Braquage à l’européenne
Avoirs russes garantis par l’UE : la France donne son accord pour un don de 34 milliards et relance une question embarrassante
La Commission européenne vient d’activer le mécanisme juridique qui lui permettrait de capturer 210 milliards d’actifs russes gelés grâce à un prêt destiné à financer les besoins de l’Ukraine. Le dispositif impose aux États membres de se porter garants au cas où la Russie refuserait de payer la facture de la guerre. La France, dont la contribution a été fixée à 34 milliards d’euros, a déjà donné un accord de principe, mais elle refuse de dévoiler le montant des avoirs détenus par ses banques, relançant une rumeur formulée en août dernier par un analyste financier : où est passé l’argent ?
La Commission européenne a confirmé mercredi dernier son projet d’utiliser les avoirs russes confisqués en février 2022, pour lui permettre de continuer à soutenir l’Ukraine, comme elle s’y est engagée lors du dernier Conseil européen. Il devrait finalement prendre la forme d’un « prêt de réparation » afin de contourner le refus de la Belgique dont le Premier ministre estime qu’une saisie de ces fonds souverains s’apparenterait à un vol qualifié, mettant en danger la crédibilité des institutions européennes et la stabilité de l’euro.
Le montant des avoirs mobilisés dans ce cadre s’élèverait à 165 milliards d’euros, destinés à financer la défense de l’Ukraine (115 milliards) et sa reconstruction (50 milliards). Ce prêt comprendrait également 25 milliards d’euros d’actifs russes immobilisés sur des comptes bancaires européens, auxquels s’ajouteraient 140 milliards d’euros de fonds souverains, détenus en Belgique dans la banque Euroclear qui en héberge aujourd’hui 185.
La Commission revendique la légalité de ce montage en invoquant un simple prêt et non une confiscation. Or le remboursement de ce prêt ne pourra être honoré au mieux que si la Russie accepte de financer les réparations en Ukraine, et donc de payer pour conserver ses propres avoirs. Il s’agit donc d’un chantage ou d’une extorsion. Bruxelles prévoit également de ponctionner 45 milliards dans les réserves de la Banque centrale russe pour couvrir les dépenses de fonctionnement de l’État ukrainien, ce qui porterait à 210 milliards le montant des fonds russes que l’UE envisage de détourner.
Le plan diabolique de Bruxelles pour capturer les avoirs russes
Le ministre belge des Affaires étrangères, Maxime Prévot, avait exigé mercredi des garanties financières de la part des États membres de l’UE par peur d’éventuelles représailles de la part de Moscou si la Commission décide de franchir cette ligne rouge. La présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, avait quant à elle mis en garde la Commission en affirmant qu’elle ferait tout ce qui est en son pouvoir pour s’opposer à la mise en œuvre de ce montage qui constituerait selon elle une violation du Traité sur l’Union européenne.
Politico dévoile aujourd’hui le plan imaginé par la Commission pour convaincre la Belgique de donner son accord à l’utilisation des fonds détenus par Euroclear. Le projet consiste à répartir la somme proportionnellement entre les États membres en fonction de leur revenu national brut, les trois principaux contributeurs étant sur ce principe l’Allemagne (51,3 milliards), la France (34 milliards) et l’Italie (25,1 milliards).
Politico précise que ces sommes sont destinées à être transférées à Kiev en 2026-2027, et qu’elles sont susceptibles d’être majorées pour compenser le refus de certains pays de participer à ce braquage. La Commission prévoit en effet de contourner l’exigence de majorité absolue (article 31) requise pour les questions de politique étrangère et de sécurité en invoquant le fait que le gel des avoirs russes est encadré par une déclaration du Conseil européen, ce qui autorise le Conseil à statuer sur leur utilisation à la majorité qualifiée (15 États sur 27). En l’occurrence, la déclaration du Conseil européen du 19 décembre 2024 à laquelle se réfère la Commission stipule que « les avoirs de la Russie devraient rester gelés jusqu’à ce que la Russie mette fin à sa guerre contre l’Ukraine et l’indemnise des dommages causés ».
L’alternative consisterait à demander aux États membres de financer un nouveau prêt, ce qui dans les faits revient au même, mais exigerait que cet emprunt emporte la majorité absolue. Or plusieurs pays s’y opposent aujourd’hui, notamment la Belgique, la Hongrie, la Slovaquie et potentiellement l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche et la Norvège. Le dernier pays en date est le Japon.
Le refus de la France de communiquer sur les avoirs russes détenus dans l’Hexagone
L’information a été rendue publique ce dimanche. Lundi midi, la presse anglo-saxonne révélait que la France, supposée détenir 18 milliards d’euros d’actifs russes (le deuxième plus important ensemble), s’opposerait à ce que ses banques soient sollicitées dans le cadre du prêt européen. Selon La Tribune, citant le Financial Times, Paris refuserait de communiquer, au titre du secret professionnel, des informations sur les établissements financiers concernés et sur la manière dont ils auraient pu utiliser les intérêts des fonds russes détenus. Paris invoquerait des « obligations contractuelles différentes de celles d’Euroclear », mais selon La Tribune, ces obligations sont précisément contraignantes pour les banques privées, ce qui n’est pas le cas pour Euroclear :
Contrairement à Euroclear qui n’a pas l’obligation de verser les intérêts des actifs russes à Moscou (les profits étant considérés comme une « aubaine » ou windfall), les banques privées elles seraient contractuellement soumises à cette obligation envers la Russie.
Un détournement des actifs et de leurs avoirs exposerait donc les banques françaises à des poursuites en justice et à un risque de perte en crédibilité et en confiance auprès de leurs investisseurs internationaux.
https://www.latribune.fr/article/economie/international/24134413565938/paris-renacle-a-saisir-l-argent-des-russes-detenu-dans-les-banques-francaises-pour-aider-l-ukraine
Emmanuel Macron a confirmé lundi depuis Londres, en marge d’une rencontre avec ses homologues britannique, allemand et ukrainien, qu’il soutenait l’initiative de la Commission. Le chef de l’État a en effet indiqué que la France préparait avec ses alliés « les mesures pour la reconstruction de l’Ukraine », l’objectif étant de finaliser l’accord « pour le prochain Conseil européen », prévu les 18 et 19 décembre. Dans ce contexte, comment interpréter les réticences relatées aujourd’hui par The Financial Times ?
En août dernier, au lendemain des révélations du Canard enchaîné sur l’alerte donnée aux hôpitaux de se préparer à une guerre contre la Russie, un analyste de marché, Alex Krainer, avait formulé une hypothèse qui pourrait expliquer les actuelles pudeurs de l’Élysée. Selon lui, « la France aurait “perdu” 46 milliards d’euros sur les 71 milliards d’avoirs russes gelés depuis 2024, dans le cadre du conflit en Ukraine », ce qui constituerait un mobile suffisant pour qu’elle s’emploie à retarder impérativement l’issue de la guerre.
Quoi qu’il en soit, il semble que l’Europe a décidé d’aller jusqu’au bout de sa folie, l’ancien gouverneur de la Banque nationale d’Ukraine, Kyrylo Shevchenko, ayant confirmé lundi que l’Europe avait « activé un mécanisme juridique permettant le gel indéfini des avoirs de la banque centrale russe sans l’accord unanime de l’UE ». La France et l’Europe sont-elles mieux placées que l’Ukraine pour juger de ce qui serait dans son intérêt ou bien agissent-elles uniquement dans le leur ?
On ne sait pas si cette déclaration qui a d’ores et déjà provoqué une crise majeure au sein de l’Union implique que la décision est officiellement prise et si le cas échéant, la BCE permettra qu’elle soit mise en œuvre, mais si tel est le cas, il s’agit d’un suicide ou plus exactement d’un assassinat, puisque l’exécutrice de ce plan, décidé unilatéralement par Ursula von der Leyen contre l’accord de l’ensemble des États membres, n’a été élue par personne et ne possède donc aucun mandat politique.