Secret défense
L’Argentine va ouvrir ses archives sur l’exil des nazis en Amérique du Sud
Un mois après la déclassification des archives de la CIA concernant la mort du président John Fitzgerald Kennedy, l’Argentine s’engage à son tour sur la voie de la transparence. Le président Javier Milei annonce libérer l’ensemble des données classifiées, relatives aux anciens nazis ayant trouvé refuge dans le pays après la guerre.

Le 28 février dernier, l’administration Trump a libéré l’accès à l’ensemble des documents relatifs à l’assassinat du président John F. Kennedy, dont la déclassification a commencé en 2017. Certaines pages restent caviardées, mais une grande partie du contenu est désormais accessible au public, notamment certains documents sans lien apparent avec l’assassinat de JFK. Parmi eux figure un rapport concernant la disparition d’Adolf Hitler.
La controverse autour de la mort d’Hitler officiellement close en 2018
Au lendemain de la déclassification de ces documents, les réseaux sociaux ont republié les extraits d’archives suggérant que l’ancien dignitaire nazi ne s’est pas donné la mort dans son bunker en 1945, mais serait parvenu à s’enfuir (ou aurait été exfiltré, comme l’affirment certaines sources[i]), en Amérique du Sud, où il aurait vécu sous l’identité d’Adolf Schuttlemayer au moins jusqu’en 1955. Un ancien officier SS, Phillip Citroën, a transmis l’information à la CIA en 1954.
Il relate l’existence d’une communauté d’anciens nazis baptisée « Résidences coloniales », située en Colombie dans la ville de Tunja (Colombie), où un homme se faisant appeler « le Führer » bénéficiait d’une adoration quasi cultuelle de la part des membres du groupe. Schuttlemayer aurait quitté la Colombie en janvier 1955 pour l’Argentine, où l’on aurait alors perdu sa trace. Ce témoignage a été corroboré un an plus tard par un second informateur, « Cimelody-3 », mais la CIA a enterré ces dépositions qu’elle ne trouvait pas suffisamment crédibles pour déclencher une enquête.
Cette version avait été publiée par le Daily Mail en 2017 après la déclassification partielle des archives de la CIA. Compte tenu du volume de pages de la nouvelle livraison, on ne sait pas encore si elle permettra d’élucider le mystère entourant la mort d’Adolf Hitler, dont la version officielle est corroborée par une étude française de 2018, basée sur l’analyse biomédicolégale de fragments dentaires.
L’étude en question est citée dans un article de The Independent, qui espère qu’elle mettra un terme aux « théories du complot » contestant cette version, initialement propagées par la presse soviétique et relayées à l’époque par le président Dwight Eisenhower en personne. Le journal Times of Israël a également reconstitué la généalogie de ces « théories conspirationnistes » auquel le chercheur britannique Luke Daly-Groves oppose une série de preuves « irréfutables et exhaustives » dans son livre Hitler’s Death : le testament d’Hitler, dans lequel est consigné sa volonté de mourir dans la capitale du Reich, ses restes dentaires et les innombrables récits de témoins oculaires. L’article tourne en dérision les « centaines de dossiers du FBI [qui] localisent Hitler en Argentine », sur lesquels les « théoriciens du complot » fonderaient leurs réserves :
« Il y a des dossiers qui concernent les rumeurs de survie d’Hitler [mais] ces récits d’Hitler en Argentine sont classés à côté de documents qui le placent dans le monde entier », explique-t-il. « Ce que font les théoriciens du complot, c’est d’ignorer ces rapports selon lesquels Hitler aurait été vu au Canada, au Japon, à New York et ailleurs, et ils passent en revue ces dossiers et choisissent ceux qui disent [il est en] Argentine parce qu’ils y voient manifestement une théorie plus plausible à vendre, car les autres nazis se sont enfuis en Argentine ».
Philpot R. « Hitler est vivant » : un expert explore les conspirations qui ne mourront jamais. 2019 Dec 16.
L’annonce du président argentin
Pour les plus curieux, Luke Daly-Groves a publié en 2023 un livre dans lequel il explique la rivalité entre les services de renseignement anglais et américains concernant l’emploi d’anciens nazis dans l’Allemagne de l’Ouest d’après-guerre (cette thèse est également développée dans un article de recherche accessible en ligne), et auquel la CIA a répondu en septembre dernier dans sa publication mensuelle, Studies in Intelligence.
Quoi qu’il en soit, les données contenues dans les archives de la CIA ont probablement intrigué le président argentin Javier Milei suffisamment pour qu’il ordonne, il y a quelques jours, la déclassification et la publication de l’ensemble des données d’archive relatives aux nazis ayant trouvé refuge dans le pays après la guerre. L’annonce a été faite ce lundi par le chef d’état-major argentin, Guillermo Francos, selon le quotidien sud-américain El Comercio. Il explique que cette décision aurait été prise par le président argentin après une rencontre avec le sénateur américain Steve Daines qui aurait confirmé la consistance de cette piste.
Nous saurons peut-être enfin qui des « complotistes » ou des agences de renseignements, qui ont théorisé l’exploitation de ce qualificatif et l’ont promu abondamment au lendemain de l’assassinat du président JF Kennedy pour faire taire les voix dubitatives concernant à la version officielle, ont raison sur les circonstances ou du moins la date du décès d’Adolf Hitler.
Le véritable enjeu autour de la mort d’Hitler
Cette querelle peut sembler dérisoire, sauf si l’on souscrit à l’hypothèse développée dans L’Internationale nazie par la philosophe et psychologue clinicienne Ariane Bilheran. Dans cet opuscule d’à peine 100 pages, abondamment sourcé, elle évalue la thèse élaborée par Hannah Arendt[2] et formulée de manière prophétique en 1945, d’un inévitable retour du fascisme sous la forme d’une internationale « infiltrée à la manière d’une secte occulte dans les institutions supranationales » après la défaite militaire des nazis, qui selon la philosophe auraient « offert l’Allemagne en sacrifice à l’avenir du fascisme ».
Écrit en 2022 au moment le plus fort de la gestion orwellienne de la pandémie, qui a vu l’ensemble des pays occidentaux affranchir leur propre Constitution pour légaliser une barbarie de la même essence que celle qui caractérise le projet nazi, le livre a inspiré à l’éditeur et écrivain Slobodan Despot une réflexion qui devrait nous convaincre tous de la gravité de son enjeu : « Si le projet nazi de suprasociété et de contrôle global avait survécu à Nuremberg, s’y seraient-ils pris autrement que ce que nous voyons advenir sous nos yeux ? »
Références
[1] Eberle H, Uhl M. The Hitler Book: the Secret Dossier Prepared for Stalin from the Interrogations of Hitler’s Personal Aides. Public Affairs; 2005. p. 288.
[2] Arendt H. The Seeds of a Fascist International. Jewish Frontier, 1945 Jun. Publié dans Arendt H. Humanité et Terreur. Paris : Payot ; 2017.