Trahison
« L’un des crimes majeurs du siècle », ou comment l’Occident a sacrifié l’Ukraine
Un journaliste italien accuse les Occidentaux d’avoir sacrifié l’Ukraine en prolongeant artificiellement le conflit avec la Russie. Il se base sur le récit d’un ambassadeur suisse ayant participé aux négociations, qui explique comment les Américains et les Britanniques ont torpillé les négociations de paix en 2022, six mois après le début du conflit, dans le but d’affaiblir la Russie.
Le journaliste italien Thomas Fazi accuse publiquement l’Occident, sur son compte X, d’avoir délibérément sacrifié l’Ukraine commettant ce qu’il considère comme « l’un des crimes majeurs du siècle ». Il a posté ce message en commentaire d’un entretien accordé en décembre 2024 par Jean-Daniel Ruch, un ambassadeur suisse ayant servi en Serbie, en Israël puis en Turquie jusqu’en 2023, pour la chaîne Antithèse. C’est lui qui représentait la Suisse lors des négociations de paix russo-ukrainiennes qui ont eu lieu en Turquie en 2022, six semaines après le début de la guerre.
En raison de la neutralité de la Confédération helvétique, sollicitée pour apporter son expertise sur cette question et aider à définir un statut de neutralité pour l’Ukraine, inspiré du modèle suisse, son rôle s’est limité à celui d’observateur et de conseiller. Bien que son témoigne date, il conserve toute son actualité aujourd’hui
Il confirme d’autres témoignages, dont celui du Pr Jeffrey Sachs ou de l’ex-colonel suisse Jacques Baud, aujourd’hui sous sanctions européennes pour ses analyses concernant le conflit russo-ukrainien, selon lesquels ce sont les Américains et leurs alliés britanniques qui ont mis unilatéralement fin aux négociations alors qu’elles étaient sur le point, selon lui, d’aboutir, et ce dans le but d’affaiblir la Russie militairement et économiquement. Il explique également que les causes profondes du conflit sont bien plus complexes que le discours simpliste proposé aujourd’hui par Bruxelles et l’OTAN, comme nous l’avions bien compris.
Concernant la responsabilité des Occidentaux dans la poursuite artificielle du conflit, contre son cours naturel en direction d’une solution de paix, son verdict est glaçant :
— Jean-Daniel Ruch : Je pense que c’est un gâchis terrible. […] Je me suis dit « C’est pas possible qu’on n’ait pas pu empêcher ça ». Maintenant on sait qu’il y avait deux projets de traité qui étaient sur la table en décembre 2021, que l’Occident n’est pas entré en matière […], ça c’est un débat qu’il faudra reprendre un jour ou l’autre, peut-être pour les historiens. […] Il nous a fallu cent ans pour comprendre les causes, la mécanique de la Première Guerre mondiale […], donc je ne sais quand on connaître toute la mécanique qui a conduit à cette guerre.
Après, j’ai eu un deuxième coup de sang peut-être encore plus fort lorsque l’Occident a tiré la prise aux négociations qui étaient sur le point d’aboutir à un cessez-le-feu. Et ça, c’était six semaines après, début avril. Je sais… J’étais là. J’ai même eu des entretiens parce que les Turcs étaient intéressés de travailler avec nous sur le concept de « neutralité » pour l’Ukraine […]
On a l’occasion d’arrêter une guerre. Pour tous ceux qui connaissent un petit peu, même pas beaucoup, mais un petit peu, c’était clair à ce moment-là que si la guerre continuait, il y aurait une escalade et les morts se compteraient au moins en dizaines de milliers et plus probablement en centaines de milliers. Et maintenant, on en est là aujourd’hui. Et ces gens sont morts pour quoi ?
Parce que pour l’Ukraine, dans le meilleur des cas, à moins que tout d’un coup la Russie s’effondre comme un château de cartes, comme Bachar El-Assad […], mais franchement, ça m’étonnerait, donc le meilleur des scénarios pour l’Ukraine, c’est que le conflit s’arrête là où il a commencé, ou disons, là où il est maintenant. Je ne suis pas sûr que les Russes soient prêts à ça, j’ai l’impression qu’ils veulent encore pousser leur avantage.
Alors tous ces gens sont morts pour quoi ? Et ça, ça m’a vraiment… j’ai trouvé qu’il y avait quelque chose de profondément… immoral dans les décisions qui ont été prises à Londres, à Washington, à Kiev. […] Il y avait quelque chose d’immoral, parce qu’un cessez-le-feu était à portée de main. Et puis, c’est les Américains avec leurs alliés britanniques qui ont dit non. […]
Il y a le secrétaire d’État à la Défense, qu’on peut citer, qu’on peut retrouver, qui a dit quelques jours après : « Non, c’est trop tôt, il faut d’abord affaiblir la Russie. » Ça a peut-être affaibli la Russie, mais ils ont affaibli tout l’Occident en même temps. Enfin, peut-être pas les Américains, mais en tout cas l’Europe. […]
— Journaliste : Il y a aussi le cas de Boris Johnson, qui était mentionné par le négociateur ukrainien.
— Jean-Daniel Ruch : Oui, je m’en souviens, je pense qu’il était là le 8 avril, je crois. Mais Boris Johnson, on sait bien qu’il était en service commandé pour les Américains. Il ne prend pas ce genre de décision tout seul.
Il évoque également dans cet entretien la perception, par le négociateur en chef, du rôle des Occidentaux lors des pourparlers :
Le chef des négociations m’a dit : « Vous savez, je ne suis pas optimiste, parce qu’il y a certaines grandes puissances qui ont un agenda global et qui ne sont pas pressées de mettre un terme à cette guerre. » Et puis, quelques jours après, il y avait Boris Johnson et les déclarations de Lloyd Austin. Et puis après, voilà quoi.
Après Jacques Baud, Jean-Daniel Ruch sera-t-il à son tour sous sanctions ? Il semble en tout cas cocher toutes les cases.