Délinquance en col blanc

Équipe Le Point Critique | 20 juin 2025

Le rapporteur du budget dénonce les pressions du lobby bancaire en faveur de l’évasion fiscale

Le rapporteur du budget au Sénat, Jean-François Husson, alerte ce jeudi sur la découverte d’une collusion entre le lobby bancaire et Bercy visant à détourner un dispositif législatif de lutte contre l’évasion fiscale de certains actionnaires étrangers.

Ministère français de l'Économie et des Finances, Paris
© Olrat

Le rapporteur du budget au Sénat, Jean-François Husson, alerte ce jeudi sur la collusion entre le lobby bancaire et Bercy pour détourner un dispositif législatif de lutte contre l’évasion fiscale au profit de certains actionnaires étrangers et des établissements bancaires. La détermination du lobby n’est pas en soi une surprise, mais son agressivité et son influence trouvent une illustration concrète dans les révélations du rapporteur, qui qualifie d’« effarantes » ses dernières découvertes.

Lors d’une conférence de presse donnée à l’issue d’un déplacement au ministère des Finances, lil a expliqué ce jeudi comment le lobby bancaire, soutenu par Bercy, avait torpillé le dispositif antifraude, introduit en début d’année par le Sénat malgré le refus du gouvernement.

Le bras de fer entre le Sénat et le lobby bancaire

Ce dispositif, inclus au forceps dans la loi de finances pour 2025, vise à neutraliser un stratagème permettant aux actionnaires étrangers d’entreprises françaises de contourner l’imposition à la source sur les dividendes à laquelle échappent aujourd’hui les ressortissants français. Le mécanisme en question repose sur une technique d’« optimisation » fiscale, appelée CumCum, consistant à confier temporairement des actions à une banque française chargée de les revendre sur les marchés peu de temps avant le paiement du dividende, puis à les racheter juste après, moyennant rétribution. L’objectif de ces échanges furtifs est d’induire le fisc en erreur quant au véritable propriétaire des actions et de le conduire à procéder à des remboursements frauduleux sous forme de crédit d’impôt.

En France, le coût de ce mécanisme est estimé annuellement entre 1 et 3 milliards d’euros. Il est soupçonné d’avoir privé en vingt ans les finances françaises de 33 milliards de recettes fiscales, en partie au profit des établissements bancaires, selon la cellule internationale d’investigation Correctiv. L’enquête avait dévoilé en 2019 une pratique de spoliation méthodique, à l’œuvre dans le monde entier, qui serait à l’origine du « plus gros braquage fiscal de l’histoire ».

La mesure adoptée par le Sénat était supposée mettre un coup d’arrêt à cette pratique frauduleuse, qui fait l’objet d’une série d’enquêtes ouverte par le Parquet national financier (PNF) en introduisant la notion de « bénéficiaire effectif ». Or la rédaction du texte d’application a introduit le 17 avril dernier une exception à laquelle la commission des Finances du Sénat s’était opposée, et qui a finalement été introduite dans la loi malgré deux courriers de la commission adressés au Gouvernement.

Les révélations de Jean-François Husson

Le déplacement de Jean-François Husson à Bercy avait pour objet de comprendre, sur la base d’un contrôle sur pièces dans les locaux du ministère, pourquoi le gouvernement avait pris l’initiative d’annuler un dispositif contraignant, voté par les parlementaires, en le vidant concrètement de sa substance.

Lors de sa conférence de presse, le rapporteur a confirmé l’effectivité de la manœuvre de Bercy, les fraudes continuant de façon massive depuis le vote de la loi. Leur coût est aujourd’hui estimé à 4,5 milliards d’euros, versus 2,5 milliards il y a deux ans, lorsque Gabriel Attal était en charge du ministre des Comptes publics.

Le rapporteur a également découvert que le lobby bancaire serait directement intervenu dans l’écriture du texte de loi pour protéger la manne financière colossale que ces échanges constituent pour les établissements bancaires :

C’est le lobby bancaire lui-même, à travers la Fédération bancaire française, qui a demandé à Bercy de prévoir ces cas de non-application de l’impôt, alors que les banques elles-mêmes profitent de cette fraude.

L’autre annonce faite par Jean-François Husson lors de la conférence de presse est la découverte d’un avertissement émis en 20 mars dernier par la Direction de la législation fiscale et la Direction générale des finances publiques à l’attention du ministère de l’Économie et des Finances, dans lequel elle lui déconseille de céder aux injonctions de la Fédération bancaire qui avait assuré en novembre dernier à la commission des Finances qu’il n’existe « pas de phénomène de fraude en France résultat de la pratique d’arbitrage de dividendes ».

Sur la base de ces éléments, le rapporteur du budget estime inenvisageable de ne pas retirer ce texte compte de la situation catastrophique des finances publiques et des sacrifices demandés aux Français, qualifiés de « très considérables » (40 milliards d’euros) par Éric Lombard, le nouveau ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique.

La vraie question est en réalité la suivante : pourquoi s’ingénier à faire échouer, contre les mises en garde de son administration, un dispositif visant à récupérer des recettes fiscales dues à l’État français ?

Lors de sa conférence de presse, Jean-François Husson a dénoncé les « obstacles incessants [qui] se sont dressés, depuis 2018, face à la volonté de mettre fin à cette fraude », en concluant par cette question :

Qui protège la délinquance en col blanc ? Car il s’agit de délinquance, même si elle présente bien !

Le « problème » Éric Lombard

Cette annonce intervient dans un contexte particulier puisqu’Éric Lombard, en poste depuis le 23 décembre 2024, et qui est donc celui qui a personnellement organisé le torpillage du dispositif légistaltif, est aujourd’hui accusé par Le Canard enchaîné d’avoir significativement « sous-évalué » ses biens dans sa déclaration officielle de patrimoine estimée à 21 millions d’euros : une propriété dans le Morbihan d’une valeur estimée entre 3,5 et 4 millions par des professionnels de l’immobilier, déclarée à 600 000 euros ; un appartement parisien de 180 m2, acheté 2,8 millions d’euros, soit le double de sa valeur vénale déclarée ; enfin, une société de conseil, Halmahera, dirigée par l’épouse du ministre qui en est l’unique employée, et dont France-Soir rapporte qu’elle a réussi à dégager 6 millions de dividendes annuels alors qu’elle ne revendique aucun client.

Le 27 janvier, lors d’un entretien pour LCI, il avait loué la vertu de l’impôt et réfuté que la France soit un pays libéral. Interrogé sur la question de la taxation des hauts revenus, il avait botté en touche en répondant : « Moi je veux la justice fiscale. »

Plus récemment, il a été sommé de s’expliquer devant le Parlement sur l’exonération de 320 millions d’euros de pénalités dont le groupe Vivendi aurait bénéficié dans le cadre d’un redressement fiscal de 2,4 milliards d’euros. En réponse, il a accusé son administration d’être à l’origine de ce cadeau, qui selon Le Canard enchaîné, exigeait impérativement l’accord du ministre pour que Vivendi échappe concrètement au paiement de l’amende.

Il semble de plus en plus que la France soit, si ce n’est un pays libéral, un paradis fiscal qui ne dit pas son nom, et qui cumule l’ensemble des critères d’un authentique enfer social.

La réponse du ministre de l’Économie, solennellement invité par Jean-François Husson à corriger le texte de loi pour annuler l’exception introduite à son initiative permettra de savoir qui dirige réellement la France et quelle est l’ampleur de la soumission de l’Élysée au lobby bancaire dont Pierre Larrouturou affirmait en 2022, et comme le suggérait Le Monde en 2019, que le chef de l’État était le porte-parole.

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