Affaire d'État

Équipe Le Point Critique | 03 août 2025

Une juriste américaine analyse la plainte déposée par Emmanuel et Brigitte Macron aux États-Unis

Emmanuel Macron et son épouse viennent de saisir la justice américaine pour mettre un terme à des rumeurs entourant le genre de naissance de Brigitte Macron. Ils réclament 50 millions de dollars de dommages et intérêts à la podcasteuse visée par la plainte. Reuters publie l’analyse d’une juriste américaine sur les chances que cette plainte a selon elle d’aboutir.

Capture d'écran du podcast de Candace Owens

La plainte a été déposée le 23 juillet dans un tribunal du Delaware. Elle vise l’influenceuse Candace Owens, qui anime un podcast dans lequel elle soutient, depuis 2024, que Brigitte Macron est née homme. Le document de 219 pages a été publié par le cabinet Clare Locke, qui représentera le couple présidentiel lors du procès qu’il sollicite. Il a été abondamment commenté en France et à l’étranger, en particulier par l’agence Reuters.

Contenu de la plainte

La plainte est déclinée en six points :

1. Candace Owens a utilisé cette fausse nouvelle, qu’elle diffuse depuis 2024, pour promouvoir sa plateforme, accroître sa notoriété et s’enrichir personnellement. Le couple présidentiel a fourni de nombreuses « preuves crédibles réfutant son affirmation », que la podcasteuse a systématiquement ignorées et utilisées à leurs dépens, en se moquant d’eux afin d’accroître son audience.

2. Le chef de l’État et son épouse lui ont adressé une demande de rétractation. « En représailles », la podcasteuse a diffusé une série de podcasts en huit parties intitulée Becoming Brigitte et relayée sur son compte X, dans lequel a été « approuvé, répété et publié une série de mensonges vérifiables, faux et dévastateurs sur les Macron ». La plainte détaille ces affirmations « manifestations fausses » :

Ces fictions extravagantes, diffamatoires et farfelues incluaient notamment que Mme Macron était née homme, avait volé l’identité d’une autre personne et avait changé de sexe pour devenir Brigitte ; Mme Macron et le président Macron sont des parents consanguins commettant un inceste ; le président Macron a été choisi pour être président de la France dans le cadre du programme MKUltra géré par la CIA ou d’un programme similaire de contrôle mental ; et Mme Macron et le président Macron commettent des actes de falsification, de fraude et d’abus de pouvoir pour dissimuler ces secrets.

3. Candace Owens a publié ces informations en sachant pertinemment qu’elles étaient fausses, non par passion de la vérité, mais « par recherche de la célébrité ». Son audience a été boostée par la diffusion de cette « enquête », son socle d’abonnés passant de 4,47 à 6,9 millions d’abonnés.

4. La blogueuse est coutumière de ce genre de pratiques. La plainte recense une série de « théories du complot » qu’elle aurait relayées, « notamment des mensonges anti-vaccins, des clichés antisémites depuis longtemps démentis tels que le mythe du meurtre rituel, et la déformation de l’Holocauste, allant jusqu’à rejeter les atrocités des expériences médicales de Josef Mengele comme de la simple “propagande” ».

5. La plainte souligne que Candace Owens « s’est vu présenter à plusieurs reprises des preuves crédibles et vérifiables réfutant ses affirmations », incluant des « communications directes des Macron ». Malgré les victoires judiciaires de Brigitte Macron lors de procès en diffamation contre d’autres personnes ayant relayé les mêmes rumeurs, l’influenceuse a choisi de redoubler d’efforts plutôt que de rectifier ses propos. Le document reproduit les photos réfutant formellement les théories de Candace Owens, mais aucune n’est à notre connaissance inédite.

6. Ces mensonges auraient « causé un préjudice considérable aux Macron », en les soumettant à « une campagne d’humiliation mondiale, transformant leur vie en matière première pour des mensonges motivés par le profit » :

Owens a disséqué leur apparence, leur mariage, leurs amis, leur famille et leur histoire personnelle, déformant le tout en un récit grotesque destiné à attiser les tensions et à les dégrader. Il en résulte un harcèlement incessant à l’échelle mondiale. Chaque fois que les Macron quittent leur domicile, ils le font en sachant que d’innombrables personnes ont entendu ces mensonges ignobles et que beaucoup y croient. C’est intrusif, déshumanisant et profondément injuste.

Les plaignants citent plusieurs tiers qui ne sont pas partie prenante de la plainte, notamment :

  • Jean-Michel Trogneux, le frère aîné de Brigitte Macron dont elle est supposée, selon Candace Owens, avoir usurpé l’identité, et qui résiderait toujours à Amiens, sa ville natale ;
  • Xavier Poussard, l’éditeur d’une lettre d’information confidentielle (Faits et Documents) diffamatoire à l’égard du couple Macron et considérée comme « la source principale d’Owens » ;
  • Natacha Rey et Amandine Roy, qui sont à l’origine de ces affirmations en France et que Brigitte Macron a poursuivi récemment en justice pour diffamation.

Les pages 9 à 107 de la plainte détaillent les preuves formelles (Factual allegations) sur lesquelles se fondent ses conclusions.

Analyse juridique

L’agence Reuters a publié l’analyse d’une juriste américaine, qui évalue les chances de succès de la plainte du couple Macron. Selon elle, « le président Macron va avoir beaucoup de mal avec ce procès en diffamation ». En efet :

En vertu du droit américain, les fonctionnaires sont tenus de prouver une intention malveillante réelle, une connaissance de la fausseté et un mépris téméraire de la vérité. Dans sa longue plainte, [Emmanuel Macron] a certainement allégué cela de la part de cette podcasteuse. Mais je pense qu’il ne tient probablement pas suffisamment compte du fait que les tribunaux américains accordent un large pouvoir discrétionnaire aux individus pour commenter les responsables publics.

L’un des arguments phares de la plainte concerne les motivations supposées crapuleuses de Candace Owens. Pour la juriste, quand bien même elle aurait cherché à tirer profit de ces rumeurs, le droit américain ne permet pas d’en déduire l’existence d’une intention malveillante :

Il parle de monétiser, d’en tirer profit et tente de suggérer que cela a été une incitation majeure à poursuivre une histoire même après qu’on lui a dit qu’elle était fausse. C’est une affirmation délicate, car de nombreuses décisions de justice ont établi que le simple fait qu’un éditeur exerce une activité commerciale, à but lucratif, ne signifie pas que ses activités sont suspectes. Dans une société capitaliste, nous sommes dans le secteur des médias pour gagner de l’argent. Si cela permettait d’invoquer une véritable malveillance, tout le monde serait mis en faillite.

La demande de dommages et intérêts se fonde notamment sur les profits attendus de la diffusion de ces rumeurs, ce qui, selon la juriste, est compliqué à établir :

Cela relève de la spéculation. En l’absence de preuve claire de dommages et intérêts, je pense qu’un tribunal serait très sceptique quant à la véritable malveillance.

La malveillance alléguée dans la plainte et le caractère délibérément mensonger des rumeurs colportées par Candace Owens sont en partie déduites de ses convictions politiques. Là encore, la juriste explique que ce lien logique sera probablement délicat à établir devant la justice :

Les tribunaux ont tenté de faire comprendre que ce n’est pas parce qu’on n’aime pas quelqu’un qu’on doit mentir à son sujet. Ainsi, dire : « Vous êtes mon ennemi politique depuis longtemps, et donc bien sûr, vous allez mentir mon sujet » ne suffirait jamais. Ce serait tout simplement faux et ne serait donc pas suffisant en soi. Cela ferait partie des preuves, mais il faudrait les étayer par la démonstration que, encore une fois, la podcasteuse savait que ce qu’elle publiait était faux ou qu’elle a agi de manière si imprudente dans le cadre de sa vendetta qu’elle a outrepassé non seulement le critère de négligence, mais a délibérément tenté de propager des mensonges qu’elle connaissait.

Elle rappelle enfin que la notoriété du couple présidentiel ne leur sera probablement d’aucun secours. Elle ne leur permettra pas selon elle d’échapper à une investigation exigeante, afin de trancher la question qui ne l’a encore jamais été officiellement. C’est pour cette raison, selon elle, que la plainte a été déposée aux États-Unis et non en France :

Il sait qu’il devra se soumettre à une procédure de communication préalable au procès, où de nombreuses questions pourraient lui être posées, auxquelles il préférerait peut-être ne pas répondre. Comme vous le savez, je suis sûr que la France dispose d’une législation très stricte en matière de protection de la vie privée. Notre loi est beaucoup moins protectrice, surtout s’il s’agit d’une question d’intérêt public. Et lorsqu’on parle d’une personnalité publique comme Macron, le champ d’application est très large. Je pense donc qu’il pourrait être mécontent de la suite des investigations préliminaires et de la communication des preuves dans cette affaire.

Le juriste qui a analysé pour France-Soir l’arrêt de la cour d’appel de Paris ayant conduit à la relaxe de Natacha Rey et d’Amandine Roy explique en effet que la cour « a jugé que la plupart des propos n’étaient pas diffamatoires, soit parce qu’ils étaient trop vagues, soit parce qu’ils ne portaient pas atteinte à l’honneur, soit parce que les prévenues ont agi de bonne foi », sans, précise-t-il, n’avoir « jamais statué explicitement sur la véracité des allégations ».

Selon Candace Owens, la justice américaine devrait exiger un test ADN pour déterminer formellement si elle a relayé ou non de fausses informations. La plainte émise par le couple Macron ayant été rédigée par un cabinet disposant de la même connaissance du droit, il ne fait aucun doute que la biologie confirmera sans la moindre ambiguïté que la Première dame n’a jamais menti aux Français.

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