Indiscrétion
Plan de réarmement de la France, la faillite morale de l’état-major des Armées
L’état-major des Armées françaises a présenté en fin de semaine le plan de réarmement de la nation commandé par l’Élysée. Il a justifié la hausse massive des dépenses prévues pour l’année 2026 par l’imminence d’un possible conflit de haute intensité avec la Russie. En mai 2022, pourtant, Emmanuel Macron aurait avoué en off que la guerre en Ukraine a été provoquée par l’OTAN. Cette révélation choquante s’inscrit dans la continuité de la récente divulgation par The Guardian d’un pôt-de-vin perçu par Boris Johnson pour faire échouer l’accord de paix négocié en avril 2022.
Le projet de la loi de finances (PLF) 2026 commence à peine à être débattu dans l’hémicycle, mais nous avons d’ores et déjà une certitude : le budget alloué au réarmement de la France sera l’un des rares à être épargné par la future cure d’austérité. Il devrait s’établir à 57,1 Md€ versus 50,5 Md€ pour l’année 2025 (+ 13 %).
Le texte prévoit une augmentation de + 6,7 Md€ pour la mission « Défense », soit le double du montant inscrit dans la dernière loi de programmation militaire. La trajectoire devrait se poursuivre au moins jusqu’à la fin du quinquennat, l’objectif annoncé par Emmanuel Macron le 13 juillet dernier étant d’atteindre les 64 Md€ à l’horizon 2027. La nouvelle ministre des Armées, Catherine Vautrin, évoque un effort budgétaire historique (+ 13 % d’augmentation depuis 2025, + 77 % depuis 2017), mais « soutenable ». À quel prix et dans quel objectif ?
Une amputation de 7 Md€ des dépenses de santé est projetée pour compenser cette hausse, Emmanuel Macron ayant expliqué en juillet dernier que ces investissements ne devaient pas se traduire par un endettement supplémentaire : « Nous refusons que ce réarmement passe par l’endettement. Notre indépendance militaire est indissociable de notre indépendance financière. »
La préparation des esprits à une guerre contre la Russie
Le haut commandement de l’Armée française multiplie depuis quelques jours les déclarations afin de « préparer » l’opinion à un futur conflit (ou, plus probablement, de façonner son consentement aux sacrifices financiers à venir), et conditionner les parlementaires à valider les arbitrages budgétaires soutenus par le Premier ministre.
Mercredi dernier, le chef d’état-major des Armées, Fabien Mandon, qui commandera demain aux soldats si la France est déployée sur le front, a annoncé un « choc » inéluctable avec la Russie d’ici trois à quatre ans lors de son audition par la Commission de la défense de l’Assemble nationale :
Le premier objectif que j’ai donné aux armées, c’est de se tenir prêtes à un choc dans trois, quatre ans qui serait une forme de test – peut-être le test existe déjà sous des formes hybrides – mais peut-être (quelque chose de) plus violent.
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/organes/commissions-permanentes/defense/actualites/projet-de-loi-de-finances-2026-audition-du-chef-d-etat-major-des-armees
Le chef d’état-major de l’Armée de terre (Cemat), Pierre Schill, a confirmé le lendemain devant la même commission que la France se préparait à déployer des troupes en Ukraine dans le cadre de la future mission de maintien de la paix soutenue par Emmanuel Macron. Il a également précisé qu’elle n’hésiterait pas à intervenir en cas d’agression d’un pays de l’OTAN ou de l’UE, comme le prévoient les traités :
La France veut peser sur son destin et tenir son ambition de puissance d’équilibre et d’entraînement, de moteur d’une architecture de sécurité en Europe qui soit un pilier crédible de l’Alliance atlantique. Elle a besoin d’une armée de terre de combat prête à remplir des missions allant de la protection du territoire à une contribution déterminante à la défense collective de l’Europe sous forme d’un commandement en coalition.
Fin septembre, il avait utilisé une formule fracassante destinée à marquer les esprits pour caractériser l’urgence de la menace à laquelle la France serait confrontée : « Nous devons être prêts dès ce soir à un conflit de haute intensité. » Jeudi, au micro de RTL, vêtu d’une tenue de camouflage dont personne n’a véritablement compris ce qui la justifiait, il a précisé qu’une guerre contre la Russie était potentiellement imminente, mais que l’armée de terre était « prête à monter aux remparts de notre pays et de notre continent » :
Marc-Olivier Fogiel : Dès ce soir, tout peut basculer ?
Général Schill : Je dirais même dès ce matin. Dès ce matin tout peut basculer. […] Oui, mais de toute façon nous sommes prêts ce soir. Mais nous devons rester prêts tous les jours. […] Il n’y a pas une notion où l’on partirait d’un point A et on arriverait à un point B dans quelques années où l’on serait complètement prêts. […]
Qui des deux gradés bénéficie de l’écoute du président ? Le général Mandon s’est montré beaucoup plus prudent devant les parlementaires, avec qui il a reconnu que l’Armée française n’était actuellement pas capée pour affronter la deuxième puissance militaire au monde, dont les indicateurs de la santé économique, n’en déplaise au ministre des Affaires étrangères, sont sans commune mesure avec ceux de la France, et dont l’avance technologique et militaire n’a aucune raison de se résorber, et a fortiori de s’inverser dans les prochaines années :
J’ai dit qu’on avait besoin de plus d’entraînement, de plus de munitions. […] En 2026, on aura quand même 31 milliards de commandes et 800 effectifs supplémentaires. Donc voilà, c’est des choses de long terme. […] Je pense qu’on est dans le bon tempo des trois années qui viennent.
https://www.youtube.com/watch?v=R71axD4de24
Au-delà de cette différence d’appréciation concernant l’état de préparation des armées françaises, les deux généraux ont chacun insisté sur la nécessité impérative d’expliquer à la population, de la manière la plus transparente possible, la gravité de la menace, a fortiori dans le contexte budgétaire actuel où ce sont les retraités et les malades qui s’apprêtent à supporter l’effort de réarmement demandé par le ministère de la Défense.
Le mensonge d’Emmanuel Macron sur la menace existentielle russe
La question de l’origine du conflit ukrainien est sur ce principe une donnée cruciale, la stratégie de réarmement européenne et française reposant fondamentalement sur la certitude que la Russie attaquera l’Europe à brève échéance, comme elle l’a fait en 2022 en Ukraine, dans une logique d’extension impérialiste. Le général Mandon l’a rappelé clairement au début de son audition.
L’économiste et professeur d’université Jeffrey Sachs, consultant spécial auprès du secrétaire général des Nations unies et dont l’expertise lui vaut d’être sollicité par de nombreux gouvernements, sur l’ensemble des continents, a reçu la Légion d’honneur en mai 2022. Il a déclaré récemment dans la presse italienne qu’Emmanuel Macron lui avait confié à cette occasion que l’OTAN était à l’origine du conflit russo-ukrainien, une thèse qu’il a lui-même abondamment documentée et dont nous avons restitué les principaux arguments à de nombreuses reprises.
S’exprimant lors d’un débat de politique étrangère avec le quotidien italien il Fatto Quotidiano, Sachs a rappelé que lorsque Macron lui a décerné la Légion d’honneur en mai 2022, le dirigeant français lui a dit en privé exactement le contraire de ce qu’il dit publiquement » et a admis que « l’OTAN était à l’origine de cette guerre ».
https://www-rt-com.translate.goog/russia/624687-sachs-macron-nato-ukraine/?_x_tr_sl=auto&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=wapp
« Je veux juste que tout le monde le sache », a déclaré Sachs, ajoutant qu’il était « dégoûté » par le président français. Sachs a en outre condamné les dirigeants d’Europe occidentale, les décrivant comme des bellicistes qui « veulent simplement aller à la guerre ».
L’économiste a souligné que le conflit ukrainien avait effectivement commencé en 2014, lorsque les États-Unis « ont activement participé à un coup d’État violent » qui a renversé le gouvernement à Kiev. « C’est ce qui a déclenché la guerre », a déclaré Sachs, notant que dans les années suivantes, Washington a contribué à construire l’armée ukrainienne en la plus importante d’Europe. Il a ajouté que, alors que la Russie cherchait la paix, le président américain de l’époque, Joe Biden, avait rejeté les propositions de Moscou et promis de l’« écraser » par des sanctions.
Le président français continue pourtant de marteler, en introduction de chacune de ses prises de parole, comme il l’a fait vendredi lors de la réunion de la Coallition des volontaires : « C’est la Russie […] qui a lancé cette guerre illégale et injustifiée qui dure encore aujourd’hui, et qui a refusé toute négociation. »
Au-delà des éléments factuels qui contredisent ce récit, Jeffrey Sachs a cité en février dernier, lors d’une déclaration solennelle au Parlement européen, un argument de fait qui étaye la version soutenue en off par Emmanuel Macron. Il explique qu’immédiatement après le coup d’État de 2014 qui a renversé le gouvernement ukrainien, qualifié de « révolution spontanée de la dignité » par les médias, il a été conduit à Kiev pour y rencontrer le nouveau Premier ministre, à sa demande, afin de s’entretenir avec lui des difficultés économiques de l’Ukraine. Alors qu’il se promenait sur la place Maïdan où tout a commencé en 2014, les autorités de Kiev lui auraient expliqué que les États-Unis avaient financé chacun des manifestants qui ont renversé le gouvernement.
Cette information est ancienne, mais la détermination des Occidentaux, et plus particulièrement de la France, pour faire dégénérer le conflit et pousser les économies européennes à s’endetter massivement, jusqu’à un point de non-retour où elles n’auront d’autre solution que de mutualiser cette dette et renoncer de fait à leur souveraineté, est en passe de devenir un problème concret pour chaque Français. Nous n’y sommes pas encore, mais la question a été effleurée jeudi par le général Schill : combien d’entre eux accepteront demain de s’engager aux côtés de l’Ukraine pour la soutenir face à une menace qui ne vient pas de la Russie mais de leur propre gouvernement et de ses alliés ?
Il y a quelques jours, le quotidien The Guardian a révélé que l’ancien ministre anglais Boris Johnson qui est intervenu au avril 2022, lors d’une visite surprise dans la capitale ukrainienne, pour faire échouer l’accord de paix en passe d’être conclu à Istanbul, aux conditions de l’Ukraine, a perçu en novembre 2022 un million de la part d’un des plus puissants « donateurs politiques » du Royaume-Uni. Or Christopher Harborne, l’auteur de ce virement, est également actionnaire majoritaire de la société QinetiQ, qui produit des drones et des robots de déminage pour l’armée ukrainienne. L’ancien Premier ministre est aujourd’hui étrillé sur les réseaux sociaux, où il est accusé d’avoir sur les mains le sang de 1,7 million d’Ukrainiens depuis que ce bilan a été divulgué à la suite d’un piratage des fichiers de l’état-major ukrainien confirmé par le département de la Sécurité intérieure des États-Unis.
En dépit du contexte budgétaire français et de la fragilisation du narratif occidental sur la prétendue menace existentielle russe, la générosité du chef de l’État à l’égard l’Ukraine ne semble souffrir d’aucune limite. Il a annoncé ce vendredi « un financement supplémentaire » dont le principe aurait été acté dans le cadre d’un énième Conseil européen, ainsi que de nouvelles livraisons de missiles sol-air antibalistiques Aster 30 et d’avions Mirage 2000 dont la France assure également la formation des pilotes. Tous ces équipements seront prélevés sur les stocks existants, mais on sait qu’une partie des commandes inscrites dans le budget 2026 sont destinées à renforcer le soutien militaire à l’Ukraine, ce qui justifie probablement les « scrupules » exprimés par le haut commandement de l’Armée. Celui-ci assure pourtant que son objectif n’est pas de se préparer à la guerre mais uniquement de se renforcer suffisamment pour dissuader Vladimir Poutine de vouloir envahir la France.
Est-ce une façon de construire la paix ou de se préparer à entrer en guerre ?
Sachs a soutenu qu’« il existe une voie facile vers la paix », qui impliquerait que l’Ukraine s’engage à la neutralité et que l’OTAN cesse son expansion vers l’Est. Il a suggéré que le président américain Donald Trump pourrait être ouvert à une telle approche, mais a affirmé que « c’est désormais l’Europe qui est remplie de bellicistes qui poursuivent la guerre », citant notamment Macron, le chancelier allemand Friedrich Merz et le Premier ministre britannique Keir Starmer.
https://www-rt-com.translate.goog/russia/624687-sachs-macron-nato-ukraine/?_x_tr_sl=auto&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=wapp
C’est donc sur un mensonge qui dure depuis plus de trois ans que se jouera dans quelques jours le sort des finances publiques. Pourtant, aucun parlementaire français n’a à ce jour osé le dénoncer. Quand l’armée française se décidera-t-elle à le faire ? En l’état, on ne peut que comprendre ses déclarations sur la nécessité d’une transparente totale vis-à-vis des Français que comme une manière particulèrement cynique de les manipuler pour extorquer leur consentement à de futurs sacrifices.