Bis repetita
Dermatose nodulaire contagieuse, fiasco ou futur scandale sanitaire ?
Une opération d'envergure visant à vacciner massivement les bovins contre la dermatose nodulaire contagieuse a débuté en France il y a une semaine. L'armée a été appelée en renfort après la mise en place d'une cellule interministérielle. Que sait-on de ce vaccin présenté comme sûr et efficace, mais qui ne bénéficie pourtant pas encore d'une autorisation de mise sur le marché ?
La vaccination de masse des bovins contre la dermatose nodulaire contagieuse (DNC) a commencé le 16 décembre en France, à la demande des éleveurs traumatisés par les abattages massifs de leurs troupeaux. La stratégie sanitaire nationale prévoit en effet l’abattage total du cheptel dès la confirmation d’un cas, sauf si la contamination est causée par une souche vaccinale et non sauvage. La vaccination représente donc pour les éleveurs un espoir d’échapper à la perte de l’ensemble de leurs troupeaux.
Pourtant, les 83 vaches euthanasiées dans le Doubs fin novembre étaient vaccinées depuis 36 jours alors que le délai théorique entre l’injection et l’acquisition d’une immunité est de 21 jours. La Coordination rurale, l’un des principaux syndicats engagés aux côtés des éleveurs, annonce aujourd’hui qu’un nouvel abattage a lieu en Occitanie, dans les Pyrénées-Orientales, portant sur un troupeau de quatre vaches, toutes vaccinées, après la confirmation d’un cas isolé de DNC.
Le Gouvernement a-t-il manipulé les éleveurs pour qu’ils acceptent de vacciner leurs bêtes, comme il l’a fait pendant la pandémie de COVID-19 en confinant la population ou assistons-nous simplement à un rétropédalage consistant à déployer des moyens disproportionnés pour dissimuler la gestion calamiteuse d’une épidémie ?
Si la première hypothèse est strictement spéculative, plusieurs éléments autorisent à douter de la cohérence, voire de la sincérité du Gouvernement dans sa volonté d’éradiquer une maladie qui fragilise aujourd’hui l’ensemble de la filière bovine :
- le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a modifié brutalement sa stratégie sanitaire il y a une semaine en présentant la vaccination de masse comme la seule réponse efficace, après avoir estimé qu’elle n’était ni nécessaire ni souhaitable. Une cellule interministérielle a été mise en place le 16 décembre pour accélérer la vaccination, qualifiée d’« urgence absolue » par le Premier ministre ;
- un stock de 500 000 doses a fait surface du jour au lendemain, en moins de 36 heures, complété par la livraison de 400 000 doses. Celles-ci ont été acheminées par avion militaire le 18 décembre ;
- ce changement radical de stratégie s’est accompagné d’un objectif impossible à atteindre avec le dispositif civil habituel, impliquant la mobilisation de l’armée : vacciner 750 000 bovins en 15 jours. Il s’est assoupli en fin de semaine, l’objectif étant désormais d’administrer l’ensemble des 750 000 doses sous un mois.
Que vient faire l’armée dans ce contexte ? Elle n’aurait jamais été sollicitée sans le traumatisme suscité par les abattages massifs pratiqués officiellement en application de la réglementation européenne. Or les décisions d’exécution qui détaillent la réponse sanitaire imposée par Bruxelles aux éleveurs français n’ont jamais été publiées, contrairement à celle qui concernait l’Italie et qui n’impose pas l’abattage systématique total des troupeaux.
Quelles sont les conséquences d’une gestion militaire de la vaccination ? Tous les éleveurs ne souhaitent pas faire vacciner leurs bêtes, qui ne seront plus éligibles à l’exportation pendant huit à quatorze mois une fois injectées. Or il est difficilement envisageable qu’ils puissent faire valoir ce choix dans le cadre d’une campagne supervisée par l’armée. Pourtant, la découverte de nouveaux cas parmi des animaux vaccinés autorise à douter de l’efficacité de l’injection.
C’est sur ce point que se cristallisent aujourd’hui les inquiétudes des scientifiques. La journaliste Corinne Lalo a interpellé Annie Gennevard pour connaître le nom du vaccin injecté. La ministre de l’Agriculture a confirmé qu’il s’agit du vaccin à virus vivant atténué Bovilis Lumpyvax-E du laboratoire MSD (Merck), qui a bénéficié en juillet dernier non pas d’une autorisation de mise sur le marché mais d’une simple autorisation temporaire d’utilisation (ATU) en raison des incertitudes concernant son efficacité et son innocuité :
Compte tenu d’une situation sanitaire nécessitant une vaccination en urgence, la présente autorisation
https://www.anses.fr/system/files/90077_ATU_ANNEXE.pdf
temporaire d’utilisation (ATU) a été attribuée en prenant en compte une balance bénéfice risque jugée
positive du vaccin au vu des éléments fournis avec néanmoins un niveau de preuve limité concernant
les mentions des informations disponibles ci-après
Les éleveurs à qui la vaccination a été présentée comme sûre et efficace sont-ils en droit de s’inquiéter ? Le Dr Hélène Banoun et la journaliste Corinne Lalo pointent plusieurs éléments qui relativisent les affirmations du ministère :
- Efficacité limitée à une partie des troupeaux ;
- Risque d’apparition de nodules contagieux ;
- Risque de transmission des souches virales d’origine vaccinale au sein du troupeau ;
- Durée limitée de l’immunité ;
- Risque de nécrose tissulaire autour du point d’injection pouvant aller jusqu’à plusieurs kilos ;
- Diffusion des virus vaccinaux de la DNC qui peuvent se retrouver dans le sang, le lait et la viande.
La notice précise en effet :
Les nodules peuvent contenir des virus Neethling vaccinaux non pathogènes. Les virus vaccinaux non pathogènes peuvent être identifiés et distingués des LSDV sauvages par méthode PCR spécialement conçue.
https://med-vet.fr/produits/medicament/bovilis-lumpyvax-e/67fa8de8-b836-4a82-91ae-2577c740b34a
Le virus vaccinal peut également être présent dans les sécrétions et excrétions (notamment le lait).
Ce dernier point est particulièrement problématique sachant que la DNC n’affecte pas la consommation des produits issus des animaux contaminés. Mais surtout, est-il raisonnable de maintenir les mesures d’abattage total au seul prétexte d’un risque de contamination du troupeau par les animaux asymptomatiques alors que ce risque n’est pas confirmé par la littérature et qu’il existe des traitements éprouvés, permettant une guérison rapide sans séquelles et l’acquisition d’une immunité ? Certains éleveurs craignent que la vaccination ait pour principale conséquence non pas de prévenir mais de précipiter la disparition de la filière bovine. L’avenir le dira, mais l’hypothèse ne peut pas être exclue.