Spéculations
Risque nucléaire en Ukraine, où en est-on ?
La tension est montée d’un cran depuis les premiers tirs de missiles longue portée occidentaux sur le territoire russe, avec la proposition de transférer à l’Ukraine des armes nucléaires. Où en est-on du risque d’embrasement nucléaire du conflit ?
Le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Ryabkov a détaillé samedi, dans un entretien accordé à l’agence de presse TASS, son analyse concernant le risque d’un échange de tirs nucléaires entre Moscou et l’Occident nucléaire. Cette évolution du conflit est possible, mais elle n’était pas souhaitée par le Kremlin qui fera, selon lui, « tout son possible pour l’éviter », même s’il n’a pas l’ensemble des cartes entre les mains et que la tentation d’un tel dérapage semble maximale du côté occidental :
Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour prévenir ce scénario catastrophique. Cependant, tout ne dépend pas de nous dans ce cas. […] La question clé est de savoir ce que nos adversaires feront et s’ils continueront à s’orienter vers la mise en œuvre des scénarios décrits dans la doctrine militaire de la Russie, c’est-à-dire les fondements de sa politique d’État. Pour l’instant, c’est malheureusement là que les choses vont.
Il a fait part de ses inquiétudes quant à la légèreté avec laquelle l’OTAN et ses alliés semblent prendre les avertissements récents du Kremlin qui consistent non pas à tracer des « lignes rouges » et à différer éternellement une hypothétique riposte, mais à rappeler le cadre d’emploi de la doctrine nucléaire russe :
Il faut regarder la vérité en face et en prendre acte, ce que nous faisons. J’espère que nos messages verbaux et matériels parviennent à certains bureaux et bunkers américains et qu’ils ne sont pas considérés comme de la propagande. Ce n’est pas de la propagande, mais une dure réalité qui doit être acceptée.
Le principe fondamental de la doctrine russe n’a pas changé depuis l’officialisation de sa mise à jour le 19 novembre : l’utilisation d’armes nucléaires reste une mesure de dernier recours, motivée exclusivement par la nécessité de protéger la souveraineté du pays. Son actualisation récente a principalement consisté à clarifier les conditions d’un tel emploi et à élargir la liste des menaces militaires pour y inclure celles émanant de pays qui ne seraient pas dotés de l’arme nucléaire, mais qui seraient soutenus par des nations possédant un tel potentiel.
Sur ce principe, les provocations récentes des Occidentaux, postérieures à l’actualisation de la doctrine russe, sont bien théoriquement des « lignes rouges » au sens où elles sont répertoriées dans ce document de cadrage de la politique d’État du Kremlin.
Le test du missile Orechnik le 21 novembre dernier a changé en partie la donne, puisqu’il offre désormais à Moscou, selon les termes de Vladimir Poutine : « une garantie fiable de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de la Russie ». En partie seulement selon l’ex-général Dominique Delawarde, qui a commenté récemment la proposition de transférer des armes nucléaires à l’Ukraine, dont l’arsenal a été cédé en 1994 à la Russie, en échange de garanties sur sa sécurité. Il estime qu’en cas d’utilisation de l’arme nucléaire par l’Ukraine, la Russie serait fondée à utiliser en retour son arsenal nucléaire, et ce non pas nécessairement en direction de son voisin, mais de tout territoire ou bâtiment du pays qui lui aurait fourni ce type d’armes :
La menace que représenterait un tel transfert est prise au sérieux par de nombreux observateurs, même si le chantage que Vlodimir Zelensky a tenté d’exercer en octobre dernier s’est soldé par un puissant camouflet immédiatement suivi d’un rétropédalage : « Nous avons besoin de l’OTAN ou des armes nucléaires… et nous voulons l’OTAN. » Parmi ses observateurs, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, qui dénonce une tentation irresponsable, et le vice-président du Conseil de sécurité russe, Dmitri Medvedev. Il a évoqué le 26 novembre sur son compte Telegram des discussions au sein de l’État-major américain concernant l’opportunité d’une telle démarche : si le transfert effectif de telles armes autoriserait de son point de vue le recours à l’arme nucléaire, sa simple évocation « peut être considérée comme une préparation à un conflit nucléaire avec la Russie ».
La seule certitude sur laquelle tout le monde s’accorde aujourd’hui est que les prochaines semaines sont parmi les plus dangereuses que l’humanité ait connues. Toutefois, si la réitération des mises en garde du Kremlin affaiblit la perception du risque nucléaire, celui-ci doit être évalué à partir d’une différence fondamentale. L’Occident tente de justifier son engagement dans le conflit par des éléments de langage fondés sur un mensonge et une violation du droit, puisque les deux chefs d’État qui étaient supposés empêcher la guerre, en l’occurrence Angela Merkel et François Hollande, ont avoué publiquement avoir fomenté le coup d’État de Maïdan qui a mis le feu aux poudres en 2014, puis armé secrètement l’Ukraine en prévision de cet affrontement avec Mouscou.
A contrario, la Fédération de Russie se bat sa survie et n’en déplaise à l’Occident, elle s’efforce de le faire dans le cadre du droit, l’intervention en Ukraine, qui a démarré dans le Donbass, étant fondée du point de vue de Moscou sur le principe de la responsabilité de protéger.
Cette différence suffit à expliquer pourquoi la Russie ne bluffe pas et pourquoi le destin de la planète est suspendu à sa sagesse et sa patience.