République bananière

Équipe Le Point Critique | 23 octobre 2024

Déficit public historique, pour qui Bruno Lemaire roule-t-il ?

Bruno Lemaire a quitté la France fin septembre en laissant derrière lui une ardoise de 100 milliards d’euros. Une enquête conduite par la commission des Finances doit s’ouvrir fin octobre pour comprendre les causes de ce « dérapage budgétaire » d’une ampleur inédite. Une série de rencontres entre l’ancien ministre et l’Élysée suggère aujourd’hui que cette audition a été préparée au plus haut de sommet de l’État. Une manœuvre passible de 3 à 7 ans de prison.

Bâtiment du ministère de l’Économie et des Finances, Paris, France
Bâtiment du ministère de l’Économie et des Finances, Paris, France | © iStock/Jean-Luc Ichard

La commission des Finances s’est prononcée à l’unanimité, le 15 octobre dernier, en faveur de l’ouverture d’une enquête pour tenter de comprendre comment le déficit public a pu exploser en 2023 et 2024 alors que Bruno Lemaire assurait qu’il était en voie de stabilisation. Cette décision intervient quelques jours après la remise des conclusions du Haut Conseil des finances publiques (HCFP), saisi en amont de l’examen du budget dans l’Hémicycle pour évaluer le réalisme des prévisions sur lesquelles s’est basé le Gouvernement.

Une accumulation d’erreurs de prévision depuis 2023

L’avis rendu le 8 octobre confirme la dégradation du déficit public amorcée en 2023, où il avait été évalué par Bercy à 4,9 % du PIB[1] contre les 5,5 % établis par l’Insee[2] : il devrait atteindre 6,1 % en 2024 (6,2 % selon les nouvelles estimations de Bercy), soit 1,7 point de plus que le taux estimé par le Gouvernement lors de la rédaction du projet de loi de finances 2024 (4,4 %, rehaussé à 5,1 % en avril dernier dans le Programme de stabilité).

Concrètement, l’écart entre le déficit annoncé en janvier 2024 par Bercy (128 Md€) et celui constaté en octobre 2024 (180 Md€) s’élève donc à 52 Md€ pour l’année 2024. Sans effort budgétaire, il pourrait atteindre 6,9 % en 2025 (PLF 2025, p. 9), voire 7 % selon les dernières déclarations de Matignon, vs 4,1 % projetés en avril dernier par Bruno Lemaire (+ 2,9 points), ce qui reviendrait à alourdir de 85 Md€ le fardeau laissé par l’ancien ministre aujourd’hui exilé en Suisse. Au total, ce sont 154 Md€ virtuels qui ont été retranscrits dans les comptes publics, dont 137 Md€ pour la période 2024-2025.

Bruno Lemaire assure avoir cherché à alerter les parlementaires

L’entourage de Bruno Lemaire invoque une « erreur statistique » découverte peu avant les élections européennes. En février dernier, l’ancien ministre aurait réclamé un projet de loi de finances rectificatif, mais cette demande aurait été rejetée par l’Élysée et Matignon en raison du calendrier électoral : « Il est clair que le gouvernement a essayé de dissimuler l’état réel des comptes, en début d’année, parce que les élections européennes arrivaient », estime le rapporteur général du budget, Charles de Courson. S’il est aujourd’hui évident que le choix de dissoudre l’Assemblée nationale était (d’abord et avant tout ?) une manœuvre dilatoire pour retarder le moment de cette annonce, peut-on sérieusement attribuer cette faillite budgétaire à l’incompétence de l’ancien ministre ?

Bruno Lemaire ne pourra pas échapper dans le meilleur des cas à un procès en insincérité compte tenu des efforts qu’il a déployés pour entraver l’action des parlementaires, qui ont dû attendre près de deux mois pour obtenir les documents nécessaires à l’établissement du prochain budget qui confirment la réalité et l’ampleur du déficit public. On sait aujourd’hui que l’ancien ministre été informé dès novembre 2023 d’un ralentissement critique de l’activité, par une série de notes confidentielles divulguées par L’Œil du 20 heures.

L’Œil du 20 heures. Budget 2025 : comment le gouvernement a ignoré des notes confidentielles alarmantes sur le dérapage budgétaire. France 2. 10/10/2024.

Ce n’est que le 6 mars dernier qu’il a commencé à préparer les esprits à l’annonce d’une possible dégradation du déficit public, à l’occasion d’un entretien accordé au journal Le Monde. dans lequel il assure « en même temps » que tout est sous contrôle :

Nous faisons un seul choix : le rétablissement des finances publiques. Il doit nous amener sous les 3 % de déficit public en 2027 et à un budget à l’équilibre en 2032. […] À un moment donné, il faut simplement refroidir la machine, parce que la croissance subit les conséquences du nouvel environnement géopolitique et que les recettes fiscales diminuent. Quand on gagne moins, on dépense moins. […] Je vous rassure, on est très loin de l’austérité quand on est à 58 % de dépenses publiques dans le PIB ! Il y a 496 milliards d’euros de dépenses de l’État par an, nous faisons une économie de 10 milliards : on va s’en remettre.

Bruno Le Maire : « L’Etat doit reprendre la main sur l’assurance-chômage de manière définitive ». Le Monde. 6/03/2024. https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/06/bruno-le-maire-je-crois-a-un-etat-fort-mais-pas-a-un-etat-qui-se-disperse-et-devient-une-pompe-a-fric_6220387_823448.html

Il faudra attendre le 26 mars et la publication des données de l’Insee pour que Bruno Lemaire concède publiquement le dérapage des finances publiques dont il avait été informé par son administration un mois plus tôt. L’information a fuité dans la presse le 20 mars, mais il aura fallu que le rapporteur du Budget se rende à Bercy pour obtenir les documents attestant de l’ampleur du dévissage. Interrogé le 30 mai 2024 par la commission des Finances dans le cadre de la mission d’information mise en place par le Sénat, Bruno Lemaire s’est défendu d’avoir « délibérément dissimulé des informations qui étaient à sa disposition ».

Fin juin, il a maintenu cette position face au journaliste Tom Benoît qui souhaitait connaître l’identité des détenteurs de la dette française et savoir pourquoi le ministre de l’Économie l’avait laissée prospérer en dépit des alertes de son administration, catégoriquement réfutées par Bruno Lemaire, mais confirmées dans le rapport du Sénat publié le 12 juin[3].

Maquillage des comptes publics : Bruno Le Maire s’explique face à Tom Benoit. Face aux territoires. 20/06/2024

La cession du pays a-t-elle été organisée à Bercy ?

La conférence de presse organisée le 4 septembre par la commission des Finances du Sénat, au lendemain de la remise des prévisions budgétaires actualisées, a mis à jour non seulement des erreurs techniques mais une défaillance massive des services de Bercy, qui n’est compatible ni avec le maintien en poste de Bruno Lemaire ni avec la promotion de son plus proche collaborateur, Jérôme Fournel, au poste de directeur de cabinet du Premier ministre. Non seulement les réductions de dépenses n’ont jamais été documentées et « n’avaient donc aucune chance de se réaliser », mais le Trésor estime aujourd’hui le coût de l’absence de mesures rectificatives à 57 Md€. On ne pouvait pas faire plus cynique que de choisir le complice ou le cerveau du possible « casse du siècle » pour sélectionner les victimes qui devront rembourser.

Le rapporteur général du budget au Sénat, Jean-François Husson, évoquait en septembre dernier un possible « très grand mensonge d’État ». L’avocat et ancien député Pierre Lellouch va plus loin : il exclut qu’une erreur technique ait été commise par les fonctionnaires de Bercy compte tenu de l’ampleur du dérapage, et dénonce un probable maquillage des comptes publics orchestré au sommet de l’État. Même l’ancien président du Medef, Geoffroy Roux de Bésieux, s’est montré dubitatif quant aux explications fournies pas la garde rapprochée de Brunon Lemaire.

L’audition de Bruno Lemaire a-t-elle été préparée de concert avec l’Élysée ?

Une indiscrétion du Figaro alimente aujourd’hui cette hypothèse. Le journaliste Tristan Quinault-Maupoil relate la tenue d’un échange entre Bruno Le Maire et Emmanuel Macron, début octobre, suivi d’une rencontre entre l’ancien ministre et le secrétaire général de l’Élysée, Alexis Kohler. On ne sait pas ce qui a été négocié lors de ces rencontres, mais Bruno Lemaire semble avoir depuis renoncé à incriminer le chef de l’État. Ont-ils accordé leurs violons en vue de leur audition par la commission d’enquête du Sénat ?

C’est ce que suggère l’article du Figaro, pour qui Bruno Lemaire « préférera charger les oppositions que rejeter la faute sur le président » qu’il avait pourtant pointé à mots couverts du doigt quelques jours plus tôt : « La vérité finira par éclater, je ne peux pas en parler maintenant. »

Or selon l’avocat Régis de Castelneau, si ces rencontres avaient pour objet d’établir une version commune, elles exposeraient Bruno Lemaire et Alexis Kohler à des sanctions particulièrement lourdes puisque le fait de déposer devant une commission d’enquête parlementaire confère aux intéressés le statut judiciaire de témoin, ce qui signifie que « les règles relatives à ce statut, et notamment le Code pénal leur sont applicables ». En particulier, les dispositions des articles 434-13434-14 et 434-15 du Code pénal leur sont applicables[4] en cas de faux témoignage ou de subornation de témoin, définie comme :

Le fait d’user de promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de fait, manoeuvres ou artifices au cours d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice afin de déterminer autrui soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation, est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, même si la subornation n’est pas suivie d’effet.

Article 434-15 du Code pénal

Les peines peuvent aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement en cas de témoignage mensonger sous serment, aggravé à sept ans lorsqu’il est rétribué.

Selon Régis de Castelnau, « Il est évident que la concertation entre de futurs témoins dont nous parle le Figaro relève de l’application » de l’article 434-15 du Code pénal ». Cette révélation devrait donc pousser les magistrats à déclencher l’ouverture d’une procédure judiciaire sauf à accepter que « la France passe pour une république bananière ».

À qui profite le crime ?

Le Gouvernement justifie aujourd’hui par trois postes de dépenses le creusement de 1 000 Md€ de la dette en sept ans : le COVID, l’Ukraine et l’inflation. Or sur le premier point, l’économiste William Thay, fondateur et président du think-thank Le Millénaire, estime non seulement que le « quoi qu’il en coûte » ne suffit pas à expliquer le dérapage des comptes publics, qui porte principalement sur les années 2023 et 2024, mais il conteste plus fondamentalement la pertinence d’un tel choix :

La France va mettre 67 ans à éponger sa dette COVID contre 7 ans pour l’Allemagne et 26 ans pour l’Italie. Le duo Macron-Le Maire a laissé un fardeau énorme pour les générations à venir !

https://x.com/ThayWilliam/status/1845692258441449506, 14/10/2024

Quelle que soit la cause de ce dérapage, sa dissimulation a eu pour conséquence de rendre incontournable la mise en œuvre d’un plan d’austérité et de donner à ces mesures une justification inédite, puisqu’il ne s’agit plus de réformer mais de « sauver la France ».

Concernant le premier point, la nécessité de combler le déficit engendré par l’équipe de Bruno Lemaire est certes indépendante du calendrier de sa divulgation, mais les options envisagées pour le combler sont étroitement liées à ses causes. Concernant le second, cette situation tombe à point nommé pour un président condamné théoriquement à l’impuissance par son absence de majorité.

Est-ce la manière imaginée par Emmanuel Macron pour imposer des réformes qui n’auraient jamais pu être votées sans cet électrochoc ? Le plan de destruction du modèle social français commence déjà à se dessiner, avec cette petite musique fredonnée par l’ancien commissaire et député européen pour préparer les esprits à un nouveau tour de vis sur les retraites :

Tout le monde va devoir se retrousser les manches parce que c’est l’intérêt du pays.
On ne peut plus tirer des chèques en blanc, sur le dos de nos enfants et de nos petits-enfants.

https://www.cnews.fr/france/2024-10-20/retraites-ne-peut-plus-tirer-des-cheques-en-blanc-sur-le-dos-de-nos-petits-enfants

La question de la gabegie vaccinale (plus de 200 millions de stock détruit d’un produit toxique et inefficace dont plus personne ne veut) ou de l’aide à l’Ukraine, dont aucune justification concrète n’a été fournie à ce jour par le Gouvernement ne semblent pas en revanche au programme de cette cure d’austérité, aggravée par un nouveau chèque de 100 millions, afin d’« affirmer la souveraineté du Liban ».

Last but not least, on apprend le 24 octobre que le futur commissaire européen au Budget, le Polonais Piotr Serafin, est favorable à une révision des règles budgétaires de l’Union européenne où les aides allouées aux États membres seraient conditionnées à des réformes structurelles nationales. La France se retrouverait alors dans une situation d’un cynisme absolu, où elle financerait sans contre-partie un programme dont le but est de dissoudre son identité dans un magma de nations.

Pour l’heure, on peut se demander en l’honneur de quelles qualités Bruno Lemaire fut invité en 2019 à la conférence de Bilderbeg. Lui a-t-on confié une mission en raison de l’extrême loyauté pour laquelle cet ancien professeur de lettres, qui estimait lui-même en 2011 « ne jamais avoir été doué en maths », a été sélectionné par l’Élysée ?


Notes

[1] Estimation du PIB 2024 : 2 931 Md€. Source : https://www.budget.gouv.fr/documentation/file-download/21099, page 157.

[2] Mainguené A, Delepine A, Bachoffer P, et al. Le compte des administration publiques en 2023. Insee Première, no 1998, mai 2024. https://www.insee.fr/fr/statistiques/8194620.

[3] Husso JF. Dégradation des finances publiques : entre pari et déni. Rapport d’information fait au nom de la commission des finances (1) par la mission d’information sur la dégradation des finances publiques depuis 2023, son suivi par l’administration et le Gouvernement et les modalités d’information du Parlement sur la situation économique, budgétaire et financière de la France, Par M. Jean-François Husson. Sénat. 2024 Jun 12. https://www.senat.fr/notice-rapport/2023/r23-685-notice.html.

[4] République française. Ordonnance no 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, article 6. https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000035391366.

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