Balance bénéfice-risque

Équipe Le Point Critique | 07 novembre 2023

Prévention de la bronchiolite, le nouvel eldorado des laboratoires

La première campagne de prévention nationale contre la bronchiolite a débuté le 15 septembre, avec l’arrivée sur le marché d’un nouvel anticorps monoclonal, le Beyfortus®. Contrairement à son concurrent, le Synagis®, il s’adresse à l’ensemble des nourrissons sans facteur de risque de forme de grave. Deux nouvelles injections ont par ailleurs été approuvées en Europe, où au moins quatre laboratoires se disputeront un marché dont le poids mondial est estimé à 10 milliards de dollars à l’horizon 2030. À quel prix pour la sécurité des nourrissons ?

Bébé prématuré dans une couveuse.
© Ondrooo/iStock

La saison hivernale 2022/2023 a été marquée, dans l’Hexagone par une épidémie de bronchiolite précoce et prolongée selon l’agence Santé publique France [1]. La recrudescence des hospitalisations pédiatriques a justifié le lancement en 2023 d’une campagne d’immunisation pour protéger les nourrissons contre le virus respiratoire syncytial (VRS) responsable de la maladie. Elle consiste en l’injection unique d’un anticorps monoclonal (le nirsévimab) produit par le laboratoire Astra Zeneca et commercialisé par Sanofi sous le nom Beyfortus®.

L’autorisation de mise sur le marché a été accordée le 31 octobre 2022 par l’Agence européenne des médicaments (EMA), mais le laboratoire Sanofi a bénéficié d’un dispositif dérogatoire permettant de précipiter la mise à disposition des doses dans les officines, les maternités et les hôpitaux.

La campagne a débuté le 15 septembre dernier à grand renfort de publicité dans les médias. Selon les premiers retours du ministère de la Santé, le taux d’adhésion est estimé à plus de 60 %. Ce succès inespéré a pris de vitesse les hôpitaux, forçant le ministère de la Santé à suspendre les livraisons en pharmacie pour les réserver aux établissements de santé. De nombreux scientifiques dénoncent pourtant une balance bénéfice-risque négative.

Un pseudo-vaccin homologué sans aucune garantie d’efficacité et malgré des risques de mutagenèse

Un avis favorable de remboursement du Beyfortus® [2] a été rendu le 19 juillet par la Haute Autorité de santé (HAS), qui recommande son injection systématique à tous les nourrissons (1-6 mois) nés depuis le 6 février 2023, dès leur première saison d’exposition au virus, et à l’ensemble des nouveau-nés (≤ 1 mois) avant leur sortie de maternité.

Cette recommandation a toutefois été émise en dépit en de plusieurs inconnues majeures et de données défavorables [3] :

  • les incertitudes sur la réduction du risque des hospitalisations, présentée par la HAS comme son « critère d’intérêt clinique majeur » (p. 3), y compris sur les nouveau-nés à haut risque d’hospitalisation ;
  • l’absence de données permettant d’étayer un éventuel impact en termes de réduction de la durée d’hospitalisation, de transfert en unité de soins intensifs ou en réanimation et de mortalité ;
  • un profil de tolérance qualifié d’« acceptable » ;
  • une résistance antivirale manifestée pendant les essais cliniques « pouvant faire craindre la sélection de variants résistants ».

Sur la base de ces réserves, la HAS estime que le service médical rendu (SMR) par le Beyfortus® est modéré dans la prévention de la bronchiolite chez les nouveau-nés et les nourrissons sans facteur de risque, et que son bénéfice dans la prévention des formes graves est faible chez les nouveau-nés et les nourrissons vulnérables à risque élevé d’infection.

Un risque d’hospitalisation a priori moins élevé, mais uniquement chez les bébés ne présentant aucun facteur de risque

Cette injection sera proposée en première intention à tous les nourrissons et les nouveau-nés de moins de 6 mois, y compris ceux présentant des critères de vulnérabilité associés à un risque d’hospitalisation plus élevé, pour lesquels un autre anticorps monoclonal est disponible depuis 1999, le Synagis®

La HAS recommande dans ce cas de remplacer le Synagis® jugé peu efficace (p. et complexe d’utilisation par le Beyfrotus®, et d’étendre cette recommandation jusqu’à l’âge de 12 mois pour les nourrissons les plus vulnérables (grands prématurés < 32 SA, maladie pulmonaire chronique et/ou cardiopathie congénitale).

Elle estime pourtant que le Beyfortus® n’apporte :

  • aucune amélioration du service médical rendu par rapport au Synagis® dans la prévention des formes graves chez les bébés à risque ;
  • une amélioration « mineure » du service rendu dans la prévention de la bronchiolite chez les nouveau-nés et les nourrissons à faible risque d’infection grave, et qui ne bénéficiaient donc jusqu’à présent d’aucun traitement.

En d’autres termes, selon la HAS, les bébés les plus vulnérables ne seront pas mieux protégés d’une forme grave ou d’un décès avec ce nouveau traitement, mais les bébés qui ne risquaient pas de développer une forme grave risqueront moins d’être hospitalisés

Des effets secondaires graves minimisés par la HAS, dont la mort

Dans ses « Réponses rapides » destinées aux professionnels de santé, la HAS mentionne les effets secondaires suivants : éruption cutanée (rash), fièvre, réactions au site d’injection (induration, œdème, douleur), autre (réactions graves d’hypersensibilité, notamment des cas d’anaphylaxie ont été observées avec des anticorps monoclonaux).

Le niveau de tolérance reflété par cette liste est toutefois en contradiction avec les données cliniques de l’étude comparant le profil de sécurité du Beyfortus® et celui du Synagis® chez les nourrissons à haut risque (Medley).

Un profil de tolérance inquiétant pour les nourrissons les plus vulnérables

Ces données, détaillées dans son avis (p. 2), révèlent une incidence supérieure des effets indésirables graves (EIG) les plus fréquemment rapportés (> 2 sujets) avec le Beyfortus® :

  • bronchiolites : 11 cas vs 4 cas (+ 175 %) ;
  • bronchiolites dues au VRS : 4 cas vs 2 cas (+ 100 %) ;
  • bronchites : 5 cas vs 2 cas (+ 150 %) ;
  • pneumonies : 5 cas vs 1 cas (+ 400 %) ;
  • infections virales des voies respiratoires supérieures : 3 cas vs 1 cas (+ 200 %) ;
  • hypersensibilité (dont anaphylaxie) : 18,1 % vs 15,1 % (+ 20 %) ;
  • décès : 5 cas vs 1 cas (+ 400 %) ;

Les événements indésirables d’intérêt particulier (AESI) suivants, c’est-à-dire dont le laboratoire estime qu’ils nécessitent une surveillance, n’ont été rapportés que dans le groupe Beyfortus® :

  • 1 cas de thrombocytopénie induite par l’héparine (saignement par baisse des plaquettes) ;
  • 1 cas de thrombocytopénie ;
  • 1 cas d’éruption maculo-papuleuse.

Un volume de décès supérieur dans le groupe vacciné

L’avis de la HAS détaille le nombre de décès recensés dans les quatre études sur lesquelles la sécurité du Beyfortus® (nirsévimab) a été évaluée :

  • étude Harmonie (NCT05437510) : aucun décès n’a été rapporté ;
  • étude D5290C00003 (NCT02878330) : 3 décès sur 479 (6,26 ‰) dans le groupe placebo vs 2 décès sur 968 dans le groupe Beyfortus® (+ 2,86 ‰) ;
  • étude Melody (NCT03979313) : 4 décès, tous survenus dans le groupe vacciné ;
  • étude Medley (NCT03959488) : aucun décès n’a été rapporté durant la saison 2. Durant la saison 1, en revanche :

Les décès ont été plus fréquemment rapportés dans le groupe nirsévimab (5 décès) : 2 décès dans la cohorte des prématurés (1 cas de bronchiolite et 1 cas de COVID-19) et 3 dans la cohorte CLD-CHD (1 cas d’insuffisance cardiaque congestive, 1 cas de choc cardiogénique et 1 cas de pneumonie). Un seul décès a été rapporté dans le groupe palivizumab (cohorte CHD–CLD) : 1 cas de bronchiolite. Aucun des décès n’a été considéré comme lié au traitement à l’étude selon l’investigateur.

https://www.has-sante.fr/upload/docs/evamed/CT-20356_BEYFORTUS_PIC_INS_AvisDef_CT20356.pdf

Ces résultats ne sont toutefois pas définitifs, le rapport de fin d’étude étant attendu seulement en 2024 pour les essais Medley, Melody et Harmonie [4]. La HAS précise qu’elle réévaluera sa position sur la base des données cliniques finales.

Le Dr Hélène Banoun, pharmacienne, ancienne chercheuse à l’Inserm, complète ce tableau :

La FDA a enregistré 12 décès dans l’ensemble des essais de cet anticorps monoclonal : 4 décès cardiaques, 2 gastro-entérites, 2 morts subites, 1 cancer, 1 COVID, 1 fracture, 1 pneumonie, mais aucun décès n’a été relié au traitement.

L’EMA enregistre 3 décès dans les groupes placebos et 11 décès dans les groupes traités. Conclusion de l’EMA : la balance bénéfice/risque est positive… […]

Il faut aussi noter le flou volontairement entretenu du point de vue de la qualification de ces nouveaux produits : l’industrie aimerait qu’ils suivent plus ou moins la réglementation plus souple des vaccins, en vue d’éviter des essais cliniques complexes et longs. Par exemple, le Beyfortus contre le VRS a été approuvé en urgence comme un vaccin aurait pu l’être. C’est là une raison supplémentaire de saisir toute l’importance des enjeux réglementaires.

Banoun H. Les mauvaises surprises des vaccins et thérapies préventives contre la bronchiolite à VRS. Research Gate. 2023 Nov. https://www.researchgate.net/publication/373994029.

Précisons également que l’immunisation contre la bronchiolite est un projet ancien, qui fut délaissé pendant soixante ans en raison d’une létalité vaccinale jugée inacceptable :

D’abord, rappelle le professeur Jean-Daniel Lelièvre, il y a un passif. Dans les années 60, il y a eu un vaccin VRS à partir d’un virus inactivé. Il induisait des anticorps non neutralisants, et chez certains enfants, il a provoqué des effets inverses avec des emballements de l’infection. Deux enfants sont morts. D’où une grande prudence tout à fait légitime.

Favereau É. Le vaccin contre la bronchiolite : emballement suspect ou avancée spectaculaire ?. Libération. 2023 Jun 20. https://www.liberation.fr/societe/sante/le-vaccin-contre-la-bronchiolite-emballement-suspect-ou-avancee-spectaculaire-20230620_4B2LI4F5IBAO3LZTQMY5B6RD2M/.

Les risques de mutagenèse mentionnés par la HAS suggèrent qu’une catastrophe similaire pourrait à nouveau se produire.

Un excipient non mentionné par la HAS

Concernant la composition des injections, la HAS se contente de renvoyer à la liste des excipients mentionnés dans le Résumé des caractéristiques produits. Elle ne relève pas la présence d’un composé problématique, le polysorbate 80 (Tween 80), dont la toxicité sur les ovaires est pourtant reconnue depuis 1993, et ce quelle que soit la dose injectée :

Des rats femelles néonatales ont été injectées en intrapéritonéal (IP) (0,1 ml/rat) avec du polysorbate 80 en 1, 5 ou 10 % en solution aqueuse les jours 4 à 7 après la naissance. Le traitement par polysorbate 8 a accéléré la maturation, a prolongé le cycle de l’œstrus et induit un œstrose vaginal persistant. Le poids relatif de l’utérus et des ovaires a été diminué par rapport aux témoins non traités. La métaplasie des cellules squameuses de la paroi épithéliale de l’utérus et les modifications cytologiques de l’utérus étaient indicatives d’une stimulation œstrogénique chronique. Les ovaires étaient dépourvus de gisement de lutéa, et avaient des follicules dégénératifs.

Cette description est un peu technique, mais chacun aura compris qu’il ne s’agit pas d’un effet désirable.

Une balance bénéfice-risque au mieux incertaine

Comment la HAS a-t-elle pu donner un avis de remboursement favorable au regard de ces nombreuses inconnues et de ces données délétères ?

Trois arguments sont mis en avant dans son avis :

  • l’existence d’un « besoin médical insuffisamment couvert dans la prévention des infections des voies respiratoires inférieures dues au VRS chez les nouveau-nés et les nourrissons, au cours de leur première saison de circulation du VRS » ;
  • une réduction de l’incidence des bronchiolites nécessitant une prise en charge médicale, jugée statistiquement significative dans deux études : 2,6 % vs 9,5 %, chez des nourrissons prématurés (D5290C00003) et 1,2 % vs 5 % chez des nourrissons en bonne santé, peu prématurés et à terme (étude Mélodie [5]) ;
  • la simplicité de son utilisation, puisqu’une dose unique est estimée suffisante vs une dose mensuelle pour le Synagis®, dont la durée d’immunisation est limitée à un mois vs cinq mois minimum pour le Beyfortus®.

Non seulement ce dernier argument n’a aucune pertinence pour les nourrissons non vulnérables, non éligibles au Synagis®, mais la HAS indique que l’efficacité chez les nourrissons à haut risque est « extrapolée » et qu’elle ne repose donc sur aucune donnée clinique.

Concernant le premier argument, la HAS précise dans son avis que « La bronchiolite aiguë du nourrisson de moins de 12 mois est une pathologie fréquente qui n’impose que rarement l’hospitalisation ». Selon Santé publique France, en 2009, ce taux était de 3,58 % chez les nourrissons de moins de 1 an, avec une létalité estimée à 0,08 % pour l’ensemble des nourrissons hospitalisés et à 0,56% pour ceux hospitalisés en service de soins aigus. L’agence précise :

La mortalité parmi l’ensemble des nourrissons de moins de 1 an avait été de 2,6/100 000 (0,0026 %).

Santé publique France. Bronchiolite aiguë du nourrisson en France : bilan des cas hospitalisés en 2009 et facteurs de létalité. 2012 July 1. https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/bronchiolite/documents/article/bronchiolite-aigue-du-nourrisson-en-france-bilan-des-cas-hospitalises-en-2009-et-facteurs-de-letalite.

Ce taux de 0,0026 % est largement inférieur à celui retrouvé dans deux essais :

  • essai Melody : 4 décès sur une cohorte de 994 participants, soit 0,40 % (x 155) ;
  • essai Medley [6] : 5 décès sur une cohorte de 925 participants, soit 0,54 % (x 208).

Plus généralement, au-delà de son efficacité, le Plan de gestion des risques [7] établi par l’EMA montre qu’on ne sait pour ainsi dire rien de sa sécurité selon  :

  • les données de sécurité à long terme ne sont pas connues (p. 22) ;
  • la génotoxicité, la carcinogénicité et la toxicité pour la reproduction n’ont pas été évaluées (p. 11).

Le Résumé des caractéristiques produit [8] précise également (p. 3-12) :

  • les risques sont inconnus chez les nourrissons de petit poids : pour les nourrissons pesant entre 1,0 kg et 1,6 kg, la posologie a été déterminée par extrapolation, aucune donnée clinique n’est disponible.
    Chez les nourrissons de moins de 1 kg, les effets sont susceptibles d’être majorés. « Par conséquent, les bénéfices et les risques de l’utilisation du nirsévimab chez les nourrissons de moins de 1 kg doivent être soigneusement évalués » ;
  • les données disponibles sont limitées ou inexistantes chez les enfants extrêmement prématurés ;
  • la sécurité et l’efficacité du nirsévimab n’ont pas été établies chez les enfants âgés de 2 à 18 ans. Aucune donnée n’est disponible.
  • il n’existe aucune donnée clinique sur la sécurité et l’efficacité d’une administration répétée.

Une appréciation des risques à géométrie variable

La décision de la HAS est d’autant plus surprenante qu’elle a cessé de recommander en novembre 2019 la kinésithérapie respiratoire de désencombrement bronchique, en raison d’une « absence d’amélioration avérée de l’équilibre bénéfice-risque ». En 2012, l’Institut de veille sanitaire (InVS) présentait pourtant cette technique comme l’un des piliers de la prise en charge de la bronchiolite, grâce notamment à un dispositif de proximité déployé dans tout l’Hexagone afin de désengorger le système hospitalier (réseau Bronchiolite) :

La bronchiolite touche 460 000 nourrissons par an en France, soit 30 % d’entre eux. La classe d’âge la plus touchée est celle des 2 à 8 mois. […] Cependant, les recommandations de prise en charge de la bronchiolite établies par la conférence de consensus de l’Anaes en 2000 privilégient une prise en charge ambulatoire des patients, valorisant le rôle de la kinésithérapie respiratoire comme traitement. Parmi les nourrissons atteints de bronchiolite, 2 % nécessitent une hospitalisation pour prise en charge des complications.

https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/50835/1098123

La décision de la HAS a été confirmée en 2021 par le Conseil d’État contre l’avis des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs, dont les craintes que cette mesure entraîne « un engorgement des services d’urgence ou [un] recours à des alternatives non éprouvées scientifiquement » n’ont pas été jugées recevables à l’époque, faute de preuves.

Les faits semblent malheureusement leur avoir donné raison puisque l’épidémie de bronchiolite 2022-2023 s’est traduite par un doublement du nombre de passages aux urgences chez les enfants de moins de 2 ans par rapport à la moyenne historique 2015-2020. La HAS a-t-elle anticipé un nouveau marché ?

Abrysvo® (Pfizer) : un vaccin expérimental destiné aux femmes enceintes déjà homologué par la FDA

Pfizer semble en tout cas l’avoir fait puisque le laboratoire annonçait, en novembre 2022, avoir développé de manière concluante un vaccin contre la bronchiolite à destination des femmes enceintes (Abrysvo®). Bien que la fin de la phase 3 de l’essai clinique (NCT04424316) soit prévue pour 2030, il a été approuvé en urgence par la FDA et l’EMA en août 2023 pour les femmes enceintes.

Son évaluation pas la HAS n’a débuté que le 11 septembre dernier, mais les essais cliniques ont d’ores et déjà révélé des effets secondaires alarmants, cités dans la lettre d’approbation de la FDA (p. 4) :

  • hypertension artérielle ;
  • syndrome de Guillain-Barré ;
  • fibrillation auriculaire ;
  • taux de naissances prématurées (+ 20 % dans le groupe vacciné) ;
  • poids de naissance faible ou extrêmement faible supérieur dans le groupe vacciné.

La FDA a sur ce principe demandé au laboratoire de réaliser des études complémentaires dont les résultats sont attendus pour… 2029-2031.

Selon le magazine Nexus, la HAS ne devrait pas se prononcer avant mai 2024, mais nous serions étonnés qu’elle ne démontre pas que son efficacité et son profil de sécurité sont suffisants pour autoriser la vaccination des femmes enceintes.

Arexvy® (GSK) ouvre la voie des vaccins contre le VRS pour les seniors

Un second vaccin (Arexvy®) visant à prévenir la bronchiolite a également été homologué en juin dernier aux États-Unis et en Europe, dans le cadre d’une procédure d’urgence. Développé par le laboratoire GSK, il cible cette fois non pas les bébés, mais les personnes de plus de 60 ans (Arexvy®), ce qui constitue une première mondiale.

Cette homologation précède de peu celle de la version du vaccin Abrysvo® de Pfizer, approuvée en mai dernier par la FDA pour les plus de 60 ans qui n’auront pas eu longtemps à patienter, puisque la plupart d’entre eux ignoraient l’existence de ce virus. Précisons qu’une formule du vaccin Arexvy® adaptée aux femmes enceintes était également en cours de développement, mais le laboratoire a eu la sagesse d’interrompre les essais après la découverte d’une augmentation du taux de naissances prématurées, pour se concentrer sur les seules personnes âgées, chez qui les complications et la mortalité liées au virus VRS seraient en fait similaires à celles de la grippe (Les Échos).

Peut-on parler d’une avancée majeure en termes de santé publique ?

C’est la question posée il y a quelques mois par le journal Libération, qui relève qu’on ne dispose pour l’instant d’aucune donnée consolidée sur l’incidence de l’infection par le VRS chez les seniors puisqu’il n’existe pas de surveillance systématique de ce virus pour cette population. Le laboratoire GSK évoque le chiffre de 3 millions de seniors touchés en Europe par la maladie, qu’il estime responsable de 270 000 hospitalisations et environ 20 000 décès chez les plus de 60 ans, soit 4 000 décès estimés dans l’Hexagone (Statistika).

Fin septembre, une soixantaine de médecins, dont certains ont un nom désormais familier (Lacombe, Marty, Barrière, Clarot, Hamon) appelaient sur ce principe à vacciner les personnes âgées dès cet hiver, avec pour mot d’ordre : « Il n’y a aucune raison d’attendre ! » Ils se basent notamment sur une étude observationnelle française de petite dimension (14 428 patients) [9], et cofinancée par les laboratoires Janssen et Sanofi, dont les auteurs déclarent des liens d’intérêts avec plusieurs laboratoires (Pfizer, Sanofi, GSK Anios, Janssen, MSD, Astellas), soit l’ensemble de ceux qui se sont d’ores et déjà positionnés sur le marché des vaccins anti-VRS :

[Le] virus VRS est à l’origine d’infections respiratoires chez l’adulte, le plus souvent bénignes, mais potentiellement graves chez les personnes âgées et les patients fragiles, car immunodéprimés […]. Sa dangerosité est potentiellement même supérieure à celle de la grippe, notamment si on se réfère à des données récentes françaises avec une létalité estimée entre 5 et 10 % en cas d’hospitalisation soit 1 décès toutes les 10 à 20 hospitalisations. En France, on estime qu’il y a 20 000 à 25 000 hospitalisations chaque année en rapport avec une infection sévère à VRS chez les sujets de plus de 65 ans, un chiffre très proche de celui des hospitalisations liées à la grippe. Ces infections potentiellement graves représentent un coût humain et économique important.

https://www.leparisien.fr/societe/sante/lappel-de-medecins-a-vacciner-les-personnes-agees-contre-le-vrs-il-ny-a-aucune-raison-dattendre-25-09-2023-A5Z36I4MLBGE7LI3HQSPJJIAKE.php

On parle donc de 1 000 à 2 500 décès pour une population de 18 millions de seniors à laquelle ce vaccin serait potentiellement proposé, ce qui représente une létalité de 0,005 à 0,01 %.

Des effets secondaires graves cardiologiques et neurologiques, sous surveillance jusqu’en 2031

Dans cette tribune, ils exhortent l’Assurance maladie à prendre en charge « dès cette année, de manière exceptionnelle » le coût de la vaccination par le vaccin Arexvy® au titre des excellents résultats mis en avant lors de l’essai clinique sponsorisé par le laboratoire GSK [10] (on n’est jamais mieux servi que par soi-même), sans attendre les conclusions de l’évaluation de la HAS, annoncées pour octobre 2024 :

Nos patients ont entendu parler de cette vaccination. Ils savent qu’elle est efficace et demandent à être vaccinés. C’est bien une triple vaccination anti-COVID/grippe/VRS qu’il faudrait faire dès cette année. Il n’y a aucune raison d’attendre, c’est maintenant qu’il faut agir !

https://www.leparisien.fr/societe/sante/lappel-de-medecins-a-vacciner-les-personnes-agees-contre-le-vrs-il-ny-a-aucune-raison-dattendre-25-09-2023-A5Z36I4MLBGE7LI3HQSPJJIAKE.php

Ils omettent de préciser que la lettre d’approbation de la FDA mentionne quatre effets indésirables graves retrouvés dans d’autres études [11] :

  • syndrome de Guillain-Barré ;
  • encéphalomyélite aiguë disséminée ;
  • arythmie supraventriculaire ;
  • fibrillation atriale.

Ces données ont été jugées suffisamment préoccupantes par la FDA pour qu’elle impose aux laboratoires de conduire deux études supplémentaires afin d’évaluer l’incidence de ces événements indésirables. Les résultats ne seront pas connus avant fin 2031.

Moderna voit en grand, avec cinq vaccins à ARN messager en cours de développement

Début janvier, le laboratoire Moderna annonçait également avoir développé avec succès un vaccin à ARN messager contre la bronchiolite destiné aux seniors. Ce sont en réalité cinq vaccins à ARN messager qui figurent actuellement dans sa pipeline de production :

  • vaccin VRS (mRNA-1345) destiné aux seniors (phase 3) ;
  • vaccin grippe + COVID + VRS (mRNA-1230) (phase 2) ;
  • vaccin grippe + VRS (mRNA-1045) (phase 2) ;
  • vaccin VRS (mRNA-1345) destiné aux enfants et aux adolescents (phase 2) ;
  • vaccin VRS + hMPV (mRNA-1365) destiné aux enfants et aux adolescents (phase 2).

Les vaccins COVID-19 ont-ils créé artificiellement un marché ?

Quoi qu’il en soit, la pandémie de COVID-19 aura été une aubaine pour les laboratoires puisqu’elle est suspectée d’avoir favorisé une hausse de l’incidence de la bronchiolite en créant une « “dette d’immunité” résultant du faible impact de la campagne précédente [12] ». En supposant que cette tendance se confirme en 2023-2024, comme le laissent redouter les risques de mutagenèse associés au Beyfortus®, ces nouveaux vaccins devraient trouver sans difficulté sa place dans l’arsenal thérapeutique de lutte contre la bronchiolite.

Le hasard fait en tout cas bien les choses, puisque les données de l’essai clinique réalisé par Pfizer chez la femme enceinte ont révélé une incidence deux fois plus élevée de la bronchiolite chez les nourrissons issus de mères vaccinées contre le COVID-19 que chez ceux dont la mère avait reçu un placebo. Depuis quand le laboratoire a-t-il conscience de cet effet secondaire ? Il est impossible de répondre à cette question, mais la bronchiolite figurait déjà parmi les plus de 1 200 événements indésirables d’intérêt spécial identifiés par Pfizer à l’issue des trois premiers mois de déploiement de son vaccin (p. 37).

Quelle que soit la chronologie entre cette découverte et le lancement de la production du vaccin Abrysvo®, il est peu probable que cet événement indésirable ait été perçu comme problématique par le laboratoire et plus généralement par l’ensemble de l’industrie pharmaceutique. Selon Libération citant le journal The Lancet, ce sont en effet pas moins de 33 vaccins ou traitements préventifs qui seraient en effet en cours de développement dans le monde. La revue Pathogens en répertorie de son côté 24.

Les bébés peuvent donc dormir tranquilles, jamais autant de fées ne se seront penchées en même temps dur leur berceau.


Références

[1] Santé publique France. Bronchiolite : bilan de la surveillance hivernale 2022-2023. 2023 July 19. https://www.santepubliquefrance.fr/les-actualites/2023/bronchiolite-bilan-de-la-surveillance-hivernale-2022-2023.

[2] HAS. Avis sur les médicaments : nirsévimab. BEYFORTUS 50 et 100 mg solution injectable en seringue préremplie. 2023 July 19. https://www.has-sante.fr/upload/docs/evamed/CT-20356_BEYFORTUS_PIC_INS_AvisDef_CT20356.pdf.

[3] https://www.has-sante.fr/jcms/p_3456503/fr/beyfortus-nirsevimab-virus-respiratoire-syncytial.

[4] https://www.has-sante.fr/upload/docs/evamed/CT-20356_BEYFORTUS_PIC_INS_AvisDef_CT20356.pdf.

[5] Hammitt LL, Dagan R, Yuan Y, Baca Cots M, Bosheva M, Madhi SA, et al. MELODY Study Group. Nirsevimab for prevention of RSV in healthy late-preterm and term infants. N Engl J Med. 2022 Mar 3;386(9):837-46. DOI: https://doi.org/10.1056/nejmoa2110275.

[6] Clinicaltrials.gov. A Study to Evaluate the Safety of MEDI8897 for the Prevention of Medically Attended Respiratory Syncytial Virus (RSV) Lower Respiratory Tract Infection (LRTI) in High-risk Children. https://clinicaltrials.gov/ct2/show/NCT03959488.

[7] EMA. European Union Risk Management Plan (EU RMP) for Beyfortus® (Nirsevimab). 2021 May 03. https://www.ema.europa.eu/en/documents/rmp-summary/beyfortus-epar-risk-management-plan_en.pdf.

[8] EMA. Beyfortus : EPAR – Product Information [Résumé des caractéristiques produit]. 2022 Nov 15. https://www.ema.europa.eu/en/documents/product-information/beyfortus-epar-product-information_fr.pdf.

[9] Descamps A, Lenzi N, Galtier F, Lainé F, Lesieur Z, Vanhems P, et al. In-hospital and midterm post-discharge complications of adults hospitalised with respiratory syncytial virus infection in France, 2017–2019: an observational study. Eur Respir J. 2022 Mar 3;59(3):2100651. DOI: https://doi.org/10.1183/13993003.00651-2021.

[10] Papi A, Ison MG, Langley JM, Lee DG, Leroux-Roels I, Martinon-Torres F, et al. Respiratory Syncytial Virus prefusion F protein vaccine in older adults. N Engl J Med. 2023 Feb 16;388(7):595-608. DOI: https://doi.org/10.1056/NEJMoa2209604.

[11] Topalidou X, Kalergis AM, Papazisis G. Respiratory syncytial virus vaccines: A review of the candidates and the approved vaccines. Pathogens. 2023 Oct 19;12(10):1259. DOI: https://doi.org/10.3390/pathogens12101259.

[12] Vaux S, Viriot D, Forgeot C, Pontais I, Savitch Y, Barondeau-Leuret A, et al. Bronchiolitis epidemics in France during the SARS-CoV-2 pandemic: The 2020–2021 and 2021–2022 seasons. Infectious Diseases Now. 2022 Sep;52(6):374-8. DOI: https://doi.org/10.1016/j.idnow.2022.06.003.

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