Malaise d'État
Narcogate : cocaïne ou mouchoir, à vous de juger !
L’Élysée a tenté d’éteindre ce dimanche l’incendie provoqué par une vidéo dans laquelle Emmanuel Macron s’efforce de dissimuler ce que des milliers d’abonnés Twitter ont pris pour un sachet de cocaïne. Ce n’était finalement qu’un mouchoir usager, affirme l’Élysée. Retour sur cette polémique moins anodine qu’il n’y paraît.

Une vidéo officielle tournée lors d’un déplacement d’Emmanuel Macron en compagnie du Premier ministre britannique et du nouveau chancelier allemand a défrayé la chronique samedi dernier. Les trois dirigeants se rendaient vendredi dans la capitale ukrainienne pour y rencontrer le président Volodymyr Zelensky et convenir des termes d’un cessez-le-feu avec la Russie. La scène, supposée immortaliser une réunion de travail historique montre Emmanuel Macron et le chancelier allemand, hilares, accueillant le Premier ministre anglais dans une tenue décontractée.
L’affaire
Sur la vidéo postée l’AFP, les internautes ont cru reconnaître un sachet plastifié blanc et une cuillère utilisée pour sniffer de la cocaïne, posées respectivement sur les documents de travail d’Emmanuel Macron et à côté du verre du chancelier allemand. La scène, visible à la seconde 24, a suscité un tel émoi que l’Élysée a dû démentir le lendemain de sa diffusion, en affirmant que l’enveloppe en question était en réalité un mouchoir usager, et la cuillère, un vulgaire mélangeur à cocktail.
L’hypothèse est alimentée en partie par l’état d’excitation incongru et par la réaction des deux protagonistes lors de l’irruption des caméras dans la pièce. On y voit le chancelier Merz cacher discrètement l’ustensile à cocktail placé à côté de son verre d’eau (pourquoi mélanger de l’eau ?), et Emmanuel Macron subtiliser ledit mouchoir, le faire passer d’une main à l’autre et le placer dans sa poche, sans lâcher à aucun moment la caméra des yeux. La séance photo semble avoir été avortée après cet intermède gênant, suivi d’un silence embarrassé.
L’Élysée dénonce une cabale organisée par « les ennemis de la France », en réponse aux commentaires postés notamment par la chef de la diplomatie russe, Maria Zakharova, pourtant précédée d’une pluie de réactions spontanées :
Après avoir poussé Zelensky dans un autre plan infernal pour faire échouer un règlement et prolonger l’effusion de sang en Europe, c’est comme une blague : un Français, un Anglais et un Allemand sont montés dans un train – et ont fait une ligne. Apparemment, ils étaient tellement dans tous leurs états qu’ils ont oublié de cacher l’attirail – un petit sac et une cuillère – avant l’arrivée des journalistes. Le destin de l’Europe est entre les mains de remplaçants qui sont dépendants, dans tous les sens du terme.
Maria Zakharova
Le Guardian a réagi « sur la même ligne », en évoquant la « désinformation » traditionnelle des autorités russes autour de la prise de drogue, notamment celle de Volodymyr Zelensky régulièrement moquée sur les réseaux sociaux (ici, là ou là), et en la mettant en parallèle avec « les efforts plus larges déployés par le Kremlin pour semer la discorde entre les États-Unis, l’Europe et l’Ukraine au sujet des pressions exercées en faveur d’un cessez-le-feu ».
Le reportage de France 2 consacré à cette séquence permet de comprendre pourquoi la présence d’un sachet de cocaïne rapporté par le chef de l’État serait accablante. Il rappelle en effet que la veille, le président français avait solennellement demandé à Vladimir Poutine d’accepter un cessez-le-feu de 30 jours, en se moquant ouvertement du défilé militaire organisé par Moscou le 9 mai, jour de la célébration de la victoire des Alliés contre le nazisme, en présence d’une trentaine de chefs d’État :
Là on dit « Il faut que les Russes disent oui, pas trois jours, pour amuser la galerie si je puis dire, pour entourer le 9 mai et faire la parade, non, trente jours.
Emmanuel Macron
Un « si je puis dire » plutôt malvenu au lendemain de la diffusion de cette vidéo.
Un secret de Polichinelle
Ce n’est pas la première fois que des images du chef de l’État suggérant une dépendance à la cocaïne sont relayées et moquées sur les réseaux sociaux (un médecin israélien en a reposté une compilation le 12 mai). Lors de la dernière élection présidentielle, un soignant avait publiquement accusé Emmanuel Macron de consommer des substances psychotropes sans que la présidence ne daigne réagir :
J’ai vu un homme en face de moi. Je vais être sincère, le soignant en moi va parler. Il avait les yeux un peu vitreux, il me paraissait fatigué, je pense qu’il est boosté…
https://twitter.com/GfFassiha/status/1514105218182615044
Une parlementaire avait formulé des accusations similaires en s’interrogeant sur l’influence que la consommation de telles substances pourrait avoir sur les décisions prises par le président, ce qui est tout l’enjeu de cette affaire.
L’Élysée a finalement démenti samedi soir (pourquoi avoir tant attendu ?) en publiant deux tweets, en versions française et anglaise, ce qui est inédit, probablement en raison de l’indécence de la situation s’il était confirmé que l’objet du délit était bien de la cocaïne. Indécence pour les centaines de milliers d’Ukrainiens morts au front depuis trois ans, alors qu’un accord de paix était sur le point d’être conclu entre l’Ukraine et la Russie au printemps 2022 avant d’être torpillé par les Occidentaux. Indécence également pour les millions de Français auquel le Gouvernement explique aujourd’hui qu’il n’a pas d’autre choix que de surveiller leurs conversations sur les réseaux sociaux au nom de la lutte contre le narcotrafic.
Pourtant, serait-ce vraiment si surprenant ?
Les trois dirigeants sont tous des habitués du Forum économique mondial (WEF) qui organise chaque année à Davos un grand raout réunissant les plus éminents décideurs de la planète. En janvier 2025, la presse indienne évoquait les orgies données chaque année à Davos, déjà relatées en 2024 par le Daily Mail. Le quotidien britannique y raconte « comment l’élite mondiale s’adonne à la cocaïne, au caviar et au champagne lors d’orgies secrètes entre copains ». On se souvient également des images de l’ancienne Première ministre de Nouvelle-Zélande, Jacinda Arden, ou encore du scandale provoqué par l’ancien Premier ministre canadien, Justin Trudeau, dont l’avion avait été immobilisé en septembre 2023 à l’issue d’un sommet du G20 après la découverte de quantités massives de cocaïne.
La consommation de stupéfiants dans l’enceinte de l’État est quant à elle un secret de polichinelle. Plusieurs députés ont déjà été pris la main dans le pot de confiture :
- août 2020 : un élu guyanais est arrêté à Orly alors qu’il transportait 2,5 kilos de cocaïne dans une valise ;
- février 2023 : un député Renaissance a dû se retirer de ses fonctions suite à des accusations de consommation de drogue ;
- novembre 2024 : un député LFI est interpellé en possession de drogue, dont on a appris par la suite qu’il l’achetait avec ses frais de mandat ;
- septembre 2024 : un sénateur du groupe Horizons est accusé d’avoir administré à une députée du GHB qu’il dit s’être procuré auprès de l’un de ses collègues. TF1 écrivait à l’époque :
Cette affaire a relancé les soupçons de comportements addictifs au sein du Parlement et des politiques en général, confirmés par la députée Renaissance Caroline Janvier dans une interview publiée dans Paris Match.
On pourrait multiplier les exemples de ce type. France Info a publié en début d’année un article sur le « tabou de la consommation de drogue » à l’Assemblée nationale. Au-delà du problème d’addiction notoirement connu, c’est aussi et surtout les liens ambigus entre l’Élysée et certains réseaux de narcotrafiquants qui ont été documentés par le média Off Investigation. En novembre 2023, il relayait une enquête édifiante réalisée par l’agence américaine Bloomberg expliquant comment des trafiquants ont infiltré la compagnie maritime (MSC) des cousins du secrétaire général de l’Élysée :
Alors que MSC devenait une force dominante du commerce mondial, elle est également devenue un canal privilégié de trafic de cocaïne pour les gangs des Balkans. Soupçonné de l’avoir favorisée depuis le ministère des Finances, à Bercy, voire depuis le secrétariat général de l’Élysée, Alexis Kohler (qui s’était mis à son service comme directeur financier en 2016-2017), a été mis en examen en septembre dernier pour « prise illégale d’intérêt ». Nous reproduisons ci-dessous (en accès libre) une remarquable enquête de l’agence américaine Bloomberg du 16 décembre dernier qui explorait l’infiltration de la compagnie maritime Italo-Suisse des cousins d’Alexis Kohler par des trafiquants de cocaïne.
En même temps…
Inversement, il paraît difficile d’imaginer que le président puisse s’adonner à des comportements qu’il assure vouloir pourfendre. En mars 2024, il avait notamment expliqué devant la presse, lors d’un déplacement à Marseille, vouloir « rendre la vie impossible aux consommateurs ».
Il est toutefois assez surprenant qu’un chef d’État dépose négligemment le mouchoir dont il vient de se servir sur un document officiel supposé déterminer l’avenir du monde, et ne remarque sa présence que lorsque des journalistes pénètrent dans la pièce. Nous avions cru comprendre qu’Emmanuel Macron était obsédé par l’hygiène ; on se souvient que lors d’un de ses rares déplacements durant la précédente campagne électorale, il s’était longuement frictionné les mains avec du gel hydroalcoolique après avoir celle d’un de ses concitoyens.
Il est par ailleurs étonnant qu’il ait pu se sentir gêné par la présence d’un vulgaire mouchoir, qu’il ait cherché à le faire disparaître comme le ferait un joueur de bonneteau et qu’il ait pris soin de le remettre dans sa poche plutôt que de le laisser tomber sur le sol pour le sortir du champ de la caméra.
On connaît certes les talents d’improvisation d’Emmanuel Macron lorsqu’il est pris en flagrant d’indignité. Lors d’un précédent débat, il avait soudainement réalisé que la valeur de la montre qu’il arborait à son poignet pouvait être perçue comme une provocation à l’égard des Français auxquels il s’évertuait à expliquer qu’ils allaient devoir faire des sacrifices.
Aurait-il récidivé ?
Le démenti de l’Élysée n’a en tout cas pas convaincu le réseau X. Le journaliste américain Alex Jones a publié dimanche une photo tirée de la vidéo de l’AFP qui ne correspond pas à celle diffusée par l’Élysée. Les deux clichés ont été soumis au chatbot d’intelligence artificielle Gork qui subodore que l’un des deux a été retouché. Lequel ? Gork explique pourquoi il pense que l’image originale n’est pas celle publiée par l’Élysée. Chacun est toutefois invité à reproduire l’expérience pour vérifier si un mouchoir usagé est capable d’adopter spontanément la même forme que celle présentée sur le cliché fourni par les équipes d’Emmanuel Macron. Nous n’avons pas réussi pour notre part à restituer cet énigmatique fond rectangulaire.
La presse fidèle au poste
Le plus surprenant (ou pas) dans cette affaire reste la rapidité avec laquelle les médias ont arbitré entre ces deux hypothèses, la possibilité que le chef de l’État ait pu consommer de la cocaïne ayant été immédiatement qualifiée de fakenews. Sur quelle base ? Celle qu’un président ne pourrait pas faire cela, point barre. L’ancien officier de renseignement du Corps des Marines américain, Scott Ritter, s’est étonné de ce manque de curiosité pour une question d’apparence futile, mais qui dans le contexte actuel est tout sauf anecdotique :
Si le président des États-Unis était pris avec un sac de cocaïne et tout le matériel connexe, tous les médias américains seraient en délire. Le président français, le chancelier allemand et le Premier ministre britannique sont surpris en flagrant délit de consommation de cocaïne, et leurs médias respectifs restent muets. C’est comme si tout le monde comprenait que l’Europe est dirigée par une bande de toxicomanes et de cocaïnomanes.
https://twitter.com/RealScottRitter/status/1921581332578160918
Si cette interprétation est correcte, alors nous avons un problème. Qu’Emmanuel Macron apparaisse publiquement dans un état second lors d’un déplacement à des fins récréatives est une chose. Que sa lucidité et l’intégrité de son état mental soient compromises par une addiction en est une autre s’il doit demain décider de l’emploi de la force nucléaire, ce qui est sa prérogative comme il l’a récemment rappelé. Or de deux choses l’une. Soit Emmanuel Macron est véritablement l’homme qui prend les décisions à la tête du pays, et dans ce cas, s’il consomme de la cocaïne est une affaire d’État. Soit ce n’est pas lui qui décide, et ceux qui le font à sa place le laissent s’amuser et sombrer dans la dépendance pour mieux le contrôler. Et nous avons là aussi un problème qui mérite d’être traité avec moins de légèreté que celle qui nous est proposée aujourd’hui/
In fine, qu’Emmanuel Macron ait voulu dissimuler un banal mouchoir usager comme un enfant pris la main dans le pot de confiture ou un chat surpris en train de faire ses besoins à l’extérieur de la litière, ou qu’il ait été surpris en flagrant délit de consommation de cocaïne ne change pas grand-chose à l’affaire. Le problème est que personne n’a été surpris par la seconde hypothèse, ni n’a été convaincu par le commentaire proposé en appui par l’Élysée présentant les trois hommes comme des artisans de la paix.