Drame humanitaire

Équipe Le Point Critique | 31 juillet 2025

Israël accusé d’avoir créé une famine d’ampleur inédite à Gaza

L’ONU reconnaît officiellement qu’une famine est en cours dans la bande de Gaza et exorte la communauté internationale à agir. Acculé, Israël commence à assouplir le blocus mis en place il y a plusieurs mois, mais plusieurs voix l’accusent d’avoir délibérément créé cette situation.

Prise en charge d'un enfant atteint de malnutrition
© iStock/Mohammad Bash

La crise humanitaire qui sévit dans la bande de Gaza depuis près de deux ans vient de franchir un nouveau cap, qualifié de « tournant alarmant et mortel » par l’Organisation des Nations unies (ONU) : « Gaza est au bord de la famine Les faits sont là, et ils sont indéniables Ceci n’est pas un avertissement C’est une réalité qui se déroule sous nos yeux », a déclaré l’agence sur son compte X ce mardi.

Selon le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC) qui regroupe 21 organisations et institutions intergouvernementales, les indicateurs de consommation alimentaire et de nutrition ont atteint « leurs pires niveaux depuis le début du conflit », deux des trois seuils à partir desquels une situation de famine est caractérisée ayant été franchis ces derniers jours.

En mai dernier, l’IPC estimait à 2,3 millions le nombre de Palestiniens touchés par la faim, dont près d’un quart étaient jugés en « situation de catastrophe », le niveau précédant l’état de famine généralisé.

Le « pire scénario de famine »

Dimanche, le Premier ministre israélien, Benjamin Nétanyahou, avait nié la gravité de la situation, affirmant qu’il n’y avait pas de famine en cours à Gaza et qualifiant ces allégations de « mensonge éhonté ». L’État hébreux avait dénoncé des photos trompeuses, faisant passer pour une famine généralisée de « simples » situations sporadiques.

Le président américain a corrigé cette déclaration le lendemain, évoquant un problème « réel » : « C’est une vraie famine », a-t-il déclaré lundi depuis l’Écosse aux côtés du Premier ministre britannique. Il est conforté aujourd’hui par 109 organisations humanitaires internationales qui exhortent les gouvernements à libérer tous les points de passage terrestres pour rétablir l’acheminement des biens de première nécessité dont la population gazaouie est privée depuis des mois : eau, nourriture, médicament, carburant.

Amnesty International alertait il y a une semaine sur la propagation d’une « famine de masse », qui toucherait désormais le personnel humanitaire et l’exposerait aux tirs de l’armée israélienne, accusée de cibler systématiquement les points de distribution de vivres. Le 13 juillet dernier, l’ONU avait confirmé l’assassinat de 875 Gazaouis qui cherchaient à obtenir de la nourriture, ainsi que le décompte de milliers de civils blessés lors des rassemblements. L’agence dénonce aujourd’hui une catastrophe similaire à celle que l’Éthiopie et le Biafra ont connue au siècle dernier :

Plus d’une personne sur trois (39 %) passe désormais plusieurs jours sans manger. Plus de 500 000 personnes, soit près d’un quart de la population de Gaza, vivent dans des conditions proches de la famine, tandis que le reste de la population est confronté à une situation d’urgence alimentaire.

Angevin P. « Des familles dépérissent » : à Gaza, près de 500 000 personnes au bord de la famine. Ouest France. 19/05/2025. https://www.ouest-france.fr/monde/gaza/pres-de-500-000-gazaouis-au-bord-de-la-famine-d698f4dc-34bb-11f0-b184-9fce0c190a12

La responsabilité de l’État d’Israël officiellement mise en cause

La présidente de Médecins sans frontières (MSF), Isabelle Defourny, dénonce une famine « créée de toutes pièces par le gouvernement israélien » : destruction méthodique des cultures, des champs et des serres, limitation drastique « allant jusqu’à zéro pendant plusieurs mois » du nombre de camions autorisés à pénétrer dans l’enclave pour livrer de la nourriture, soutien du gouvernement hébreu à des opérations de pillage des stocks de vivres, perpétrées par des gangs, attaques contre la police de Gaza, prise pour cible par l’armée alors qu’elle essayait de protéger les convois.

Ces accusations s’appuient notamment sur les conclusions du rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Michael Fakhri, qui alertait en mars 2024 sur la volonté délibérée d’Isrël d’infliger une famine à Gaza,ainsi que sur un rapport accablant, publié en décembre dernier par l’ONG Human Rights Watch (HRW). L’organisation y décrit la stratégie mise en place en octobre 2023 par les autorités israéliennes pour priver « délibérément les Palestiniens de Gaza du minimum vital pour survivre », notamment d’eau potable :

Les autorités et les forces israéliennes ont d’abord coupé l’approvisionnement en eau courante à Gaza, puis l’ont restreint ; elles ont rendu la plupart des infrastructures d’eau et d’assainissement inutilisables en coupant l’électricité et en restreignant l’approvisionnement en carburant ; elles ont délibérément détruit et endommagé les réseaux d’eau et d’assainissement, ainsi que le matériel nécessaire à la remise en état de ces réseaux ; enfin, elles ont entravé l’entrée dans la bande de Gaza d’approvisionnements en eau cruciaux.

Human Rights Watch. Israël commet le crime d’extermination et des actes de génocide à Gaza. HRW. 19/12/2024. https://www.hrw.org/fr/news/2024/12/19/israel-commet-le-crime-dextermination-et-des-actes-de-genocide-gaza

Fait inédit, deux ONG israéliennes, B’Tselem et Physicians for Human Rights, reconnaissent à leur tour l’existence d’un génocide perpétré par l’État hébreu, consistant à déplacer de force, tuer et affamer la population, et à détruire « en toute connaissance de cause le système de santé de Gaza ».

Un début de réveil de la communauté internationale

Face à la pression internationale, Israël a commencé à lever partiellement le blocus mis en place il y a plusieurs mois, en réautorisant les largages aériens, les entrées de camions ainsi que l’ouverture de couloirs humanitaires. L’État hébreu a également annoncé des fenêtres de « pause tactique » afin de permettre une distribution sécurisée de l’aide.

Dans ce nouveau contexte, la France a promis de larguer 40 tonnes d’aide alimentaire dans l’enclave palestinienne à compter de vendredi. Elle emboîte ainsi le pas à la Jordanie, aux Émirats arabes unis, à l’Allemagne et l’Espagne qui se sont engagés à mettre en place des ponts aériens humanitaires vers Gaza.

La veille, Donald Trump avait humilié la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en rappelant que l’Europe n’avait pas déboursé le moindre euro pour venir en aide aux Palestiniens. Le président américain a également infligé une défaite morale au Premier ministre israélien, dont l’Espagne a fustigé ce mercredi le « niveau de cruauté inacceptable », et dont plusieurs rapports de l’ONU[1],[2],[3],[4] qualifient de « génocidaires » les actes perpétrés sous ses ordres dans la bande de Gaza. Bien que soutenu par de nombreux experts, celui de Francesca Albanese (Anatomie d’un génocide) lui a valu d’être accusée de tenir des propos antisémites, notamment par le Quai d’Orsay qui a désavoué la rapporteuse.

Le colonel et ancien analyste du renseignement militaire de l’armée suisse Jacques Baud va plus loin aujourd’hui lors d’un entretien avec Glenn Diesen, professeur de géopolitique à l’université du sud-est de la Norvège. Il « prophétise » une possible disparition d’Israël au regard de la gravité des crimes commis à Gaza, qu’il est selon lui de plus en plus difficile, pour ses alliés historiques, de continuer à cautionner :

Il y a un mécontentement au sein de Tsahal. On constate également que les alliés traditionnels d’Israël, à savoir l’Europe occidentale et évidemment les États-Unis, se posent de plus en plus de questions et ont de plus en plus de doutes sur le but du conflit. Non seulement sur le but, mais aussi sur la manière dont il est mené. […] Ici en Israël, ce qui est étrange, c’est que cela est en fait d’une certaine manière en étant reconnu par le gouvernement. C’est même expliqué comme une stratégie pour lutter contre le terrorisme. Évidemment et malgré les divers efforts de certains pays de la communauté internationale, notamment l’Afrique du Sud, avec la plainte qu’elle a déposée devant la Cour internationale de justice où il a été indiqué que nous assistons à un possible ou plausible génocide, cela n’a pas empêché Israël de recourir encore et encore aux mêmes méthodes, à la même façon de faire la guerre, non seulement contre le Hamas, mais contre l’ensemble de la population palestinienne. Je pense donc que c’est un cas très fascinant tant sur le plan juridique que sur les plans politiques, moral et éthiques. En tant qu’ancien officier militaire, je dirais que j’ai honte du fait que des officiers et soldats israéliens se qualifient eux-mêmes d’officiers et de soldats. Car pour moi, il ne s’agit que de terrorisme.

Le gouvernement israélien a déjà perdu la bataille de l’opinion selon la plupart des analystes, mais les images de Palestiens cachectiques risquent d’être dévastatrices lorsque le camp de Gaza aura été libéré par les humanitaires, si tant est qu’il reste des Gazaouis vivants.


Références

[1] Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCHR). Rapport A/79/363 du Comité spécial chargé d’enquêter sur les pratiques israéliennes affectant les droits de l’homme du peuple palestinien et des autres Arabes des territoires occupés. A/79/363. 2024 Nov. 14. https://docs.un.org/fr/A/79/363.

[2] Albanese F. Anatomy of a Genocide. Report A/HRC/55/73 of the Special Rapporteur on the situation of human rights in the Palestinian territories occupied since 1967. 2024 Mar 26. https://www.un.org/unispal/document/anatomy-of-a-genocide-report-of-the-special-rapporteur-on-the-situation-of-human-rights-in-the-palestinian-territory-occupied-since-1967-to-human-rights-council-advance-unedited-version-a-hrc-55/.

[3] Human Rights Council. “More than a human can bear”: Israel’s systematic use of
sexual, reproductive and other forms of gender-based violence since 7 October 2023. Report A /HRC/58/CRP.6. 2025 Mar 13. https://www.un.org/unispal/document/report-of-the-commission-of-inquiry-israel-gender-based-violence-13march2025/.

[4] Cour internationale de Justice. Ordonnance relative à l’Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide dans la bande de Gaza (Afrique du Sud c. Israël). La Haye, 2024 Jan 26. https://www.icj-cij.org/sites/default/files/case-related/192/192-20240124-pre-01-00-fr.pdf.

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