Isolement diplomatique
Rétropédalages en série Emmanuel Macron sur le front de l’Ukraine
Emmanuel Macron s’est exprimé ce jeudi en marge des célébrations du 80e anniversaire du Débarquement. Il a fait une série d’annonces, mais il a surtout affiché l’image d’un président profondément isolé, qui veut emmener son pays à la guerre, quoi qu’il en coûte.
Chacun s’attendait à ce qu’Emmanuel Macron annonce à cette occasion l’envoi d’instructeurs français en Ukraine : le journal Le Monde évoquait le 30 mai dernier, « de sources concordantes », d’intenses tractations en coulisses pour permettre au chef de l’État de synchroniser ces deux événements.
Les jeux étaient faits, ou presque. Fin mai, le ministre ukrainien des Armées, Rustem Umerov, avait affirmé que les documents permettant d’accueillir les premiers instructeurs français avaient été signés, avant de rétropédaler : « Nous sommes toujours en discussion avec la France et d’autres pays sur cette question. »
Ce projet de coalition s’apparentait déjà à une sorte de plan B après le camouflet magistral reçu de la part de la quasi-totalité de ses partenaires (Allemagne, États-Unis, Italie, Hongrie, Slovaquie…) au lendemain du sommet de Paris, le 26 février dernier. Emmanuel Macron avait alors essayé de les convaincre d’envoyer des renforts militaires sur le front pour combattre aux côtés de l’Ukraine. Personne n’avait répondu à l’appel.
Cette nouvelle idée promet d’être une nouvelle initiative malheureuse : hormis la Pologne et les pays baltes (a minima la Lituanie, forte de ses 2,8 millions d’habitants), personne ne souhaite venir se frotter d’aussi prêt à la Russie qui a expliqué début juin que les instructeurs occidentaux constitueraient une cible légitime au même titre que les soldats.
Aucun instructeur s’occupant de la formation des militaires ukrainiens n’a d’immunité. (Dmitri Peskov)
Quel que soit leur statut : militaires de l’armée française ou mercenaires, ils représentent une cible tout à fait légitime pour nos forces armées. (Sergueï Lavrov)
Les États-Unis ont confirmé début juin qu’ils ne prévoyaient pas de le faire. Le Premier ministre anglais avait rejeté catégoriquement cette idée en octobre dernier. L’Allemagne en a fait de même récemment, elle dit craindre des représailles russes.
Emmanuel Macron a fait par contre deux annonces inattendues :
- la création d’une brigade de 4 500 soldats ukrainiens formés et entraînés sur le sol français, équipés et armés par la France ; et
- la cession d’avions de combat Mirage 2000-5, assortie d’un programme de formation des futurs pilotes. Ces avions seront pilotés par des Ukrainiens qui devraient être opérationnels d’ici à la fin de l’année, selon le chef de l’État.
La promesse de cession des Mirage 2000-5
Selon plusieurs magazines spécialisés dans les questions de défense, la durée de formation requise pour que la France respecte cet engagement ne permettra d’inclure dans ce programme que des pilotes expérimentés (Air et Cosmos, Zone militaire). La question de la maintenance des appareils pourrait également constituer un défi insurmontable, comme la Suède en a fait l’expérience dernièrement.
Autre point d’achoppement, on ignore pour l’instant le nombre de Mirage 2000-5 que le président de la République a prévu de fournir à l’Ukraine, mais cette option avait été écartée en février dernier par le ministre des Armées, Sébastien Lecornu : « À la livraison de Mirage 2000, dont on en a peu et dont le MCO présenterait des défis terriblement compliqués, on a préféré démarrer la formation généraliste de pilotes. » (2 h 17’)
La doctrine française semble s’être entretemps assouplie, puisque le ministre a indiqué, au lendemain de l’annonce d’Emmanuel Macron, que les appareils seront prélevés sur l’inventaire de la défense arienne. La question de l’efficacité de cette initiative reste toutefois entière compte tenu de la pauvreté des capacités françaises.
Le Qatar, la Grèce et les Émirats arabes unis disposent, eux aussi, d’une flotte de Mirage 2000-5, mais sans coalition incluant ces pays, cette promesse est strictement virtuelle.
Le 7 juin, lors de la conférence de presse organisée avec Volodymyr Zelensky, le chef de l’État a assuré que la livraison de Mirage 2000-5 à l’Ukraine avec été actée avec ses partenaires, mais il n’a pas souhaité en révéler le nom « par souci d’efficacité ». Il a finalement confirmé sous la pression que les discussions entamées il y a plusieurs mois n’étaient toujours pas « finalisées ».
Il a également refusé d’indiquer le nombre d’appareils concernés, mais il affirme que le contrat de cession d’une première série de Mirage 2000-5 a été signé le 6 juin. Or ce nombre est étroitement dépendant de ceux que les membres de la coalition accepteront de livrer si cette coalition voit le jour. S’agit-il d’un simple coup de bluff ?
Le rétropédalage sur la question de l’envoi d’instructeurs
Lors de son interview, le chef de l’État a confirmé qu’il avait donné son accord à l’Ukraine pour qu’elle frappe la Russie « depuis les zones où sont tirés les missiles », mais il a entretenu le flou sur la question de l’envoi d’instructeurs en Ukraine : « Il ne doit pas y avoir de tabou sur ce sujet ». Interrogé sur cette question, son ministre des Armées a confirmé qu’elle n’avait pas été abordée avec Volodymyr Zelensky : « À question précise, réponse précise : non. » Où en est le projet ? La France hésite-t-elle à s’engager seule sur cette voie ? Que redoute-t-elle le cas échéant si cette initiative ne pose aucun problème ?
Lors de la conférence de presse du 7 juin, Emmanuel Macron a toutefois maintenu la position qu’il avait exprimée la veille en assurant que plusieurs partenaires avaient déjà donné leur accord, mais que les négociations se poursuivaient en vue de constituer la coalition soit la plus large possible. Lesquels ? On ne sait pas.
À la question : « La France s’apprête-t-elle à franchir un pas en qualité, en quantité et en nature dans l’aide fournie à l’Ukraine » (7’ 3’’), Emmanuel a répondu sans hésitation, le 6 juin : « Oui. » S’agit-il pour autant d’une provocation, comme l’estime la quasi-totalité des États engagés aux côtés de l’Ukraine ? « Non » selon le chef de l’État, qui a assuré que la France ne veut pas d’escalade, mais en traçant lui-même la frontière au-delà de laquelle la Fédération de Russie serait fondée à nous assimiler à une nation cobelligérante :
Est-ce que quand l’Ukraine nous demande de former sur son sol souverain des soldats mobilisés, c’est une escalade ? Non, ce n’est pas déployer des soldats européens ou alliés sur la ligne de front. C’est reconnaître la souveraineté l’Ukraine sur son territoire.
https://youtu.be/m4Hmj6e09g0?t=1369
Emmanuel Macron estime sur ce principe que les mises en garde de la Russie contre l’envoi d’instructeurs français ne doivent pas être prises au sérieux : « Je pense que tout ça est un signe de nervosité et la poursuite d’une stratégie d’intimidation qui ne fonctionne pas à l’égard de l’Europe et de ses alliés. » Si tel est le cas, il semble pourtant que cette stratégie ne fonctionne pas si mal.
L’appel au sacrifice
Lors de son hommage aux vétérans américains, prononcé le 6 juin, Emmanuel Macron a salué « la grandeur d’un peuple prêt à mourir sur un sol qui n’est pas le sien, mais pour des valeurs qui sont les siennes ». La cérémonie d’hommage aux Maquisards et aux SAS français donnée la veille s’est ponctuée par cette déclaration troublante (52’) :
Vous rappelez que nous sommes prêts à consentir aux mêmes sacrifices pour défendre ce qui nous est le plus cher, notre terre de France et nos valeurs républicaines. […] Je sais notre pays, fort d’une jeunesse audacieuse, vaillante, prête aux mêmes sacrifices que ses aînés.
Emmanuel Macron a-t-il voulu adresser un message subliminal aux Français ? La dernière loi de programmation militaire, votée en octobre 2023, permettra de réquisitionner toute personne physique ou morale en cas de « menace, actuelle ou prévisible », déclarée demain par le chef de l’État (art. L. 2212-1). Est-ce la finalité de ces prises de parole confuses, qui visent à faire de la Russie une menace pour les intérêts vitaux de la France et de l’Europe, mais sans jamais expliquer à quel titre ?
On peut se demander combien de temps elle tolérera les provocations qu’Emmanuel Macron est le seul chef d’État à ne pas prendre au sérieux. Cherche-t-il à la pousser à la faute afin d’obtenir un prétexte lui permettant demain d’entrer en guère pour un motif présumé légitime ?