Règlements de comptes

Équipe Le Point Critique | 20 novembre 2024

Le rapport du Sénat sur le dérapage des comptes publics fait voler en éclats la défense de Bruno Lemaire

Fin octobre, Bruno Lemaire a imputé le dérapage des finances publiques à une erreur technique d’évaluation des recettes. Les sénateurs qui l’ont auditionné viennent de rendre leurs conclusions. Ils révèlent l’existence d’une note qui met directement en cause Élisabeth Borne, Gabriel Attal et Emmanuel Macron.

Porte d'entrée du bâtiment du Sénat, France.
© iStock/daboost

Les conclusions de la mission sénatoriale sur le dérapage du déficit public ont été divulguées ce 19 novembre. Le rapport pointe « une irresponsabilité budgétaire assumée », un « déni collectif sur la situation des finances » et un piétinement des institutions, ce qui, dans un pays démocratique, relèverait d’un procès pénal. Selon l’enquête menée par la Commission des finances, le Gouvernement était informé de l’état calamiteux des finances publiques dès octobre 2023. La situation lui a été formellement notifiée le 7 décembre 2023, mais il a choisi de ne pas agir et de laisser filer la dette. Les parlementaires et les Français n’ont à aucun moment été mis dans la confidence.

L’un des arguments clés de la défense de Bruno Lemaire et de Thomas Cazenave, son ministre délégué aux comptes publics, est qu’il eut été irresponsable de prendre des mesures correctrices sur la base de ces informations : « Avant de mettre le sujet, politiquement, sur la table, [il fallait] être sûr et certain de le faire sur le fondement de faits rigoureux et exacts. »

Cette ligne de défense est contredite par une note du 13 décembre 2023, adressée par Bruno Le Maire et Thomas Cazenave à la Première ministre Élisabeth Borne, dans laquelle ils l’alertent de la gravité de la situation et de la nécessité de rectifier la trajectoire budgétaire. Ils évoquent notamment les répercussions de la baisse des recettes fiscales prévues pour 2023 sur les comptes de 2024. Or c’est précisément sur « l’erreur technique » d’anticipation de cette baisse des recettes que le ministre avait fait reposer l’intégralité de sa défense lors de sa dernière audition.

Les sénateurs pointent la responsabilité criante d’Élisabeth Borne, appelée à « partager largement le caractère critique de notre situation, à la fois au sein du Gouvernement, mais également dans l’opinion publique », et donc en pointillés la double lâcheté de Bruno Lemaire qui n’a pas estimé utile de démissionner à l’époque, ni de dénoncer ceux qui ont orchestré cette saignée des finances publiques dont il est de fait pleinement complice : « On ne démissionne pas pour un arbitrage perdu. »

Ils soulignent par ailleurs la responsabilité de Gabriel Attal dans le refus de soumettre un projet de loi de finances rectificative à l’Assemblée, au motif que l’ordre du jour du Parlement était déjà encombré et que les finances publiques n’étaient pas le sujet prioritaire de son gouvernement. Officieusement, pour contrer la débâcle annoncée aux élections européennes et prévenir une éventuelle motion de censure. Le nom d’Emmanuel Macron, qui aimait se dépeindre en « maître des horloges » à l’époque où il faisait encore illusion auprès des observateurs politiques est également cité par les sénateurs.

Peut-on parler d’un sabotage des comptes publics orchestré au plus haut sommet de l’État ? Emmanuel Macron connaissait l’ampleur du désastre budgétaire ; il n’a pourtant jamais désavoué son ministre ni cherché à préparer les esprits à l’austérité à venir. En mai dernier, il déclarait au contraire : « Il n’y a pas de dérapage de la dépense de l’État, son budget est même plutôt sous-consommé. »

Lorsque l’affaire fut révélée par France 2 début octobre, Bruno Lemaire a tenté de gagner du temps en promettant des révélations fracassantes une fois qu’il aurait retrouvé sa liberté de parole. Puis il y eut le recadrage par Emmanuel Macron et Alexis Kohler avant son audition par la Commission des finances en octobre dernier, où il a donné une version des faits beaucoup moins sulfureuse et politique. L’avocat Régis de Castelnau dénonçait une possible subornation de témoins au lendemain de la révélation de ces rencontres entre le ministre et son ancienne hiérarchie. La suite des événements plaide pour une telle lecture.

Comme on pouvait s’y attendre, il dénonce aujourd’hui un procès à charge – « Ce n’est pas un rapport, c’est un réquisitoire d’opposants politiques, truffé de mensonges, d’approximations et d’affirmations spécieuses » –, mais ses cris d’orfraie sont aujourd’hui inaudibles. Les Sénateurs auraient pu aller plus loin dans leur incrimination en s’interrogeant sur le mobile de cette opération qui rappelle étrangement celle qui a conduit à la crise de la dette publique grecque. Bruno Lemaire a-t-il vendu la France à des bailleurs de fonds qu’il n’assume pas de nommer ?

Nous le saurons tôt ou tard selon ses propres dires. La commission d’enquête en laquelle s’est commuée la commission des finances commence ses travaux le 2 décembre. Bruno Lemaire aura à nouveau l’occasion de s’exprimer, son audition est prévue le 12 décembre.

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