Défi Tylenol
Le laboratoire Johnson & Johnson a dissimulé des preuves « accablantes » de l’impact du paracétamol sur l’autisme
Aux États-Unis, des vidéos de femmes enceintes se filmant en train d’ingérer du paracétamol afin de démontrer qu’il ne provoque pas l’autisme circulent massivement sur les réseaux depuis le 23 septembre. Des documents internes démontrent pourtant que le fabricant du Tylenol, le nom commercial du paracétamol aux États-Unis a estimé en 2018 que les preuves de ce lien étaient accablantes.

Les vidéos de femmes enceintes ayant choisi de relever le défi Tylenol se multiplient sur le réseau Tik Tok depuis l’annonce par l’administration Trump de nouvelles recommandations visant à limiter l’usage du paracétamol (acétaminophène) pendant la grossesse en raison de son possible lien avec l’autisme.
L’étude qui a mis le feu aux poudres
Les femmes qui ont choisi de relever le défi Tylenol affirment le faire au nom de la science, pour démontrer que le Tylenol – la marque commerciale du paracétamol aux États-Unis – ne présente aucun danger pendant la grossesse et que l’annonce du tandem Trump/Kennedy relève de l’obscurantisme :
Nous écoutons la science, pas Donald Trump.
Est-ce vraiment ce que dit la science ?
L’annonce de Donald Trump fait suite à la publication le 14 août[1] revue de la littérature dirigée le doyen de l’École de santé publique de Harvard, qui retrouve des associations positives entre l’exposition prénatale au Tylenol et le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et l’autisme dans 63 à 70 % des cas.
Les résultats de l’étude ont provoqué un tollé dans la communauté scientifique qui persiste à recommander le paracétamol chez la femme enceinte en raison des risques associés à la fièvre en début de grossesse sur le développement du fœtus.
Le directeur de l’association Autistic Self Advocacy Network, Colin Killick, dénonce aujourd’hui la « folie » de la nouvelle recommandation de l’administration Trump qu’il accuse de « se jouer des faits pour donner l’impression qu’il y a un lien plutôt que de faire de la science ». Le même catastrophisme est exprimé par l’Association psychiatrique américaine, qui « a mis en garde contre une décision qui pourrait nuire à la santé mentale des patients en contribuant à les rendre encore plus anxieux ».
L’obscurantisme du défi Tik Tok
Ces réactions ont pour l’instant produit essentiellement l’effet inverse en encourageant des prises irresponsables de Tylenol faute de clarifier ses indications et les risques associés à des doses excessives.
Avec quelles conséquences ?
L’infirmière Nicole Sirotek relatait le 24 septembre, sur son compte X, le cas d’une femme enceinte agonisante ayant développé une hépatite fulminante après avoir participé à ce défi et désormais sous respirateur :
J’ai reçu un appel paniqué à 4 heures du matin d’un mari à qui j’avais donné mon numéro de téléphone par quelqu’un qui le connaissait. Sa femme enceinte est maintenant sous respirateur, en train de mourir d’une insuffisance hépatique, et essaie de « prouver » que le Paracétamol ne provoque pas l’autisme, vu que c’est une tendance sur TikTok.
Le 26 septembre, une hépatologue franco-américaine, Sabine Hazan, publie à son tour un message à l’attention des femmes enceintes cherchant à défier le président américain en démontrant l’innocuité du Tylenol :
En tant qu’hépatologue et gastro-entérologue, je ne peux que souligner l’horreur qui se déroule sur des plateformes comme TikTok, où de jeunes femmes enceintes se filment en train d’ingérer du Paracétamol – semblant souvent dépasser les doses recommandées – dans une tentative dangereuse de défier les propos du président Trump sur ses liens potentiels avec l’autisme. […]
https://x.com/SabinehazanMD/status/1971610100478697872
Ces « défis » ne sont pas de l’activisme. C’est comme une roulette russe avec votre foie : les symptômes s’aggravent, des nausées au coma, et si la N-acétylcystéine peut atténuer une administration précoce, un retard de traitement est souvent synonyme de greffe ou de décès. Si ces vidéos vous tentent, arrêtez ; consultez un médecin, pas les réseaux sociaux, et rappelez-vous : aucun argument politique ne vaut votre vie ni celle de votre enfant.
Si vous avez ingéré une dose supérieure à celle recommandée de Tylenol, rendez-vous aux urgences dans les 24 heures pour obtenir l’antidote, sinon vous serez mort dans 4 à 18 jours…
Si vous avez pris du Paracétamol dans le cadre de ce défi et que vous êtes enceinte, et que vous avez survécu @Progenabiome analysera les selles de votre bébé gratuitement. Calmez-vous et cessez de haïr @realDonaldTrump ne vaut ni votre vie ni celle de votre bébé.
Le fabricant du Tylenol alerte depuis 2017
Dans son message, Sabine Hazan rappelle les risques neurodéveloppementaux mis en évidence par l’étude de Harvard, dont l’auteur principal est aujourd’hui accusé d’avoir perçu 150 000 dollars en 2023 pour témoigner à titre d’expert dans un procès visant Johson & Johnon, le fabricant de Tylenol. The Times dénonce un « témoignage peu fiable », les conclusions d’Andrea A. Baccarelli ayant été récusées par la juge faute de preuves scientifiques suffisantes.
En 2019, pourtant, le laboratoire Johson & Johnon rappelait que le Tylenol n’avait jamais été testé sur les femmes enceintes auxquelles il recommandait publiquement en 2017de ne pas l’utiliser pendant la grossesse :
Nous déconseillons en effet l’utilisation de nos produits pendant la grossesse. Merci d’avoir pris le temps de nous faire part de vos préoccupations aujourd’hui.
A-t-il pour autant alerté de façon transparente ?
Il semble qu’il l’ait fait a minima, pour se protéger contre de futures poursuites judiciaires.
La journaliste Emily Kopp rapporte aujourd’hui l’existence de documents internes à J & J démontrant que le laboratoire enquête depuis 2008 sur le risque d’autisme associé à la prise de Tylenol, notamment un mail de 2018 dans lequel il admet que « les preuves [de ce lien] deviennent “accablantes” » :
- 2008 : Le responsable du bureau de la sécurité médicale des consommateurs chez J & J reçoit une lettre d’un médecin exprimant ses inquiétudes. Il écrit dans un mail diffusé en interne : « Nous n’avons pas d’autre choix que de considérer cela comme un signal de sécurité qui doit être évalué » ;
- 2012 : La responsable de la surveillance de la sécurité des médicaments après leur mise sur le marché chez J & J reçoit une alerte d’un père inquiet au sujet des risques d’autisme. Un collègue la signale comme une urgence « au cas où cela serait rendu public » ;
- 2018 : La directrice américaine de l’épidémiologie chez Janssen, le nouveau nom du laboratoire adresse un e-mail à ses collègues dans lequel elle indique : « Le poids des preuves commence à me sembler lourd » concernant les associations entre l’utilisation prénatale de l’acétaminophène et les troubles neurodéveloppementaux tels que l’autisme.
Les avertissements publics du laboratoire reflètent-ils son niveau d’« inquiétude » ?
La réaction des agences sanitaires
À contre-courant du propre aveu du laboratoire, la Commission européenne a souhaité rassurer les femmes enceintes contre les annonces américaines, en citant sa précédente recommandation datée de 2019 qu’elle maintient sans réserve :
Le paracétamol reste une option importante pour traiter la douleur ou la fièvre chez la femme enceinte. Nos conseils sont basés sur une évaluation rigoureuse des données scientifiques disponibles et nous n’avons trouvé aucune preuve que la prise de paracétamol pendant la grossesse provoque l’autisme chez les enfants.
https://www.ema.europa.eu/en/news/use-paracetamol-during-pregnancy-unchanged-eu
Cette déclaration a été formulée le 23 septembre par Steffen Thirstrup médecin-chef à l’Agence européenne des médicaments (EMA) depuis 2022, qui a donc recommandé l’ensemble des injections anti-COVID dont il continue d’estimer qu’elles sont sûres et efficaces, en particulier chez la femme enceinte sur qui elles n’avaient jamais été testées.
En France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a confirmé le 25 septembre la recommandation de l’EMA concernant l’utilisation de paracétamol, qu’elle encourage de facto pendant la grossesse, y compris pour soulager les douleurs « d’intensité légère » et faire chuter la fièvre. Elle ne précise en revanche pas pourquoi elle invite les femmes à n’en prendre qu’exceptionnellement et sur avis médical, à condition qu’il n’existe aucune alternative thérapeutique.
Ce communiqué profondément ambigu et contradictoire est daté du 25 septembre, soit près d’un mois après la publication de la revue de Harvard. Peut-on considérer que son message est honnête ?
Référence
[1] Prada D, Ritz B, Bauer AZ, Baccarelli AA. Evaluation of the evidence on acetaminophen use and neurodevelopmental disorders using the Navigation Guide methodology. Environ Health. 2025 Aug 14;24(1):56. https://doi.org/10.1186/s12940-025-01208-0.