé en fin de semaine que l’Union européenne pourrait supprimer les fonds budgétaires destinés à la France si elle renonce à mettre en œuvre la réforme des retraites :

La Commission européenne envisage de lier la réforme des retraites aux versements en espèces provenant du prochain budget de 2 000 milliards d’euros de l’UE, afin de protéger les finances des pays membres d’une crise démographique imminente.
Trois hauts fonctionnaires de l’UE ont déclaré à POLITICO que les instances législatives économiques et financières de l’exécutif européen envisageaient de renforcer les systèmes de retraite publics défaillants des pays en recommandant des politiques d’épargne-retraite à chaque pays.
Si les capitales européennes ignorent ces recommandations spécifiques à chaque pays, elles risquent de ne pas obtenir leur part intégrale du budget septennal de l’UE à partir de 2028.

https://www.politico.eu/article/eu-funds-pension-systems-budget-legal-protests/

Le PS affirme aujourd’hui qu’il ne s’est pas fait manipuler et brandit la menace d’une future censure. Peut-on imaginer que si Sébastien Lecornu cède au chantage pratiqué par Bruxelles, le point de rupture de ce marché de dupes sera officiellement atteint ?


Références

[1] Projet de loi de finances pour 2026, n° 1906, déposé le mardi 14 octobre 2025 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b1906_projet-loi#.

[2] Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2026, n° 1907, déposé le mardi 14 octobre 2025 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/textes/l17b1907_projet-loi#.

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