Manipulation

J.Y. Drustan | 18 octobre 2023

Mediapart, porte-flingue d’une nouvelle police politique ?

Le 2 septembre dernier, Matthieu Suc et Marine Turchi publiaient à la une de Mediapart une tribune à charge contre le Journal du dimanche. Désormais marqué du sceau de l’extrême droite, l’hebdomadaire serait désormais un organe de propagande russe. Procédés journalistiques douteux, techniques manipulatoires, cet article nous interrogent finalement sur la trajectoire actuelle d’une certaine presse française.

Mediapart, nouvelle politique française ?

Notre analyse de l’article de Mediapart « Le JDD, nouveau porte-voix du Kremlin », identifie un nombre conséquent d’accusations infondées, de présentations fallacieuses, de manipulations de l’information et de positionnements partisans. Notre but n’est pas de défendre le JDD ou de déterminer s’il est ou non un organe de propagande d’extrême droite à la solde de Moscou, mais de décrypter les biais à l’œuvre dans cette charge, et d’évaluer la distance qui sépare désormais ce média politique des principales chartes encadrant cette activité hautement stratégique.

Du journalisme d’opinion au procès politique

Le premier fait marquant à la lecture de cet article est l’inhabituelle densité d’arguments, contre tout ce qui peut être relié, de près ou de loin, au concurrent de Mediapart. En parallèle, l’absence quasi totale de point de vue contradictoire nous pousse à questionner la virulence de ces propos pour tenter de confirmer ou d’infirmer les éléments à charge censés démontrer la dérive récente du journal.

Force est de constater que le réquisitoire supporte difficilement l’analyse :

Sous la direction de Geoffroy Lejeune, le « Journal du dimanche » opère un virage prorusse. L’hebdomadaire a accueilli dans ses colonnes trois journalistes issus de RT France, chaîne de propagande financée par l’État russe et suspendue en France depuis l’invasion de l’Ukraine […]

Étonnés de découvrir que le JDD proposerait une « grille de lecture propre à l’extrême droite de l’actualité hexagonale » depuis le recrutement de l’ancien directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, nous tentons d’abord de trouver dans l’article de Mediapart la présence de références directes et tangibles sur lesquelles les deux auteurs se seraient appuyés pour soutenir cette thèse. Mais force est de constater que rien n’y est présenté pour soutenir une telle affirmation, hormis une citation non documentée de Maxime Audinet décrivant un « positionnement alternatif, souverainiste ou d’extrême droite » caractéristique de « l’écosystème médiatique détenu par Vincent Bolloré ».

Au fil de l’article, nous découvrons ainsi un procès politique relevant du journalisme d’opinion visant à mettre à l’index un « écosystème » présenté comme la 5e colonne du paysage audiovisuel français.

Cette dimension politique transparaît notamment à travers les attaques ad hominem lancées de manière répétée contre les journalistes Geoffroy Le Jeune et Régis Le Sommier (ancien directeur adjoint de Paris Match et grand reporter pour la chaîne RT), dont l’objectif affiché est de discréditer du Journal du dimanche en dénonçant ses nouveaux arrivants. Si le nouveau rédacteur en chef du JDD est ouvertement dans le collimateur de Mediapart, Régis Le Sommier se révèle être en réalité sa cible privilégiée :

Le virage prorusse du JDD ces dernières semaines se traduit aussi par l’arrivée de trois journalistes de RT France

En cherchant coûte que coûte à caractériser le journaliste de « prorusse », Matthieu Suc et Marine Turchi ne s’appuient finalement que sur la caution de deux personnalités pour décrier son interview réalisée en 2014, de Bachar El-Assad. Ils reviennent ainsi, d’une part, sur une diatribe de Laurent Fabius, dans laquelle il assimile le travail du journaliste à une campagne de promotion du « dictateur », de l’autre, sur un reproche formulé peu de temps après par l’historien Jean-Noël Jeanneney, dénonçant un exercice qui aurait permis à l’autocrate de diffuser ses éléments de langage, sans s’appuyer sur une véritable exégèse journalistique. La décontextualisation de ces deux prises de parole éminemment politiques, nous en dit finalement long sur l’usage orienté qu’en fait ici le média en ligne.

Dans une vidéo publiée en complément de l’interview incriminée, Régis Le Sommier avait en effet rappelé la dénonciation de la responsabilité française dans le chaos libyen par Bachar El-Assad. Cette mise en cause ayant probablement électrisé le ministre des Affaires étrangères de l’époque, celui-ci avait alors tenu à réfuter ces accusations en discréditant le travail du reporter, au prétexte qu’il ne l’avait pas vu explicitement accuser le président syrien d’être l’unique responsable de cette tragédie. On imagine pourtant l’impact qu’aurait pu avoir une telle mise en cause frontale, tant sur la suite de l’entretien que sur la propre sécurité du journaliste :

faire une interview sans dire, crûment, à monsieur Bachar EL-ASSAD, « écoutez, quand vous êtes arrivé, il y a 3 ans, il y avait une petite révolte de 8 jeunes dans un coin de votre pays, et maintenant, à cause de vous, il y a 200 000 morts », c’est quand même le début, du début, du début.

La référence à Jean-Noël Jeanneney se révèle également quelque peu problématique. Si son statut « d’historien » permet à Mediapart de le présenter comme une figure d’autorité, son positionnement politique demeure en revanche totalement occulté.

Comment ne pas penser pourtant que l’alignement politique de M. Jeanneney, comme secrétaire d’État sous la présidence Mitterrand, puis comme soutien officiel à la candidature à la présidentielle de François Holland en 2012, a probablement pesé dans l’analyse qu’il avait livrée à l’époque, au journal Le Monde, du travail du reporter ?

Sans aucune recontextualisation, Mediapart se contente ainsi de relayer les propos de M. Jeanneney comparant – en toute simplicité – le travail de R. Le Sommier avec une interview d’Adolf Hitler réalisée en 1936 par Bertrand de Jouvenel :

L’article aurait dû être accompagné d’un ensemble d’informations. D’abord sur les conditions de sa production […] il eût été indispensable de commenter pied à pied les propos du personnage, de relativiser ses affirmations, de démentir ses mensonges […].

L’un me vient aussitôt à l’esprit : Bertrand de Jouvenel interrogeant Hitler en 1936 […] Jouvenel raconte était venu courtoisement le chercher dans l’antichambre…

À la relecture de cet entretien, on comprend rapidement que Matthieu Suc et Marine Turchi se contentent de reprendre à leur compte une accusation infondée, probablement sans avoir jugé utile de relire ne serait-ce que le chapô introductif de l’article de Paris Match qui contextualisait pourtant l’entrevue :

Samedi 29 novembre, dans un des bureaux du président syrien, à Damas. Rien ne laisse présager la guerre civile qui se joue au-dehors.

Sans doute n’ont-ils pas non plus jugé opportun de s’interroger sur le bien-fondé des allégations de complaisance vis-à-vis du dirigeant syrien formulées par M. Jeanneney à l’encontre de Régis Le Sommier, alors simple qu’un coup d’œil à la liste des questions posées lors de cette interview suffit à en comprendre l’orientation sous-jacente :

Après trois ans de guerre […] regrettez-vous de ne pas avoir géré les choses différemment au début, vous sentez-vous responsable ? […]

Pourquoi bombarder des civils ? […]

Des images satellites montrent des quartiers oblitérés […] l’ONU […] parle de 190 000 morts […] les habitants de ces quartiers étaient-ils tous des terroristes ? [….]

Toujours selon l’ONU, 3 millions de Syriens sont réfugiés […] ce sont tous des alliés des terroristes ? […]

Beaucoup disent que la solution c’est votre départ […]

Oui ou non, y a-t-il aujourd’hui en Syrie des armes chimiques ?

John Kerry vous accuse d’avoir violé le traité en faisant usage du chlore. Est-ce vrai ? […]

Avez-vous utilisé des armes chimiques ?

À mesure que nous avançons dans l’analyse de l’article de Mediapart, nous commençons à identifier les contours d’un exercice qui semble cocher toutes les cases d’une manipulation systématique.

Une manipulation journalistique, décryptage

Au fil de l’article, les rédacteurs de Mediapart alternent les procédés visant à créer un halo négatif autour du Journal du dimanche : dénonciation subjective, information parcellaire, falsification de l’information, campagne de discrédit… on retrouve ici tous les ingrédients d’un réquisitoire fabriqué de toute pièce.

Saturer l’espace d’accusations péremptoires

Ses pages internationales accordent aussi une large part à la Russie en général et à sa guerre en Ukraine en particulier, avec une présentation très tendancieuse des faits. Sous couvert d’une réserve de façade, on jurerait lire les éléments de langage martelés depuis février 2022 par le Kremlin.

L’une des techniques les plus fréquemment utilisées dans l’article est sans doute le recours à la dénonciation implicite fondée sur des assertions creuses : une succession d’affirmations gratuites, généralement non argumentées ou non explicitées, ne démontrant rien d’autre que ce que les auteurs énoncent, mais qui, de ce fait, sont sans doute particulièrement faciles à entendre pour un lectorat à flatter

Sous couvert d’une réserve de façade, on jurerait lire des éléments de langage du Kremlin […]

Régis Le Sommier […] grand reporter chez RT France […] avant de lancer le média en ligne prorusse Omerta […]

Se définissant lui-même comme patriote, Régis Le Sommier a logiquement atterri au JDD

La tribune est un plaidoyer pour une solution raisonnable [… qui] passerait par des concessions territoriales […]

Arno Klarsfeld conclut cet étrange plaidoyer pour la paix en rappelant que « des nationalistes ukrainiens, au cours de la Seconde Guerre mondiale, ont collaboré avec les nazis.

Il conclut en rappelant que des nationalistes ukrainiens, au cours de la Seconde Guerre mondiale, ont collaboré avec des nazis

À l’évidence, il s’agit ici moins de présenter des éléments à charge tangibles contre le JDD, que de jouer sur un effet de densité, en donnant à lire au lecteur, de quoi s’offusquer facilement par le biais de lieux communs et de petites calomnies.

Mais le sport favori des auteurs semble plutôt consister à détourner ou présenter une information comme étant orientée, en décontextualisant ou en tronquant une partie des faits énoncés.

Sélectionner les informations de manière stratégique

L’un des arguments de l’article est le volume éditorial dédié au conflit russo-ukrainien. Ainsi, le Journal du dimanche accorderait de façon suspecte « une large part de ses pages internationales à la Russie en général et à sa guerre en Ukraine en particulier ». Aucune mise en balance de cette évaluation avec le volume identique d’articles consacrés sur la même période à l’actualité africaine par le JDD (soit 23,3 %), ou encore avec les 18 % d’articles publiés dans cette même rubrique par le journal Le Monde, n’est cependant proposée ici :

Ses pages internationales accordent aussi une large part à la Russie en général et à sa guerre en Ukraine en particulier, avec une présentation très tendancieuse des faits.

Mieux, en souhaitant caractériser le positionnement « prorusse » d’une des publications de Régis Le Sommier (« Le crépuscule du dieu de “Wagner”»), les auteurs en présentent un titre tronqué afin d’instiller l’idée que nous serions en présence d’une apologie d’Evgeni Prigojine. Ils résument ensuite le reportage à un article qui « insiste sur une défaite ukrainienne » alors que celui-ci propose en réalité un récit linéaire du parcours du chef de guerre et de sa milice Wagner, et ne consacre finalement qu’une dizaine de lignes à la bataille de Bakhmout :

Ainsi, dans l’édition du 27 août, une double page supposée être consacrée à la mort d’Evgueni Prigojine, « le dieu de Wagner », insiste sur une défaite de l’armée ukrainienne.

Que dire enfin de l’argument financier relayé par Mediapart pour dépeindre la chaîne RT France comme le bras armé de la propagande du Kremlin, lorsque le média ne prend pas même la peine de comparer son budget à celui des autres chaînes d’information du PAF, dont, par exemple, celui de LCI qui s’élevait, pour la seule année 2022, à 55 millions d’euros ?

Sa chaîne francophone [RT France], lancée fin 2017, a profité, jusqu’à sa liquidation cette année, d’un budget de “20 à 27 millions d’euros par an“ de Moscou.

Aucune mention, non plus, des 12 millions d’euros d’aides d’État, accordées au journal Aujourd’hui en France, détenu par le groupe UFIPAR et le milliardaire Bernard Arnault que l’on imagine sans mal comme assez loin du dépôt de bilan…

Mais s’il est une chose de tronquer ou d’orienter une information, la falsifier relève d’un exercice bien plus exécrable qui mérite d’être analysé un peu plus précisément.

Fabriquer un récit de toutes pièces

À trois reprises au moins, au cours de leur réquisitoire, les auteurs de Mediapart délivrent sans aucun complexe des informations que nous pourrions qualifier de « très relatives » si elles ne relevaient pas, purement et simplement, d’affirmations mensongères.

En dénonçant la relégation, en toute fin de l’article consacré à Evgeni Prigojine, d’une hypothétique cause du crash de l’avion dans lequel l’ancien chef de la milice Wagner a perdu la vie, Matthieu Suc et Marine Turchi cherchent à démontrer l’embarras de R. Le Sommier à pointer une éventuelle implication du Kremlin. Mais ils trompent en réalité leurs lecteurs, en mettant discrètement sous le tapis l’évocation de cette même possibilité dès les premières lignes de la publication de la publication :

Prigojine a trouvé la mort mercredi dans l’accident de son avion, comme payant le prix de sa trahison.

Ils pointent ensuite du doigt un article du JDD portant sur les récents événements qui ont secoué le Haut-Karabagh, en laissant à penser que seul son auteur s’interrogerait sur une possible évolution du conflit vers un nouveau génocide arménien qui signerait un échec de la diplomatie occidentale et notamment française :

Deux pages plus loin, un article titré « Haut-Karabagh : le conflit oublié » laisse entendre que l’on s’achemine vers « un nouveau génocide arménien »

Le détournement de l’information est ici patent puisque l’article incriminé ne fait précisément que relayer une lettre ouverte de la députée Renaissance Sarah Tanzilli, qu’elle avait adressée au président de la République via les réseaux sociaux.

L’Azerbaïdjan met clairement en œuvre une politique génocidaire à l’encontre des Arméniens.

Les auteurs occultent par ailleurs totalement la citation de M. Hovhannès Guevorkyan, représentant arménien du Haut-Karabagh en France, et en laissant ainsi leurs lecteurs penser que cette interrogation sur la pertinence de renouer le dialogue avec la Russie serait le fait de l’auteur :

En intertitre, une ébauche de solution sous forme interrogative : « Discuter avec la Russie ? »

L’article de Mélanie Lepoutre ciblé par Mediapart est pourtant dénué d’ambiguïté quant à la paternité de cette réflexion, et l’on a du mal à voir dans l’analyse qu’en font les auteurs autre chose que de la malhonnêteté caractérisée :

Le représentant du Haut-Karabarg en France est lucide : « Une nouvelle guerre est inévitable si l’Azerbaïdjan ne s’arrête pas. ». « Si l’on veut la paix, confie Hovhannès Guévorkian, il faut que les USA, la Russie et la France se mettent autour d’une table. »

Matthieu Suc et Marine Turchi dénoncent également la description récurrente, dans un autre du JDD(« Russie-Ukraine : la guerre des drones »), de « la létalité des drones ukrainiens », supposée démontrer le parti pris du journaldans son analyse du conflit. Pourtant, nous n’avons trouvé aucune évocation de la « létalité » de ce type d’armes dans l’article en question. L’auteur évoque au contraire un usage de ce type d’armes par les deux belligérants et sa revendication par le général Valeri Zaloujny lui-même, commandant en chef des forces armées d’Ukraine :

« Les drones civils modifiés sont un atout inestimable à notre arsenal […] », estime le général Zaloujny, commandant en chef des forces armées ukrainiennes.

l’Ukraine engage 10 000 drones chaque mois, la Russie en fait également usage

Le journaliste du JDD précise même que ce type d’armes présenterait un atout majeur qui serait leur moindre létalité :

limitant les pertes civiles et évitant les destructions massives associées aux conflits traditionnels

Finalement, une tribune parue dans Valeurs actuelles est résumée de façon totalement trompeuse par les rédacteurs de Mediapart qui la présentent comme la dénonciation d’une attitude russophobe occidentale :

une tribune d’intellectuels appelant à cesser la guerre, dénonçant la communauté internationale, accusée d’avoir ‘humili[é], insult[é] et quelquefois même outrageusement diabolis[é]’ la Russie

Au-delà de cette nouvelle attaque par « triangulation », la tribune en question se révèle être de toute autre nature. Bien que les auteurs reconnaissent une « diabolisation occidentale » de la Russie, des « accents de racisme antirusse » et « d’inacceptables relents de xénophobie », ils sont pour autant tout sauf tendres avec le président Vladimir Poutine.

Ils y dénoncent tour à tour, une brutale agression, une guerre insensée et une immense tragédie humaine provoquée par l’armée russe ainsi que des motifs injustifiables. Ils assument également sans la moindre ambiguïté leur positionnement au côté de « l’admirable résistance ukrainienne » et avertissent Vladimir Poutine du risque qu’il prend à leurs yeux de passer pour « un nouvel Hitler » ou de « finir dans les nauséabondes cuvettes de l’histoire », et de voir ainsi l’image de la Russie gravement dégradée. Les philosophes français appellent finalement le président russe « à revenir à la raison ».

Comment la rédaction de Mediapart peut-elle sérieusement réduire cette tribune à une seule dénonciation de diabolisation de la Russie ? Le raccourci présenté par les deux auteurs est bel et bien fallacieux et doit être dénoncé comme une tentative de manipulation allant à l’encontre de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes, et donc comme une faute professionnelle majeure.

Stigmatiser son adversaire

Une large part de la charge de Mediapart contre le Journal du dimanche consiste en une campagne de dénigrement des journalistes contribuant à l’hebdomadaire. Si Geoffroy Le Jeune nouveau rédacteur en chef du JDD, semble être une cible de choix pour Matthieu Suc et Marine Turchi, leur attaque se concentre bel et bien sur Régis le Sommier dont le magazine Omerta est allégrement étiqueté « prorusse » sans autre argumentation.

Mais au fil de l’article, sa mise en accusation consiste en un procès politique à travers lequel on lui reproche finalement moins d’afficher de quelconques positions, que la diffusion de son travail et ses passages télévisés sur des médias tels que Le Parisien, Valeurs actuelles ou bien encore CNews.

Invités à visionner une compilation vidéo d’interviews de R. Le Sommier sur le plateau de Pascal Praud (CNews), nous cherchons, un peu stupéfaits, à comprendre comment Matthieu Suc et Marine Turchi ont pu y trouver un quelconque positionnement « pro-russe ». Tout au plus réussissent-ils à dénicher une prise de position de l’avocat Arno Klarsfeld dans le magazine Omerta, récemment fondé par R. Le Sommier, ou encore deux participations du journaliste à des événements organisés en 2020 par l’association Dialogue Franco-Russe.

Faut-il en conclure que l’ensemble des personnalités ayant participé à ces événements, à l’instar de Jacques Sapir (économiste, directeur d’études à l’EHESS), André Berkoff, Olivier Delamarche (économiste), François Asselineau ou encore Pierre de Gaulle, doit également être considéré comme un émissaire du Kremlin ?

On notera au passage la qualification non argumentée de l’eurodéputé Thierry Mariani, co-présidant de ladite association, d’être la « voix de la Russie en France ».

Inventer des sources ou oublier de les citer

En cherchant à appuyer leur campagne de discrédit conte le JDD, les deux rédacteurs tentent d’établir une triangulation amalgamant le média RT France à sa maison mère, et les nouveaux journalistes du JDD à leur ancien employeur. Pour ce faire, ils reprennent à leur compte une analyse soutenue le Dr Maxime Audinet, présenté comme chercheur à l’Institut de recherche stratégique à l’École militaire, mais dont ils oublient que cet organisme dépend du ministère de la Défense, et qu’il est donc par définition étroitement lié au pouvoir politique actuel.

En accumulant les citations attribuées à M. Audinet, les deux auteurs réussissent d’abord l’exploit de réaliser un vaste gloubi-boulga sémantique, mêlant en vrac les revendications des « Gilets jaunes » (le prix de l’essence, le référendum d’initiative populaire, l’augmentation des allocations handicapées ou l’arrêt de la hausse des carburants), le concept de « souverainisme politique », le business model d’une chaîne d’information américaine mainstream et le discours politique du gouvernement russe.

Mais au-delà de l’incroyable cuisine journalistique proposée ici, émerge un problème de cohérence dans les références citées dans l’article, qui ont pour unique source la thèse soutenue par M. Audinet. Ladite thèse de M. Audinet, soutenue en 2020 et publiée en 2021, semble finalement servir à Médiapart d’unique point d’appui pour établir un lien entre la chaîne RT France, l’extrême-droitisme de ses anciens journalistes, la guerre en Ukraineet le Journal du dimanche :

Et lorsqu’il s’agit de traiter des sujets sensibles ou d’importance stratégique pour le gouvernement russe […], l’alignement sur le discours officiel est manifeste, a fortiori depuis l’invasion.’ Avec des conséquences très concrètes sur le traitement de la guerre en Ukraine […]

Pour Maxime Audinet, il n’est pas surprenant que des anciens de RT France rejoignent aujourd’hui le JDD. ‘Après l’invasion, puis la liquidation de RT France […] certains ont aussi cherché, par positionnement idéologique, nécessité économique ou faute de pouvoir intégrer d’autres rédactions, à se reconvertir dans l’écosystème de médias qui affichent un positionnement “alternatif”, souverainiste ou d’extrême droite, détenue par Vincent Bolloré ou autres : CNews, Sud Radio, Omerta, Factuel.

De toute évidence, une référence à une interview ou tout autre écrit de Maxime Audinet, permettant à Mediapart de relayer des propos ciblant des événements postérieurs au 22 février 2022, semble avoir été oubliée lors de la rédaction de l’article. Plus précisément, s’il ne s’agissait pas là d’un oubli, nous serions alors en présence d’une bien curieuse façon de se référer à un document antérieur aux événements qu’il serait censé éclairer.

Des positions très… problématiques

L’immédiateté de lecture d’une telle publication rend bien évidemment difficile toute vérification de la véracité des propos et des idées soutenues (ou sous-tendues) dans le réquisitoire de Matthieu Suc et Marine Turchi.

Mais si nombre de références proposées y sont présentées de façon pour le moins orientée, elles sont aussi généralement noyées au milieu de partis pris poussant parfois jusqu’à la remise en cause d’évidences ou de faits historiques.

Dans sa recherche constante de mettre à jour un « virage prorusse » du JDD, les rédacteurs de Mediapart remettent ainsi en cause une série d’éléments qui lorsqu’ils ne font pas l’objet d’interrogations dans la littérature et la presse internationale, relèvent souvent d’évidences indiscutables. Un positionnement idéologique qui après un mois de recul seulement s’avère finalement très problématique.

Pas de génocide s’il est dénoncé par un journal d’opposition

Non satisfaits de faire mine d’attribuer la paternité des propos du représentant du Haut-Karabagh en France à la journaliste Mélanie Lepoutre, les deux auteurs paraissent d’abord minimiser la portée « génocidaire » des événements décrits :

un article titré « Haut-Karabagh : le conflit oublié » laisse entendre que l’on s’achemine vers « un nouveau génocide arménien »

Ce positionnement initial et le revirement opéré il y a quelques jours par Mediapart ont de quoi surprendre. Le 3 octobre dernier, le journal publiait en effet un article intitulé « Au Haut-Karabagh, “une entreprise de destruction humaine” », basé sur un entretien avec l’historien Vincent Duclerc, « qui voit dans la situation au Haut-Karabagh non pas une guerre entre nations, mais la poursuite d’un “génocide sans fin” ». Dans cette interview, V. Duclerc décrit un génocide à l’œuvre basé sur un blocus alimentaire visant à pousser les Arméniens à quitter leur territoire « avec la complicité de la Russie ».

Au-delà de cette nouvelle accusation non argumentée, la qualification de « génocide » serait donc contestable lorsqu’elle serait soutenue par journal estampillé « prorussse » par Mediapart, mais devrait être mise en exergue lorsqu’elle permet d’incriminer la Russie.

D’un article à l’autre, en fonction du point de vue à défendre, la cohérence éditoriale de Mediapart pose ainsi de sérieuses questions, et nous pouvons légitimement nous interroger sur la réalité d’un traitement russophobe de l’information chez une partie au moins des journalistes de sa rédaction.

Lorsque journalisme devient réécriture de l’actualité

En s’attaquant ensuite à l’article du journaliste Sébastien Le Belzic sur « La guerre des drones », le média semble aussi remettre en cause la volonté des autorités ukrainiennes d’étendre le conflit à la Russie.

…témoignage, selon l’auteur, de la volonté du président ukrainien d’étendre le conflit sur les terres de Vladimir Poutine

Mais alors que le président Zlenskyi et son général en chef préconisent depuis plusieurs mois déjà des frappes en territoire russe, on peut se demander ce qui peut pousser, même implicitement, Matthieu Suc et Marine Turchi, à revisiter ainsi la réalité des faits :

Pour sauver mon peuple, pourquoi dois-je demander à quelqu’un la permission de faire quoi que ce soit en territoire ennemi ? […] C’est notre problème, et c’est à nous de décider comment tuer cet ennemi. Il est possible et nécessaire de tuer sur son territoire dans une guerre. Si nos partenaires ont peur d’utiliser leurs armes, nous tuerons avec les nôtres. Mais seulement ce qui est nécessaire.

« Il est nécessaire de tuer dans une guerre » : l’Ukraine admet frapper la Russie derrière la ligne de front, tf1info.fr

Ce positionnement « va-t-en-guerre » des deux auteurs qui se révèle au fil de l’article laisse profondément songeur. Le binôme semble ainsi s’offusquer de l’« appel à la paix » et du regret, formulé par l’avocat Arno Klarsfeld, d’un « retour à la barbarie », au motif qu’une « solution raisonnable » pourrait passer par des concessions territoriales :

Et surtout la tribune d’Arno Klarsfeld […] est un plaidoyer pour une « solution raisonnable » face à un « retour de la barbarie » […]. Cette solution raisonnable envisagée par Klarsfeld passerait par « des concessions territoriales », comprendre la cession définitive du Donbass et de la Crimée à la Russie. « Mais cela ne vaut-il pas mieux que cet horrible conflit qui risque de nous entraîner tous dans une guerre généralisée ? », argumente-t-il.

Ils assimilent enfin à un « martèlement » médiatique, le regret de Geoffroy Lejeune sur un plateau de la chaîne CNews, de voir le conflit en Ukraine tourner à l’escalade.

Geoffroy Lejeune assénait sur le plateau de CNews à propos de la guerre en Ukraine que « les Américains ont été à l’origine de ce conflit ».

« La semaine dernière, Zelensky a demandé le départ de Poutine, ce qui était tout de même très, très déroutant… Puis [il a dit] dans les jours suivants que les soldats russes seraient tués un par un s’ils continuaient à mener cette guerre. Ce qui fait que moi, aujourd’hui, quand on parle de désescalade, j’ai l’impression qu’on fait en réalité l’inverse. Au contraire, il y a une sorte d’escalade », poursuivait-il dans son analyse.

Mais la schizophrénie des auteurs, loin de s’arrêter à une injonction paradoxale par laquelle le lecteur est incité à condamner tout appel à la raison, semble pousser jusqu’à la remise en cause d’évidences historiques.

Après s’être indignés qu’Arno Klarsfeld refuse d’assimiler le président russe à Adolf Hitler (responsable, rappelons-le de la mort de 6 millions de juifs durant la Seconde Guerre mondiale), les journalistes de Mediapart se scandalisent qu’il ait osé rappeler la collaboration des nationalistes ukrainiens avec le régime nazi. Non contents de décontextualiser les propos de l’avocat, les auteurs paraissent tout à coup ouvrir la porte à un négationnisme larvé. Alors que la tribune d’Arno Klarsfeld pointe en réalité l’impossible élargissement d’une Europe « qui s’est bâtie sur la victoire sur le nazisme » à un État refusant de renier des figures notoirement antisémites, la réalité de leur glorification par les autorités ukrainiennes a finalement l’air de gêner Mediapart :

Arno Klarsfeld conclut cet étrange plaidoyer pour la paix en rappelant que « des nationalistes ukrainiens, au cours de la Seconde Guerre mondiale, ont collaboré avec les nazis »…

Pourtant, comment nier aujourd’hui l’antisémitisme de Stepan Bandera, chef historique du parti OUN et ses appels répétés au massacre des juifs ? Comment contester que l’administration ukrainienne a renommé en 2016, en son honneur, l’artère principale de Kiev qui conduit tout droit au ravin de Babi Yard, où plus de 33 000 juifs furent exterminés les 29 et 30 septembre 1941 ? Comment enfin pourrait-on nier que ce massacre fut perpétré par le 201e bataillon Schutzmannschaft alors principalement composé d’Ukrainiens nationalistes ?

Quelques semaines seulement après cette publication, la réalité vient douloureusement se rappeler à l’éthique perdue des rédacteurs de Mediapart : l’ovation d’un ancien soldat de la division SS Galicie au parlement canadien provoque la démission d’Anthony Rota, le président de la Chambre des communes du Canada et oblige Justin Trudeau à présenter des excuses publiques. L’image a choqué le monde entier, jusqu’à l’allié polonais de l’Ukraine qui demande officiellement l’extradition de l’ancien soldat nazi, et Anthony Rota, président de la Chambre des communes du Canada, doit présenter sa démission au parlement canadien.

Un curieuse approche journalistique

Européisme radical, dérive propagandiste, russophobie latente ou simple bascule vers un militantisme opportuniste ? La question des motivations qui poussent Mediapart à tolérer une telle publication se pose désormais ouvertement. Une partie de la réponse nous est suggérée par l’orientation très politique de cette analyse de Maxime Audinet, fournie en « citation » par Matthieu Suc et Marine Turchi :

« certains ont aussi cherché, par positionnement idéologique, nécessité économique ou faute de pouvoir intégrer d’autres rédactions, à se reconvertir dans l’écosystème de médias qui affichent un positionnement “alternatif”, souverainiste ou d’extrême droite, détenus par Vincent Bolloré ou autres : CNews, Sud Radio, Omerta, Factuel.

« Cette partie du paysage médiatique français est aujourd’hui capable de “recycler” ces figures, ce qui n’était pas le cas il y a encore quelques années », souligne le chercheur. Et leur arrivée peut « orienter la ligne éditoriale, à l’image de Régis Le Sommier, dont certaines prises de position sont clairement compatibles avec celles de la Russie, comme sur l’Ukraine et la Syrie. »

Il est finalement assez troublant que l’unique référence à laquelle font appel les auteurs cette charge politique, travaille pour le compte de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (Irsem), organe d’État dont les membres sont directement nommés par le ministre de la Défense, et dont l’une des fonctions est de « participe[r] au débat institutionnel, public et académique sur les questions de défense et de sécurité ».

Faut-il comprendre, à la lecture de l’article de Mediapart, que l’opposition politique et la concurrence médiatique font, en France, partie intégrante de l’analyse militaire ou du moins, des « questions de défense et de sécurité » ?

Cette publication de Mediapart pose évidemment les questions de l’indépendance politique, de l’éthique journalistique et du rôle central de contre-pouvoir des médias dans un pays se réclamant d’une démocratie.

Autant de questions qui, dans un proche avenir, devront être à nouveau soulevées, notamment au regard de ces deux fondamentaux censés encadrés l’exercice journalistique que sont : la Charte de Munich et de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes, pourraient peut-être servir de base à une première introspection au sein de la rédaction de Mediapart :

Un journaliste, digne de ce nom :

[…] tiens l’esprit critique, la véracité, l’exactitude, l’intégrité, l’équité, l’impartialité, pour les piliers de l’action journalistique ; tient l’accusation sans preuve, l’intention de nuire, l’altération des documents, la déformation des faits, le détournement d’images, le mensonge, la manipulation, la censure et I’autocensure, la non-vérification des faits, pour les plus graves dérives professionnelles.

Exerce la plus grande vigilance avant de diffuser des informations d’où qu’elles viennent.

Dispose d’un droit de suite, qui est aussi un devoir, sur les informations qu’il diffuse et fait en sorte de rectifier rapidement toute information diffusée qui se révélerait inexacte. […]

Défend la liberté d’expression, d’opinion, de l’information, du commentaire et de la critique. […]

Refuse et combat, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication. […].

Syndicat national des Journalistes,1918-1938-2011

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