Viol démocratique
Roumanie, une colonie française ?
Le second tour de l’élection présidentielle roumaine s’est conclu ce dimanche, six mois après la tenue du premier tour. Il consacre l’européiste Nicușor Dan face à son rival souverainiste, George Simion, pourtant donné grand favori. La presse évoque une folle journée, marquée par un retournement de situation spectaculaire, mais des soupçons d’ingérence moldave et française jettent le trouble sur la sincérité du scrutin.

Les Roumains étaient invités ce dimanche à se rendre une nouvelle fois aux urnes après l’annulation historique du premier tour de l’élection présidentielle, le 6 décembre dernier, et l’exclusion du candidat souverainiste Călin Georgescu. Ce marathon électoral de six mois s’est conclu par la victoire du maire européiste de Bucarest, un normalien de 56 ans qui a obtenu son doctorat de mathématiques à la Sorbonne en 1998.
Le coup d’État de novembre 2024
L’ancien haut fonctionnaire, estampillé « prorusse » par les institutions et la presse européennes avait remporté le premier tour à la surprise générale, provoquant l’indignation de Bruxelles et l’ouverture d’une enquête pour suspicion d’ingérence russe. Une décision de justice a interrompu la tenue du second tour en cours de vote, avant de l’annuler et de reprogrammer de nouvelles élections.
Nous avons consacré quatre articles à ce feuilleton électoral surréaliste (voir boîte noire en fin d’article), qualifié de « coup d’État » par l’opposition au lendemain de la confirmation d’une intervention du gouvernement roumain visant à utiliser Călin Georgescu pour affaiblir le score du candidat de l’extrême droite. Cette manœuvre a en réalité donné une visibilité inespérée à Călin Georgescu, dont la popularité a démontré que son programme résonnait avec les aspirations profondes du peuple roumain.
Arrêté puis placé sous contrôle judiciaire le jour où il s’apprêtait à déposer sa candidature pour la nouvelle élection, il a été définitivement exclu du scrutin le 11 mars dernier, après épuisement de tous les recours, la Cour constitutionnelle estimant que sa candidature portait atteinte aux principes démocratiques de l’UE et de l’OTAN, dont le nom est cité dans l’avis.
Le scrutin de 2025
Le premier tour de la nouvelle élection présidentielle s’est tenu le 4 mai. Le chef de l’Alliance pour l’unité des Roumains (AUR), George Simion, est arrivé largement en tête avec 41 % des suffrages (Le Monde qualifie son score de « fracassant ») devant le maire centriste de Bucarest, Nicușor Dan (20,99 %), estampillé indépendant, libéral et pro-européen.
Le président par intérim, Crin Laurențiu avait été choisi pour représenter la coalition pro-européenne formée par les sociaux-démocrates, les libéraux et le parti de la minorité hongroise. Il n’a finalement obtenu que 20,6 % des voix, loin devant Elena Lasconi (2,6 %), la candidate Renew portée à bout de bras par Emmanuel Macron lors de la première élection.
L’échec du bloc européen a poussé à la démission le Premier ministre social-démocrate Marcel Ciolacu, qui a estimé que la coalition, constituée pour faire barrage au bloc nationaliste, n’avait « plus de légitimité sous sa forme actuelle ».
Le second tour a finalement été remporté ce dimanche à 53,60 % des suffrages par Nicușor Dan, qui aura accompli la prouesse de doubler le score obtenu quinze jours plus tôt (+ 155 %, soit 1,8 million de voix supplémentaires). Cette victoire a été attribuée à la mobilisation historique des Roumains (64,72 %, soit 2,072 millions de votants supplémentaires par rapport au premier tour), dont le « sursaut » aura profité quasiment exclusivement à Nicușor Dan, 87 % des voix additionnelles s’étant exprimés en faveur du remplaçant de la candidate Renew.
Le leader du bloc européen était pourtant donné perdant à 21 h 30 (48,58 %) à l’issue premiers dépouillements (24,58 %), contrairement à ce qu’affirmait FranceInfo à 21 h 25. La tendance s’est inversée entre 21 h 38 et 21 h 45 selon les chiffres annoncés en direct par RomnaiaTV, alors que les deux candidats étaient au coude-à-coude.
Selon le site DirectNews, cette inversion s’est produite vers 21 h (heure roumaine locale) juste après une interruption de la transmission lors du direct organisé par la chaîne roumaine RealitateaNET.
Le rôle de la diaspora roumaine dans la victoire de Nicușor Dan
La diaspora, soit 15 % des 19 millions d’électeurs, a commencé à voter deux jours avant le début du scrutin local, présenté par la presse roumaine comme le plus important depuis trente ans. Elle avait massivement voté en faveur de Simion lors du premier tour (60 %). Pour la journée de dimanche, son apport est estimé à 672 000 voix, soit environ 30 % des électeurs qui ne s’étaient pas déplacés il y a quinze jours. A-t-elle réellement pu faire bouger les lignes de manière décisive ?
Multiples allégations de fraude autour du vote de la diaspora
Des dysfonctionnements ont été relatés sur les réseaux sociaux dans plusieurs villes européennes, notamment allemandes ou italiennes : accès interdit au bureau de vote (Duisburg), entrave au vote électronique (Cologne), bourrage d’urnes, stock de bulletins épuisé (Italie), vote de citoyens décédés (1,7 million selon George Simion, soit près de 10 % du total des électeurs).
La presse venue couvrir le vote du nouveau président n’est pas parvenue à convaincre de sa popularité, pourtant reflétée par le résultat final qui ne peut logiquement s’imputer, compte tenu de l’ampleur du désaveu pour le projet européen, qu’à la personnalité du candidat pro-UE. Une image particulièrement saisissante est le contraste entre la solitude du nouveau couple présidentiel arpentant une rue déserte pour se rendre au bureau de vote, et la densité de la foule acclamant Călin Georgescu lors de son déplacement aux urnes.
Jeudi, il avait publiquement apporté son soutien à George Simion et appelé à une mobilisation massive qui semble avoir lieu, la participation ayant doublé entre les deux tours. Le lendemain, il a confirmé dans la presse être prêt à accepter le poste de Premier ministre en cas de victoire de George Simion. L’enjeu de l’élection n’était donc pas celle du nouveau président, mais le retour de Georgescu sur la scène politique.
Suspicion d’ingérence moldave
Une fraude massive est également relatée en Moldavie, où la nouvelle présidente Maia Sandu est accusée d’avoir fait activement campagne contre le candidat nationaliste.
En octobre 2024, son gouvernement a déjà été pointé du doigt après le retournement spectaculaire du vote sur l’adhésion à l’Union européenne, précédé d’une visite de soutien d’Alexander Soros : à 23 h 36, alors que près de 90 % des votes étaient dépouillés, les Moldaves s’étaient prononcés contre l’intégration de leur pays à 54,41 %. Ce sera finalement le oui qui l’emportera d’une courte tête (50,32 %) grâce à un afflux massif de voix venant de l’étranger.
Quelques semaines plus tard, elle s’est fait piéger par deux blogueurs russes, auxquels elle avait promis, en pensant s’adresser au président Zelensky, de céder illégalement une partie du territoire moldave à l’Ukraine et de persécuter les citoyens russes de Moldavie.
Le rôle attribué à la France par l’opposition roumaine
Emmanuel Macron a pris la parole à deux jours du nouveau scrutin pour dénoncer une nouvelle fois une ingérence de la Russie dans le processus électoral roumain, mais également moldave.
Vendredi dernier, en marge du sommet européen de Tiruana, il a alerté sur les « conséquences extrêmement dommageables » qu’aurait la victoire du candidat souverainiste pour la Moldavie en raison de sa proximité idéologique avec Moscou. Un aveu ? Il a également confirmé dans cette séquence sa volonté de renforcer la coopération entre la France et l’ex-république soviétique, enclavée entre la Roumanie et l’Ukraine, et soupçonnée d’être le « prochain pays dans le viseur de la Russie ».
George Simion a réagi à ces accusations, en rappelant au chef de l’État qu’il n’était ni l’empereur de l’Europe ni un président populaire, et en fustigeant ses « tendances dictatoriales ». L’Élysée est en effet accusé d’être à l’origine du revirement de la Cour institutionnelle, qui avait initialement estimé que l’élection de 2024 s’était déroulée de façon régulière. Elle n’aurait donc jamais dû être annulée.
Le 11 avril, Călin Georgescu avait ainsi publiquement accusé Antony Blinken et Emmanuel Macron d’avoir influencé le gouvernement roumain pour l’interdire de participer aux élections présidentielles par peur du message qu’il a toujours porté en faveur de la paix.
Accusations d’ingérence dans le scrutin de 2025
La journée de dimanche a été marquée par un rebondissement, avec la publication, sur le réseau X, de trois messages du co-fondateur franco-russe de la messagerie cryptée Telegram et du réseau social VK, Pavel Durov. Pour rappel, Pavel Durov, qui a bénéficié d’une procédure de naturalisation accélérée en 2021, avait été arrêté le 24 août 2024 sur le tarmac de l’aéroport du Bourget lors d’un déplacement en France supposément à l’invitation d’Emmanuel Macron, ce que le chef de l’État a clairement démenti.
Dans le premier message, posté à 17 h 28, il laisse entendre que l’élection roumaine serait manipulée par ceux qui l’accusent aujourd’hui d’être la cible d’ingérences étrangères :
On ne peut pas « défendre la démocratie » en la détruisant. On ne peut pas « lutter contre l’ingérence électorale » en s’ingérant dans les élections. Soit on a la liberté d’expression et des élections équitables, soit on ne les a pas. Et le peuple roumain mérite les deux.
https://x.com/durov/status/1924124918511263860
Dans le second, posté à la même heure, il accuse plus précisément un gouvernement européen de lui avoir demandé de censurer les comptes de l’opposition roumaine en bloquant leur chaîne Telegram. Il ne la nomme pas, mais il désigne explicitement la France :
Un gouvernement d’Europe occidentale (devinez lequel) a contacté Telegram pour nous demander de faire taire les voix conservatrices en Roumanie avant les élections présidentielles d’aujourd’hui. J’ai catégoriquement refusé. Telegram ne restreindra pas les libertés des utilisateurs roumains ni ne bloquera leurs chaînes politiques.
https://twitter.com/durov/status/1924124841629651023
Dans le troisième, il décrit comment et par qui il a été contacté pour exécuter ce service, et nomme Nicolas Lerner, le chef des services de renseignement français et ancien camarade de promotion d’Emmanuel Macron à l’ENA :
Ce printemps, au Salon des Batailles de l’Hôtel de Crillon, Nicolas Lerner, chef des services de renseignement français, m’a demandé d’interdire les voix conservatrices en Roumanie avant les élections. J’ai refusé. Nous n’avons pas bloqué les manifestants en Russie, en Biélorussie ou en Iran. Nous ne le ferons pas en Europe.
Un peu plus tôt dans la journée, une rumeur avait insinué que les comptes Facebook et TikTok de George Simion avaient été bloqués, mais un message porté sur X indique qu’il a librement choisi de les mettre en sommeil le temps de l’élection.
Démenti de l’Élysée
La cellule diplomatique de l’Élysée a démenti catégoriquement avoir tenté de manipuler le vote roumain. Dans son message, elle se défend d’être intervenue dans l’élection de 2024, mais sans répondre aux accusations de Pavel Durov concernant celle de 2025. La candidate Renew aux dernières élections européennes, Valérie Hayer, a pourtant assumé, à plusieurs occasions, sa volonté d’empêcher quoi qu’il en coûte une victoire de l’opposition roumaine :
On va mener une campagne active pour faire prendre conscience aux Roumains qu’il y a un enjeu démocratique important pour l’avenir du pays et de l’Europe. Soit un projet pro-européen, respectueux des valeurs et de l’État de droit. Soit un projet qui va venir saper l’État de droit comme en Hongrie avec Viktor Orban et prorusse avec un soutien assumé à Vladimir Poutine.
L’Élysée continue par ailleurs de dénoncer une ingérence russe et d’ignorer le fait que la seule ingérence avérée est à ce jour est celle du gouvernement roumain, qu’il soutient activement. Est-il si mal informé ?
Modus operandi ?
Les accusations de Pavel Durov, si elles sont confirmées, soulèveraient d’immenses inquiétudes quant à la capacité de nuisance du président français et l’ampleur de sa soumission à un projet européen fondé sur la guerre et le reniement des valeurs démocratiques. Elles posent également en creux deux questions : jusqu’où Emmanuel Macron serait-il prêt à aller pour neutraliser un adversaire politique s’il est capable d’utiliser l’appareil d’État pour manipuler une élection à l’étranger ? En supposant qu’il s’agisse d’un modus operandi, combien de gouvernements ont-ils été la cible de tels agissements, et avec quelles conséquences pour la sécurité de la nation ?
L’Europe ou l’État roumain vont-ils diligenter une enquête ? Non, bien évidemment, et cette prévisible inertie est la réponse la plus implacable à nos interrogations.
Mise à jour – La réaction de Pavel Durov
L’arrestation de Pavel Durov en août dernier a été officiellement justifiée par son manque de collaboration dans des affaires de pédocriminalité ou d’apologie du terrorisme. Il lui a été demandé de transmettre à la justice des renseignements sur ses utilisateurs et donc d’enfreindre les règles de protection de la vie privée de sa messagerie, ce qu’il a refusé. Pour cette raison, il est poursuivi pour complicité des crimes commis par les utilisateurs Telegram. Sous surveillance de la police française jusqu’au 15 mars 2025, il vient de retrouver sa liberté de mouvement et de parole. Il commente aujourd’hui ses échanges avec les services de renseignement français :
Les services de renseignements étrangers français ont confirmé qu’ils m’avaient rencontré, soi-disant pour lutter contre le terrorisme et la pédopornographie. En réalité, la pédopornographie n’a jamais été évoquée. Ils voulaient bien les adresses IP de suspects terroristes en France, mais leur principal objectif était toujours la géopolitique : Roumanie, Moldavie, Ukraine.
Dossier Roumanie – Une tragédie démocratique
Le Point critique. Le rideau de fer s’abat sur la Roumanie. 2025 Feb 27. https://lepointcritique.fr/2025/02/27/le-rideau-de-fer-sabat-sur-la-roumanie/.
Le Point critique. Slovaquie, Géorgie, Roumanie… la trilogie maudite ? 2025 Mar 1. https://lepointcritique.fr/2025/03/01/slovaquie-georgie-roumanie-la-trilogie-maudite/.
Le Point critique. Coup d’État en Roumanie, un signal d’alerte pour la France ?. 2025 Mar 14. https://lepointcritique.fr/2025/03/14/coup-etat-roumanie-signal-alerte-france/.
Le Point critique. La Cour constitutionnelle roumaine publie les motivations de l’exclusion de Călin Georgescu. 2025 Mar 16. https://lepointcritique.fr/2025/03/16/cour-constitutionnelle-roumaine-publie-motivations-exclusion-calin-georgescu/.