Cynisme occidental
Revirement occidental sur la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN
Le secrétaire général de l’OTAN a déclaré le 13 février que l’adhésion de l’Ukraine n’avait jamais été envisagée comme condition à l'issue du conflit. Un revirement dont les déclarations successives de l’Alliance depuis 2022 démontrent l’ampleur du cynisme.

L’édition 2025 de la conférence de Munich sur la sécurité (Munich Security Conférence – MSC) a été marquée par une déclaration inédite du secrétaire général de l’OTAN, l’ancien Premier ministre néerlandais Mark Rutte. En réaction à la décision des États-Unis d’exclure la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN des négociations de paix, il a affirmé que cette adhésion n’avait jamais été promise par l’Alliance dans le cadre d’un éventuel accord de paix :
Écoutez, à Washington encore, l’OTAN s’est engagée à ce que l’Ukraine devienne à terme un membre de l’OTAN, mais il n’a jamais été convenu que lorsque des pourparlers de paix débuteraient, ces pourparlers de paix se termineraient systématiquement et nécessairement par une adhésion à l’OTAN. Cela n’a jamais été convenu. Cela aurait pu être le cas, mais ça n’a jamais été clairement indiqué. Ce que j’ai toujours dit, c’est que peu importe le résultat, nous devons nous assurer que Vladimir Poutine ne va jamais tenter à nouveau d’attaquer l’Ukraine.
L’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN est la garantie de sécurité réclamée par le président Volodimir Zelenski depuis que la perspective d’une issue de la guerre se profile. « Nous avons besoin de l’OTAN ou des armes nucléaires… et nous voulons l’OTAN », avait-il déclaré en octobre dernier. Le 1er décembre, il a présenté à nouveau cette « invitation » à adhérer à l’OTAN comme une condition nécessaire à la « survie » de son pays.
Si la première partie du propos de Mark Rutte est incontestable, l’OTAN a multiplié depuis un an les déclarations présentant l’élargissement de l’Alliance comme certain, le principal obstacle étant que l’Ukraine soit en guerre.
Avril 2024, sommet de l’OTAN à Bruxelles
Début avril, le secrétaire d’État américain Anthony Blinken a confirmé la détermination absolue des États-Unis à soutenir cette candidature lors d’une rencontre avec son homologue ukrainien, Dmytro Kuleba. L’avenir de l’Ukraine semblait alors acté de manière inconditionnelle :
Je pense que l’on peut dire sans crainte de se tromper que le soutien à l’Ukraine, la détermination de chaque pays représenté ici à l’OTAN reste solide comme un roc. […] L’Ukraine deviendra un pays de membre de l’OTAN. Notre objectif au sommet est d’aider à construire un pont vers cette adhésion et de créer une voie claire pour l’Ukraine.
Cette déclaration a été faite solennellement, aux côtés du secrétaire général actuel de l’Alliance, « une position assumée par le secrétaire général de l’OTAN », précise Euronews.
Juillet 2024, sommet de Washington
Lors du sommet de Washington (9-11 juillet 2024), les Alliés ont souligné les « progrès concrets » accomplis par l’Ukraine sur les réformes indispensables à son intégration dans l’Alliance, en promettant de lancer une invitation formelle à leur partenaire lorsque ce processus serait achevé. Le point 16 de la déclaration précise :
Alors que l’Ukraine poursuit ce travail essentiel, nous continuerons de l’aider à suivre sa trajectoire irréversible vers l’intégration euro-atlantique pleine et entière, y compris vers l’adhésion à l’OTAN. Nous réaffirmons que nous serons en mesure d’adresser à l’Ukraine une invitation à rejoindre l’Alliance lorsque les Alliés l’auront décidé et que les conditions seront réunies. Les décisions que l’OTAN et le Conseil OTAN-Ukraine prennent à ce sommet, conjuguées aux travaux menés actuellement par les Alliés, offrent au pays une passerelle vers l’adhésion à l’Organisation. Les Alliés continueront d’aider l’Ukraine à progresser sur la voie de l’interopérabilité ainsi que dans les réformes supplémentaires à réaliser sur le plan démocratique et dans le secteur de la sécurité ; les ministres des Affaires étrangères des pays de l’OTAN continueront de suivre ses progrès dans le cadre du programme national annuel adapté.
Déclaration du Sommet de Washington, 10 juillet 2024. https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_227678.htm
L’Alliance a mis à jour fin juillet sa position officielle sur le conflit russo-ukrainien. À la question « L’Ukraine deviendra-t-elle membre de l’OTAN ? », sa réponse est formelle : « Oui ». Dans ce texte, elle revient sur ses trois engagements historiques, dont le sommet de Bucarest en 2008, où la décision d’intégrer l’Ukraine a été prise par les pays de l’Alliance, et le sommet de Vilnius en 2023, qui a simplifié le processus d’adhésion de leur partenaire.
Octobre 2024, « L’Ukraine sera membre de l’OTAN à l’avenir »
Le 3 octobre 2024, à Kiev, en présence du président Volodimir Zelenski, le nouveau secrétaire général de l’Alliance avait conclu son intervention en ces termes :
L’Ukraine n’a jamais été aussi proche de l’OTAN. Elle poursuivra sur cette voie jusqu’à ce qu’elle devienne membre de notre Alliance.
Le 17 octobre, il a à nouveau présenté l’adhésion de l’Ukraine comme actée : « L’Ukraine sera membre de l’OTAN à l’avenir, c’est ce que nous avons décidé à Washington. »
Début décembre, cette position a été une nouvelle fois confirmée par Mark Rutte qui a assuré que l’Alliance « travaillait à “construire le pont” vers l’adhésion de l’Ukraine ».
En off, cette question a toujours fait débat, mais il fallait convaincre l’Ukraine de se battre jusqu’au bout. Une enquête du Wall Street Journala en effet confirmé en janvier 2024 que l’Ukraine était sur le point de signer un accord avec la Russie dès avril 2022 dans lequel elle s’engageait à ne pas rejoindre l’OTAN. Selon Davyd Arakhamiia, le responsable ukrainien des négociations de paix qui se sont tenues à l’époque à Istanbul, cet accord a été déchiré par l’OTAN, d’où l’exceptionnel cynisme de la déclaration de Mark Rutte :
Quand nous sommes revenus d’Istanbul, Boris Johnson est arrivé à Kiev [le 9 avril] et il a dit : « Nous ne signerons rien avec [les Russes], continuons à nous battre. »
La rhétorique du secrétaire général pour tenter de présenter ce volte-face comme un simple malentendu est d’autant moins audible qu’un rapport de la Rand Corporation avait souligné la nécessité, en juin dernier, de clarifier la feuille de route occidentale pour ne pas nourrir l’Ukraine d’illusions.
Conformément aux principes qui ont guidé les précédents cycles d’élargissement, l’OTAN pourrait offrir à l’Ukraine, lors du sommet de Washington en juillet 2024, des éclaircissements sur les conditions attendues pour son adhésion éventuelle.
Le site Euractiv laissait entendre début juillet que le sommet de Washington serait probablement une occasion manquée de clarifier cette feuille de route. Il relate l’embarras des diplomates occidentaux pour préciser la teneur et surtout le calendrier de ces promesses, confirmant que cet engagement était bel et bien acté sur le fond. L’article relate notamment les pressions exercées par le Conseil atlantique pour que l’Ukraine adhère à l’OTAN :
Le sommet de Washington doit servir de plate-forme pour faire progresser avec audace l’intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, en définissant une voie claire vers l’adhésion, en commençant par une invitation à entamer des pourparlers d’adhésion. Cela indiquerait sans ambiguïté à Kiev que sa défense des valeurs occidentales lui a valu une place au sein de l’Alliance. Et cela montrerait à Moscou que ses tentatives d’assujettissement de l’Ukraine n’aboutiront pas.
Si les espoirs du président ukrainien semblent n’avoir quasiment aucune chance d’aboutir, du moins à court terme, les déclarations tonitruantes des membres de l’OTAN assurant le contraire apparaissent d’autant plus contre-productives aujourd’hui. Un article de France Info publié au début du conflit rappelle en effet que personne dans le camp occidental ne souhaitait un élargissement de l’OTAN :
Un processus d’élargissement qui est d’ailleurs loin de faire l’unanimité au sein même de l’OTAN. « Berlin et Paris ont toujours été opposés à l’adhésion de l’Ukraine, souligne David Teurtrie. Et aujourd’hui, même les États-Unis n’en veulent pas. Mais l’avouer serait vu comme un acte de faiblesse vis-à-vis du Kremlin. » Ce que, dans le rapport de force actuel, aucun camp ne peut se permettre.
Un million de morts plus tard, l’OTAN est-elle prête à assumer sa duplicité ?