Poker menteur
Accord sur les minerais ukrainiens : Kiev l’a déjà signé avec les Anglais
Volodymyr Zelensky s’est rendu vendredi à Washington pour signer un accord sur les minerais ukrainiens. Or Kiev a déjà signé un accord d’exclusivité avec les Anglais en janvier dernier. Ce contexte inédit éclaire probablement l’échec spectaculaire de la rencontre du 28 février et soulève la question : qui a piégé qui ?

Le 16 janvier dernier, un partenariat de 100 ans a été signé entre Londres et Kiev afin de renforcer les liens de sécurité entre les deux capitales. Le pilier 5 de l’accord prévoit un approfondissement de la coopération dans le secteur de l’énergie, en particulier pour l’exploitation des minerais ukrainiens :
(iv) soutenir l’élaboration d’une stratégie ukrainienne en matière de minéraux critiques et des structures réglementaires nécessaires à la maximisation des bénéfices tirés des ressources naturelles de l’Ukraine, par la création éventuelle d’un groupe de travail conjoint.
Comme nous l’avons indiqué en janvier, au lendemain de la signature du texte, cet accord consacre le Royaume-Uni comme le partenaire privilégié de l’Ukraine pour la fourniture d’énergie, l’extraction de minéraux rares et la production d’acier vert. Il semble donc que le 28 février, l’Ukraine avait déjà cédé tout ou partie des ressources minières incluses dans l’accord que Volodymyr Zelensky était venu signer à Washington.
Au lendemain de la rencontre ratée à la Maison-Blanche, où Zelensky est reparti en refusant de signer le texte que son administration avait pourtant validé, au moins dans ces contours, le partenariat entre Kiev et Londres soulève plusieurs questions.
Il est difficile de penser que l’administration Trump n’était pas au courant de son existence et des détails de son contenu. A-t-elle voulu piéger Zelensky en le mettant face à ses responsabilités ?
Kiev a négocié les deux accords en parallèle
Pour rappel, c’est le président ukrainien qui a évoqué pour la première fois l’idée d’un tel accord à l’automne 2024, dans le cadre de son « Plan de victoire », présenté à Donald Trump lors d’une rencontre à New York, le 27 septembre 2024. L’objectif de Zelensky était de pouvoir bénéficier d’une présence américaine sur son sol pour assurer la protection des sites d’extraction.
Le premier projet d’accord de coopération a été présenté à Kiev par le secrétaire au Trésor américain, Scott Bessent, le 12 février 2025, lors d’une visite officielle. Ce document initial, qui proposait que 50 % des revenus des ressources minières ukrainiennes soient reversés aux États-Unis en compensation de l’aide militaire accordée par la précédente administration, marque le début des tractations sérieuses.
Elles ont pris un tournant plus concret après l’investiture de Trump le 20 janvier 2025, lorsque son administration a commencé à pousser activement pour un accord transactionnel.
Zelensky s’est engagé à signer l’accord
Zelensky a déclaré dimanche dans la presse britannique, en marge du sommet de Londres, qu’il acceptait finalement de signer l’accord qui n’a pas pu l’être vendredi. On imagine donc mal qu’il s’aventure à signer un contrat portant sur le même objet avec les Anglais et les Américains :
L’accord qui est sur la table sera signé si toutes les parties sont prêtes. Si nous avons accepté de signer l’accord sur les minéraux, alors nous sommes prêts à le signer. Nous sommes constructifs.
Est-ce au contraire parce que ce contrat serait réputé invalide que Zelensky l’a torpillé dans le bureau Ovale ? Espérait-il forcer un engagement des États-Unis sur la question des garanties de sécurité sans la moindre contrepartie financière ? Si tel est le cas, il faut probablement s’attendre à un nouveau rebondissement.
En supposant que l’accord ne soit entaché d’aucune duplicité, le fait que 70 % des terres rares se trouvent désormais en territoire russe pourrait constituer un défi pour l’Ukraine et pour le remboursement de la dette américaine si Kiev a hypothéqué deux fois ces ressources. Est-ce parce que ce double engagement la condamne à devoir récupérer ces territoires qu’elle veut poursuivre la guerre à tout prix ?
Selon LCI citant une étude de Forbes.ua, les ressources en minerais ukrainiens sont estimées à une valeur de 14 800 milliards de dollars. Une source plus récente se montre beaucoup plus réservée quant au réel potentiel de valorisation de ces ressources :
L’accord minier proposé avec l’Ukraine ne présente apparemment que peu d’inconvénients économiques pour les États-Unis – en théorie, l’Amérique récoltera les fruits de tous les minéraux extraits ou transformés en Ukraine – si jamais ils le sont. Mais cet avantage économique pourrait ne pas se matérialiser, a déclaré Daan de Jonge de Benchmark Minerals, selon qui « la demande actuelle en terres rares ne dépasse pas 20 milliards de dollars », ce qui est bien loin de la précédente demande de l’administration pour « 500 milliards de dollars de terres rares ».
En fonction des détails définitifs, cet accord pourrait ne pas apporter beaucoup de substance en termes d’accès aux minéraux ou de valeur économique pour l’Amérique, et pourrait simplement constituer une forme de pression sur un allié qui a besoin d’aide pour résister à une invasion en cours.
Conness J. Évaluation de l’accord sur les minéraux ukrainiens : risque élevé, faible récompense. Forbes. 2025 Feb 27.
Comment le président ukrainien envisage-t-il de se sortir de cette ornière ? Si le but de la rencontre de vendredi était de démasquer sa duplicité, l’objectif semble atteint. En supposant que le président ukrainien ait fait échouer l’accord car il le savait invalide, la mise en balance des pertes humaines avec des garanties de sécurité exigées sans aucune contrepartie commerciale devient parfaitement inaudible.