Chaos planifié

Équipe Le Point Critique | 25 novembre 2024

Frappes en profondeur sur le sol russe : le grand bluff ?

Au lendemain de la démonstration de force de Vladimir Poutine, la France autorise l’Ukraine à utiliser ses missiles longue portée pour frapper la Russie dans la profondeur. Elle réaffirme plus largement qu'elle ne se fixe aucune ligne rouge, mais les récentes déclarations du Pentagone fragilisent la rhétorique du chef de l’État, qui semble de plus en plus irresponsable.

Cible de missile atomique
© iStock/Jacob Wackerhausen

Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont donné la semaine dernière leur accord à l’Ukraine, pour qu’elle utilise leurs missiles contre des cibles stratégiques situées au-delà de la ligne de front. La France a attendu que la Russie réponde à cette double provocation, par l’officialisation sa nouvelle doctrine nucléaire puis par le test de son nouveau missile balistique hypersonique, Orechnik, pour leur emboîter le pas. Comble de la soumission à l’agenda anglo-saxon, elle l’a fait par la voix de son ministre des Affaires étrangères au décours d’une interview accordée à la presse britannique. L’interview du ministre est en réalité surréaliste, puisque sous couvert de ne se fixer aucune ligne rouge, comme le martèle depuis des mois Emmanuel Macron, il en fait voler trois en éclats : utilisation de missiles longue portée, envoi de troupes sur le front et adhésion de l’Ukraine à l’Otan.

La décision française a sans doute été prise il y a plusieurs mois – elle a été débattue par les parlementaires en février dernier et avalisée en off au mois de mai par Emmanuel Macron lors d’un conseil des ministres franco-allemand –, mais son officialisation intervient au lendemain de la prise de parole de Vladimir Poutine, dans laquelle il a confirmé que son pays n’hésiterait pas à utiliser son nouveau système de missiles, conçu pour embarquer des ogives nucléaires, contre les nations dont il estimerait qu’elles menacent sa souveraineté. Le calendrier choisi par la France indique donc que sa position n’a pas évolué depuis la dernière déclaration du ministre, qui avait présenté, le 20 novembre dernier, l’officialisation de la nouvelle doctrine nucléaire russe comme une simple manœuvre « rhétorique » visant à « intimider » les Occidentaux.

Qui bluffe ?

Emmanuel Macron n’a pas expliqué comment il intégrait concrètement le risque nucléaire soulevé par les récents développements du conflit. Début novembre, il avait justifié la décision américaine d’autoriser des frappes en profondeur sur le territoire russe par la présence de soldats nord-coréens dans la région de Koursk. Il a confirmé cette analyse le 19 novembre, en dénonçant la « posture oscillatoire particulièrement belliqueuse » de la Russie au lendemain de la mise à jour de sa doctrine nucléaire.

On ne sait donc plus aujourd’hui si l’abaissement du seuil d’utilisation des armes nucléaires par la Russie est un non-événement ou un tournant dans le conflit pour le chef de l’État, qui a choisi d’engager la France dans une partie de poker avec la première puissance nucléaire au monde.

Aucun des arguments sur lesquels repose la doxa française ne résiste en effet à l’examen logique. Un article du Monde datant du 19 novembre explique en effet pourquoi l’utilisation des missiles longue portée n’inversera pas le rapport de force :

Le Pentagone a prévenu, dès septembre, que les missiles ATACMS ne permettraient pas de répondre à la principale menace à laquelle l’Ukraine est confrontée, à savoir les bombes planantes tirées par les Russes à plus de 300 kilomètres de distance, hors de portée de l’ATACMS.

https://www.lemonde.fr/international/article/2024/11/19/guerre-en-ukraine-le-revirement-americain-sur-les-frappes-en-profondeur-juge-trop-tardif_6401950_3210.html

La réalité de la menace que représenteraient les troupes nord-coréennes a été remise en cause par l’État-major américain, la porte-parole de la Maison-Blanche ayant reconnu il y a quelques jours que leur engagement n’était toujours pas confirmé par le Pentagone. Le New York Times va plus loin. Il écrivait le 16 octobre, en se basant sur les déclarations du secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, que « ni l’Ukraine ni la Corée du Sud n’auraient présenté de preuves de la présence de troupes nord-coréennes » sur le front. L’ancien colonel de l’armée suisse, Jacques Baud, explique de son côté que la Russie n’a probablement pas besoin d’un tel renfort qui constituerait plus un handicap qu’une réponse à des besoins de recrutement inexistants :

En fait, si on réfléchit bien, on s’aperçoit que c’est de nouveau du narratif qui est fait pour les gogos, c’est-à-dire nos journalistes et nos politiciens.

Dans son interview à la BBC, le 23 novembre, Jean-Noël Barrot n’a pas évoqué ce nouvel élément de contexte. Il a simplement justifié l’engagement français par les récentes avancées de la Russie :

Nous soutiendrons l’Ukraine aussi intensément et aussi longtemps que nécessaire. Pourquoi ? Parce que c’est notre sécurité qui est en jeu. Chaque fois que l’armée russe progresse d’un kilomètre carré, la menace se rapproche d’un kilomètre carré de l’Europe.
https://www.bbc.com/news/articles/czd5myvyrjzo

Là encore, cette rhétorique est battue en brèche par le secrétaire à la Défense américain qui expliquait le 20 novembre pourquoi la Russie, dont il omet toutefois de préciser qu’elle affronte non pas un mais 32 pays depuis deux ans, ne saurait pas constituer une menace :

La plus grande armée d’Europe a envahi son voisin, qui avait un stock beaucoup plus petit, beaucoup moins de capacité, et 1 000 jours plus tard, ils n’ont pas encore réussi. Cette guerre dure depuis 1000 jours et [le président russe Vladimir Poutine] a échoué dans tous les cas à atteindre une sorte d’objectif stratégique.

https://www-defense-gov.translate.goog/News/News-Stories/Article/Article/3972848/austin-announces-additional-security-assistance-for-ukraine/?_x_tr_sl=auto&_x_tr_tl=fr&_x_tr_hl=fr&_x_tr_pto=wapp

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