Diversion
LCI donne la parole à deux combattants du régiment ultranationaliste Azov
L’interview par LCI de deux opérateurs de drones engagés aux côtés des forces armées ukrainiennes a suscité une polémique en début de semaine concernant la réalité de leur appartenance au régiment Azov. Le youtuber Xavier Tytelman a voulu sauver l’honneur de la chaîne en publiant un clip d’Azov où l’un des deux invités apparaît, mais en omettant de préciser ce qu’est réellement cette organisation ultranationaliste.
La présentatrice de LCI Margot Haddad a interviewé dimanche deux opérateurs de drones francophones, engagés aux côtés des forces spéciales ukrainiennes au sein du régiment Azov : Lake (Français) et Papillon (Marocain). Le général Richoux, commentateur attitré du conflit pour LCI les a interrogés à propos de la situation militaire sur le front, notamment dans la ville de Pokrovsk dont l’armée russe revendique la prise :
Les lignes de front sont encore tenues, quand même. Il y a peut-être eu un doute il y a quelques semaines, mais on a des retours de personnes qui sont là-bas, qui eux sont en train de nous dire que ça tient toujours.
Un Œil sur le monde, 2025 Nov 30. 0 h 4 min 58 s
Le youtuber Xavier Tytelman a commenté cette réponse en précisant que les Ukrainiens présents dans la poche de Pokrovsk se seraient repliés sur les positions défensives suivantes après l’arrivée des soldats russes. La « défense héroïque de Pokrovst [aurait] permis de consolider des forces vraiment solides », en particulier devant la ville de Kramatovsk, où les lignes de défense sont selon lui les plus solides jamais vues depuis trois ans.

La veille, le général Paloméros, ex-commandant au sein de l’OTAN, avait échangé sur le même plateau avec un autre combattant des forces spéciales ukrainiennes. Il avait assuré que la ville de Pokrovsk n’était pas tombée, contrairement à ce qu’affirmerait l’armée russe, accusée de diffuser de fausses informations sur l’état de dégradation du front :
Je crois que vous faites bien de le souligner parce que, évidemment, il y a une certaine actualité qu’on essaie de suivre ici en France. Il faut bien expliquer ce que vous venez de dire que c’est pas parce qu’il y a une petite centaine de Russes qui sont dans la région de Pokrovsk que Pokrovsk est tombée.
https://x.com/ToddVousGuette/status/1995069758388236751?s=20
Le jour de l’interview des combattants d’Azov, le commandant adjoint du bataillon ukrainien Loups de Vinci, issu du corps ultranationaliste Secteur Droit, Alexeï Makhrinski, donnait une analyse radicalement différente de la situation à Pokrovsk, qui ne peut pas être considérée comme prorusse :
Nous avons empêché les Russes d’entrer à Pokrovsk pendant très longtemps. Maintenant, en fait, nous comprenons qu’il y a des combats urbains et que peut-être la moitié, voire un peu plus de la moitié de Pokrovsk est déjà derrière eux. Et disons, avec leur prédominance des ressources humaines, objectivement, à mon avis, il est maintenant impossible de rétablir la position perdue là-bas.
https://x.com/BPartisans/status/1995032173825433812?s=20
Il y a trois semaines, l’historien Sylvain Fereira qui documente la situation sur le front depuis le début du conflit annonçait également la fin imminente de la bataille de Pokrovsk et l’extension du front russe au nord de Koupiansk.
La presse confirme dans son ensemble que les dés sont jetés dans cette ville stratégique, dont la perte signerait une victoire inéluctable de la Russie :
- Le Grand Continent titrait il y a un mois, contredisant le président Zelensky qui assurait que la ville était sous contrôle : « Après Pokrovsk, la chute de Koupiansk ? »
- The Times publiait le 12 septembre un reportage filmé au cœur des tranchées ukrainiennes relatant la situation désespérée à Prokovsk (« “Nous sommes presque encerclés” : un reportage depuis Pokrovsk »), où un soldat rapporte : « Pokrovsk tiendra un peu plus longtemps, mais nous ne savons pas combien de temps. »
- The Guardian annonce aujourd’hui la fin de la partie : « Une bataille de 18 mois, maintenant dans sa fin de partie, a laissé la ville ukrainienne stratégiquement importante en ruines. »
S’il est toujours complexe en temps de guerre d’obtenir une vision objective de la situation militaire, on peut s’étonner des propos tenus par le général Paloméros. Le décalage entre le récit des témoins de LCI et l’analyse partagée par de nombreux observateurs a suscité un début de polémique concernant l’appartenance des deux combattants au régiment Azov. Xavier Tytelman a répondu à ces attaques en publiant des images montrant l’un d’entre eux officiers aux côtés des combattants ukrainiens, dont le clip officiel d’Azov international. Celui de la Légion étrangère de 2024 lui donne par ailleurs raison.
La véritable polémique n’est en réalité pas de savoir si les combattants interviewés par LCI sont ou non issus des rangs d’Azov, mais pourquoi la chaîne n’a pas précisé qui était ce régiment, dont le rôle fut décisif en 2014 lors de la révolution de l’Euromaïdan. The Conversation a publié en mai 2022 un long article sur ce « bataillon ultra-nationaliste », dans lequel sont évoquées ses conditions de recrutement, élargies depuis 2022 et compatibles avec le démenti de Xavier Tytelman, mais aussi et surtout ses origines néonazies.
Le « noyau dur » néonazi qui pouvait exister à sa création est dès lors affaibli au profit d’un « nationalisme patriote ».
La rupture d’Azov avec ses racines néonazies est donc a priori consommée, du moins sur le papier. Qu’en est-il sur le terrain ?
En octobre dernier, le chercheur Idriss Aberkane a interviewé deux journalistes, Alex Jordanov, revenu la veille en France après un reportage réalisé sur la ligne de front, et Régis Le Sommier, fondateur du média Omerta, qui confirment tous les deux qu’Azov demeure profondément influencé par l’idéologie nazie :
Alex Jordanov : J’ai découvert les Azov. […]. J’étais avec une unité de drones d’élite qui fait partie de la garde républicaine. […] Les gars sur le terrain m’ont expliqué, m’ont montré, m’ont démontré que les Azov, c’est quand même 60 à 70 % des gars, en tout cas dans les brigades de drones, qui ont des croix gammées dans le cou. (13:33)
https://youtu.be/r93kcBQJVhc?t=775
Régis Le Sommier explique à son tour avoir récemment déjeuné avec un officier français ayant rencontré en Ukraine le patron d’Azov, Andriy Biletsky, et qui confirme que « les mythes, on va dire proches du IIIe Reich, sont quand même très inscrits chez eux » (17 h 44). Il précise que l’une des épreuves de recrutement est un test historique de la SS, l’organisation de protection d’Hitler, et du Volkssturm, la dernière formation allemande sous le IIIe Reich, dirigée par Himmler :
Ce sont des soldats d’élite. […] Ils fonctionnent exactement de la même manière que la division Das Reich ou la division Leibstandarte en 1943 en Ukraine, où à chaque fois que la Wehrmacht flanchait, on les envoyait réparer le front.
https://youtu.be/r93kcBQJVhc
Ni les invités ni les journalistes de LCI, qui avait déjà diffusé un portrait hagiographique des volontaires d’Azov en mai 2025, n’ont semblé estimer nécessaire d’informer leurs téléspectateurs de ce « détail ». Un reportage du Monde datant de juin dernier alertait pourtant sur la surreprésentation des combattants d’Azov parmi les soldats ukrainiens arborant des croix gammées et des emblèmes de la SS.
Précisons que le mois dernier, un reportage de la chaîne RT montrant le président Zelensky dans un bunker, se tenant debout à côté d’une bannière néonazie et serrant la main à des soldats arborant sur leurs uniformes des insignes SS, avait provoqué un tollé sur les réseaux sociaux, sans aucun relais médiatique.