Mise au point
Zelensky ne peut légalement signer aucun accord de paix, selon Moscou
L’État russe assure par la voix de son président et de son chef de la diplomatie que Volodymyr Zelensky n’a pas autorité pour signer un accord de paix en vertu de la Constitution ukrainienne. Aucun traité n’aurait de valeur légale sauf si l’actuel président par intérim est reconduit à l’issue de nouvelles élections.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est exprimé lundi dans le cadre d’une interview accordée à la chaîne NBC News. Il a répondu aux propositions émises par Kiev et les Européens, en confirmant que Vladimir Poutine « était prêt à rencontrer » Volodymyr Zelensky, et en rappelant les conditions imposées par Moscou au déploiement d’un contingent de maintien de la paix sur le territoire ukrainien.
Concernant le second point, le chef de la diplomatie russe a rappelé que la proposition portée par la France de confier la sécurité de l’Ukraine à une coalition de nations étroitement engagées dans le conflit constituait une régression majeure par rapport à l’avancement du processus de paix, amorcé en 2022 à Istanbul :
Lors de ces négociations, le 3 avril 2022, la délégation ukrainienne a présenté un projet de principes visant à parvenir à un accord mettant fin à la guerre. Ces principes, paraphés par les deux délégations, prévoyaient, concernant les garanties de sécurité pour l’Ukraine, la création d’un groupe de garants. Ce groupe comprenait les membres permanents du Conseil de sécurité, la Russie, les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni et la France, ainsi que l’Allemagne, la Turquie et tout autre pays souhaitant rejoindre ce groupe.
Concernant le premier point, Sergueï Lavrov a insisté sur le fait que la rencontre entre les deux présidents devait être minutieusement préparée et donner lieu à des arbitrages concrets sur les enjeux du conflit, ce que Zelensky a formellement exclu en début de semaine dernière lors de son déplacement à Washington, et une nouvelle fois ce dimanche, à l’occasion de la fête de l’Indépendance, où il a qualifié d’« humiliation » toute perspective de compromis avec la Russie :
Le président Poutine a réitéré sa volonté de rencontrer le président Zelensky. […] Cette rencontre va réellement décider de ce que Zelensky pourrait faire. Permettre à Zelensky de prendre la parole à nouveau n’est pas ce que nous pensons être utile.
Nous ne sommes pas contre ses jeux et ses démonstrations, mais cela ne résoudra pas le problème, car il a déclaré publiquement qu’il ne discuterait d’aucun territoire, défiant ainsi le président Trump, qui, comme d’autres collègues américains, a déclaré que la question territoriale devait être abordée.
Il a clairement affirmé que personne ne pouvait l’empêcher d’adhérer à l’OTAN, ce qui remet catégoriquement en cause les propos du président Trump et bien d’autres.
Il a également déclaré qu’il ne rétablirait pas les droits des russophones et n’annulerait pas les lois adoptées bien avant les opérations militaires spéciales de 2019 au parlement ukrainien interdisant la langue russe, exterminant la langue russe, la culture russe, l’éducation russe, les médias russes et l’Église orthodoxe ukrainienne canonique.
Sergueï Lavrov est alors revenu sur un point sensible, déjà évoqué par Moscou : dans l’éventualité où des négociations de paix aboutissent, qui signera l’accord du côté ukrainien ?
Sergueï Lavrov : La légitimité est une autre question, car quelle que soit la date de cette réunion, qui doit être soigneusement préparée, la question de savoir qui signera l’accord côté ukrainien est très sérieuse.
Journaliste : Vous dites donc que vous ne considérez pas le président Zelensky comme le dirigeant légitime de l’Ukraine ? Le président Poutine ne le reconnaît pas comme tel ?
Sergueï Lavrov : Eh bien, ils le reconnaissent comme chef de facto du régime. Et à ce titre, nous sommes prêts à le rencontrer. Mais pour la signature des documents juridiques, vous souhaitez avoir une vue d’ensemble, mais seulement une partie, ce qui vous convient. Lorsque nous arriverons au moment de signer des documents, il faudra que chacun comprenne clairement que le signataire est légitime. Or, selon la Constitution ukrainienne, M. Zelensky ne l’est pas pour le moment.
Que dit la Constitution ukrainienne ?
Quelques jours auparavant, Vladimir Poutine avait expliqué pourquoi la signature de Volodymyr Zelensky n’avait actuellement aucune valeur légale et ne pouvait être apposée à un traité international :
Nous sommes prêts à nous rencontrer et j’ai d’ailleurs dit que j’étais prêt à rencontrer tout le monde, y compris Zelensky. Là n’est pas la question. Si l’État ukrainien fait confiance à quelqu’un pour négocier, pour l’amour du Ciel, que ce soit Zelensky. Là n’est pas la question. La question est de savoir qui signera les documents.
Écoutez, je n’ai rien inventé. En matière de propagande, on peut dire ce qu’on veut sur la légitimité du pouvoir actuel, mais ce qui est important pour nous, lorsqu’il s’agit de résoudre des questions sérieuses, ce n’est pas la propagande mais l’aspect juridique, légal. Comment ?
Selon la Constitution de l’Ukraine, le Président de l’Ukraine est élu pour cinq ans. Il n’est pas possible de prolonger son mandat, même sous la loi martiale. Il est écrit, lisez attentivement, que sous la loi martiale, seuls les pouvoirs du Parlement, la Rada, sont prolongés. Il est écrit qu’en vertu de la loi martiale, il n’y a pas d’élections, c’est vrai, mais il n’est écrit nulle part que les pouvoirs du président sont prolongés. Non, c’est tout.
Et de par sa structure, l’Ukraine n’est ni une république parlementaire ni une république présidentielle, c’est une république présidentielle-parlementaire. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que tous les organes gouvernementaux sont formés par le président, y compris… disons… Tout le monde pense que nous avons affaire à une société démocratique. Eh pourtant, c’est ainsi que l’État peut être structuré. Tout le monde est nommé par le président, tous les chefs militaires sont nommés par le président, tous les ministres sont nommés par le président et tous les gouverneurs sont nommés par le président. Il n’y a pas d’élections. Mais si la première personne est illégitime, c’est tout le système de pouvoir qui devient illégitime.
Pourquoi dis-je cela ?
Peu importe qui mène les négociations, même s’il s’agit du chef actuel du régime. Je suis même prêt à une réunion mais seulement s’il s’agt d’une sorte d’étape finale, afin de ne pas rester assis à se disputer sans fin mais d’y mettre un terme. Mais la signature doit être celle des autorités légitimes sinon le prochain viendra et dira : « Tout est à la poubelle. » Mais ce n’est pas possible, nous résolvons des problèmes sérieux.
Le mandat officiel de Volodymyr Zelensky a expiré le 20 mai 2024, deux ans après l’entrée en vigueur la loi martiale en vigueur, le 24 février 2022, qui n’a pas permis la tenue des élections présidentielles de mars 2024. L’ancien Premier ministre de l’Ukraine, Nikolaï Azarov, a confirmé qu’un traité signé par le président ukrainien n’aurait dans ce contexte aucune valeur juridique :
Le président russe Vladimir Poutine a souligné à maintes reprises que le mandat de Zelensky a expiré, ce qui rend indispensable de clarifier qui à Kiev a le pouvoir de signer des accords juridiquement contraignants. Il a averti que les dirigeants ukrainiens actuels sont illégitimes, créant le risque d’un conflit juridique qui pourrait annuler tout règlement négocié.
https://tass.com/world/2001541
Vladimir Poutine a-t-il raison de s’inquiéter de ce point de droit ? On se souvient qu’Emmanuel Macron avait fait fuiter un échange téléphonique entre la cellule diplomatique de l’Élysée et le Kremlin, le 20 février 2022. Le président russe lui demandait d’intervenir auprès de Volodymyr Zelensky pour qu’il fasse respecter le cessez-le-feu dans le Donbass prévu par les accords de Minsk. Emmanuel Macron s’était esclaffé en indiquant que seules les propositions émanant du gouvernement ukrainien « démocratiquement élu » n’avaient de valeur légale et n’étaient par conséquent couvertes par les accords :
Je ne sais pas où ton juriste a appris le droit, moi. Je regarde juste les textes et j’essaie de les appliquer. Et je ne sais pas quel juriste pourra te dire que dans un pays souverain les textes de loi sont proposés par des groupes séparatistes et pas par les autorités démocratiquement élues. […] On s’en fout des propositions des séparatistes !
Extrait du documentaire Immersion dans la cellule diplomatique de l’Élysée (Guy Lagache, 2022)
Cette provocation avait conduit Vladimir Poutine à acter la caducité des accords de Minsk et à déclencher l’offensive dans le Donbass, à peine quatre jours après cet échange catastrophique avec l’Élysée. On suppose donc qu’Emmanuel Macron sera sensible aux arguments de Vladimir Poutine si la perspective d’un accord de paix se dessine.