Piraterie
Flotte fantôme russe, le fiasco de l’opération pirate française
Le pétrolier présumé russe arraisonné il y a trois jours par un commando français a repris sa route le 2 octobre. Aucun drone ni opérateur n’a été découvert à l’issue de la perquisition, dont cette saisie était l’objectif officieux. La presse allemande confirme aujourd’hui que les survols de drones à l’origine de cet emballement n’ont probablement pas été commandités par la Russie, les trois Allemands arrêtés en Norvège ayant été libérés le jour même.

La Marine nationale française a arraisonné mercredi, au large de l’île d’Ouessant (Finistère), un pétrolier présumé appartenir à la flotte fantôme russe, constituée dans le cadre de la guerre en Ukraine pour contourner les sanctions occidentales et permettre à Moscou d’acheminer clandestinement des hydrocarbures à ses partenaires commerciaux. Le tanker avait été repéré le 27 septembre au large du parc éolien de Saint-Nazaire, en bordure des eaux territoriales françaises. Il stationnait depuis trois jours dans la zone, où sa présence avait été jugée suffisamment inquiétante pour que le procureur de la République de Brest dépêche une enquête.
Sébastien Lecornu s’est félicité jeudi matin de l’intervention des commandos français qui auraient abouti au placement en garde à vue du commandant du navire et de son second. Le bâtiment a repris sa route quelques heures du tard, mais le capitaine, de nationalité chinoise, devra comparaître en mars prochain pour avoir refusé d’obtempérer aux injonctions de la Marine française lui demandant de décliner l’identité de son bâtiment :
Le tanker, connu sous les noms de Pushpa ou Boracay, et battant pavillon béninois, a été arraisonné alors qu’il se trouvait au milieu de la zone économique exclusive (ZEE), située entre les eaux territoriales et internationales, où la France n’a aucune compétence juridictionnelle pour intervenir, du moins « en temps de paix », ce qui est actuellement le cas.
Le journaliste Didier François, ex-résident permanent de LCI, a expliqué sur le plateau de BFM « les coulisses » de l’opération. L’État major des armées aurait mobilisé l’ensemble de ses équipes juridiques pour tenter de déterminer une faille légale autorisant la perquisition du bâtiment. Il la justifie aujourd’hui en invoquant l’article 110 de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) qui permet de perquisitionner un navire en haute mer, c’est-à-dire dans les eaux internationales, s’il « peut faire la démonstration que le pavillon arboré n’est pas le bon ».
Or le chef d’accusation de défaut de justification de la nationalité n’a finalement pas été retenu par le procureur, ce qui assimile l’intervention des commandos français à un vulgaire acte de piraterie et requalifie de facto le premier chef d’accusation en refus d’obéir à un ordre illégal.
Le navire est également soupçonné par les autorités danoises d’avoir servi de base à une « attaque coordonnée » de drones, le 22 septembre dernier, qui s’est concrétisé par le survol de plusieurs sites sensibles, notamment l’aéroport de Copenhague. L’AFP a décortiqué le trajet du Pushpa qui confirmerait cette thèse, l’objectif officieux de la perquisition étant de recueillir les preuves matérielles de l’implication de la Russie dans ces violations du ciel européen et d’interpeller les opérateurs ayant procédé au lancement des drones.
Emmanuel Macron s’est exprimé à ce sujet en marge du sommet de la Communauté politique européenne (CPE) organisé précisément dans la capitale danoise, le 1er et le 2 octobre. S’il s’est montré prudent mercredi, en rappelant que les incursions de drones au Danemark n’étaient « pas aujourd’hui attribuées », il a officiellement accusé la Russie le lendemain, tout en affirmant que l’Europe ne serait « jamais dans l’escalade » :
Les incursions de drones dans le ciel européen concernent actuellement une dizaine de pays, où des incidents auraient été signalés au cours des derniers mois : la Lituanie, la Lettonie, le Danemark, la Roumanie, la Pologne, l’Estonie, l’Allemagne, la France et plus récemment la Norvège. Le blogueur Xavier Tytelman avait abondamment communiqué sur la responsabilité probable de la Russie dans ces « attaques », dont le mobile a été présenté sur France Culture par une journaliste et une chercheuse françaises :
La Russie multiplie les survols de drones, car elle est « à la recherche d’informations […] concernant le niveau d’unité au sein de l’Union européenne [traversée par des] courants contraires [qu’elle] compte bien exploiter, le cas échéant ». C’est aussi une manière de tester le « niveau d’unité entre les États-Unis et les Européens alliés de l’Ukraine ». Mais surtout, « la Russie cherche à nous pousser à la faute pour pouvoir nous blâmer en cas de réaction fébrile, prématurée, qui pourrait être qualifiée d’agression de leur part ». Par ces agissements, elle cherche « à rentrer dans le jeu politique et à établir avec nous un dialogue ».
Cette hypothèse, qui est aujourd’hui au cœur de la stratégie de l’Élysée pour pousser l’Europe à renforcer sa défense, vient à son tour de subir un revers après la confirmation, par le quotidien Bild, de la nationalité des lanceurs de drones dans le périmètre de sécurité autour de l’aéroport de Røssvoll en Norvège. Selon le journal, la police norvégienne aurait arrêté trois Allemands d’une vingtaine d’années, avant de les relâcher quelques heures plus tard. Un ressortissant chinois aurait également été expulsé pour des faits similaires concernant un second aéroport.
Les services secrets norvégiens auraient également confirmé que « les observations de drones n’avaient jusqu’à présent pu être attribuées à aucun acteur étatique », contrairement à ce dont le chef du gouvernement suédois Ulf Kristersson demeure convaincu, mais dont il convient que rien ne permet aujourd’hui d’étayer une telle hypothèse.
C’est donc un nouveau camouflet que la presse étrangère vient d’infliger au chef de l’État qui déclarait le 1er octobre, dans les colonnes du Franckfurter Allgemeine, et comme il l’a rappelé le lendemain, en clôture du sommet de Copenhague : « Pour que les sanctions deviennent encore plus efficaces, nous devons nous concentrer sur la flotte fantôme. »
Le 19e paquet de sanctions, dont cette nouvelle stratégie est supposée être la clé du succès, s’annonce donc a priori aussi efficace que les 18 précédents.